La disparition de Fandor (Исчезновение Фандора)
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— Monsieur Fargeaux, r'ep'etait Juve, c’est le morceau du boulet que vous avez dans votre poche qui a tu'e votre beau-fr`ere. Venez. Nous avons `a causer.
20 – LE CABARET DE JOS'E FARINA
Jos'e Farina, Basque de naissance, Espagnol par ses anc^etres et Francais d’inclination, tient une auberge dans la rue Basse qui m`ene au port Vieux.
Dans cette auberge, qui est `a la fois une h^otellerie et un cabaret, on trouve des chambres pour se loger et y dormir la nuit, mais si on le pr'ef`ere, on peut, lorsqu’on y p'en`etre le soir, y attendre le lever du jour dans la salle commune o`u l’on fume et o`u l’on boit. Car l’h^otellerie de Jos'e Farina ne ferme jamais, pour les intimes du moins.
Certes, en apparence, et pour satisfaire aux exigences de la police, on a l’habitude, lorsque approche minuit, de mettre sur la devanture du cabaret d’'epais volets de bois renforc'es de barres de fer, mais cela ne signifie point qu’`a l’int'erieur ait sonn'e le couvre-feu ; bien au contraire, c’est surtout lorsque l’'etablissement est assur'e par ces cl^otures de la discr'etion forc'ee des passants, que ses habitu'es se r'eunissent et s’y tiennent avec le plus de plaisir.
Se l’autre c^ot'e de la rue, l’auberge de Jos'e Farina s’ouvre sur un jardin assez vaste entour'e de hauts murs. Il embaume l’'et'e, car il y pousse des plantes quasi-tropicales, qui 'emettent des senteurs violentes, mais agr'eables. M^eme au plein coeur de l’hiver il n’y fait pas froid. Les palmiers y croissent sans difficult'e et les plantes grasses rapport'ees d’Afrique s’y 'epanouissent sans souffrance.
Le jardin comporte un jeu de boules, que l’on fr'equente beaucoup le dimanche apr`es-midi ou encore, en 'et'e, le soir de six `a huit heures.
Il se passe, d’ailleurs, toutes sortes de choses dans la maison de Jos'e Farina.
Tandis que les uns jouent aux boules, au fond du jardin, dans la salle du cabaret, on taquine volontiers la dame de pique, cependant qu’`a certaines tables ceux qui m'eprisent ces sortes de jeux concluent d’importants paris en consultant des programmes multicolores. Ceux-l`a sont les amateurs de corrida qui risquent leur argent sur les chances de tel ou tel tor'eador.
Jos'e Farina, en homme prudent et avis'e, a fait 'etablir dans sa maison deux ou trois issues peu connues du public, parmi lequel se m^elent toujours des bavards et des espions. Il lui est arriv'e `a plusieurs reprises et dans des circonstances graves, de faire dispara^itre ceux que la police veut `a toute force appr'ehender et cela si habilement que les agents ne peuvent accuser Jos'e Farina de s’^etre fait le complice des malfaiteurs poursuivis. Une seule fois seulement on a soupconn'e Farina d’avoir aid'e `a la fuite d’un voleur, en lui ouvrant un piano dans lequel le malfaiteur s’'etait dissimul'e tout le temps que la police le recherchait.
L’auberge de Jos'e Farina, comporte enfin, toujours au rez-de-chauss'ee et `a c^ot'e de la salle commune, une petite pi`ece, surnomm'ee
Ce jour-l`a, le salon de Jos'e Farina 'etait occup'e. Un homme et une femme que le patron de l’auberge ne connaissait point mais qui certainement devaient conna^itre la maison, avaient demand'e `a ce qu’on leur r'eserv^at cette pi`ece pour la soir'ee et peut-^etre m^eme pour toute la nuit. Ils avaient bonne apparence et comme l’homme avait donn'e un acompte important `a Jos'e Farina, en promettant de ne point r'eclamer la monnaie, m^eme si ses d'epenses n’atteignaient pas la somme vers'ee, le patron de l’auberge avait concu pour ce client une respectueuse estime.
Tout en apportant quelques petits g^ateaux et une bouteille de vin d’Espagne, qui devait constituer l’ap'eritif du d^iner que ses clients avaient command'e, Jos'e Farina les avait d'evisag'es rapidement d’un coup d’oeil, en homme exerc'e `a vivre, `a juger les gens et `a d'eterminer leur condition sociale `a premi`ere vue.
Ce couple paraissait un couple de braves paysans, de gens ais'es, probablement venus de la montagne, gens d’apparence modeste mais vraisemblablement cossus.
Toutefois, en regardant plus minutieusement et particuli`erement en consid'erant leurs mains qui 'etaient fines, 'el'egantes et nullement d'eform'ees, Jos'e Farina s’'etait dit :
« Non, ce ne sont pas des gens de la montagne, mais plut^ot des gens de la ville, et peut-^etre des grands seigneurs. »L’h^otelier 'etait m^eme un instant rest'e en contemplation admirative devant la bague de la femme. Celle-ci 'etait grande, mince, 'el'egante, elle pouvait avoir un peu plus de trente ans et, malgr'e le grand manteau de laine peu seyant qu’elle avait jet'e sur ses 'epaules et dont le capuchon dissimulait sa chevelure, elle ne manquait pas d’allure.
L’homme drap'e 'egalement dans un manteau `a l’espagnole, coiff'e d’un feutre sombre qu’il rabaissait, avait 'egalement grand air. Cependant, il s’apercevait de l’examen dont sa compagne et lui 'etaient l’objet de la part de Jos'e Farina :
— Imb'ecile, grommela l’homme, quand tu auras fini de bailler en nous regardant, tu as recu nos ordres, laisse-nous.
Jos'e Farina balbutia quelques excuses inintelligibles et apr`es avoir, pour la forme, chang'e de place deux ou trois assiettes, il s’'eclipsa.
Il s’entendit soudain rappeler :
— Oh l`a, fit l’homme, reviens ici.
Jos'e Farina rebroussant chemin, alla se mettre `a la disposition du client :
— Je vous 'ecoute, patron ?
— Tout `a l’heure, dans dix minutes, une heure peut-^etre, je ne puis te pr'eciser, un homme d’assez m'ediocre apparence entrera dans ton cabaret, il sera seul et s’installera `a une table. Pendant qu’il commandera quelque chose `a boire, il ajoutera `a mi-voix : « Je viens de sous terre. »
— Pardon, interrompit Jos'e Farina, qu’est-ce qu’il dira ?
L’homme tapa du pied :
— Fais donc attention `a ce que je te dis et tu comprendras mieux. Je r'ep`ete : cet individu murmurera : « Je viens de sous terre ». Il me semble que c’est fort clair.
— En effet, patron. Et alors que se passera-t-il ?
— Il se passera, Jos'e Farina, qu’il faudra t’arranger pour l’entendre et d`es que tu l’auras entendu, tu l’am`eneras ici.
— Compris. Et ensuite que faudra-t-il faire ?
— Ensuite tu t’en iras, plus vite encore que tu ne seras venu.
— C’est tout ?
— Oui, c’est tout.
L’h^otelier tourna les talons mais son myst'erieux client le rappelait encore :
— Jos'e Farina, il y a une porte secr`ete dans ce petit salon ?
— Hum, fit l’h^otelier en h'esitant, c’est-`a-dire que l’on fait courir ce bruit mais je ne sais pas bien.
— Allons, allons, d'ep^eche-toi. Dis-moi o`u elle se trouve et comment on fait manoeuvrer son loquet.
R'esign'e, l’aubergiste montra `a son client un bouton de porte dissimul'e dans la moulure de la muraille. Il fit jouer le p^ene, expliqua comment l’on pouvait sortir de la pi`ece et gagner la ruelle qui longeait la maison, ruelle sombre, 'etroite, qui conduisait d’un c^ot'e dans la rue, de l’autre au port.