La disparition de Fandor (Исчезновение Фандора)
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Le policier, en effet, venait d’avoir la pens'ee qu’il 'etait fort possible qu’en r'ealit'e, en 'echangeant des propos insignifiants, le paysan et son h^ote puissent se dire des choses beaucoup plus int'eressantes.
— S’ils ont un mot d’ordre, songeait Juve, s’ils usent d’un langage secret, ils vont 'echanger devant moi, qui n’y comprendrai rien, la conversation la plus int'eressante qui soit. Cr'edibis`eque, comment sortir de la ?
Timol'eon Fargeaux, pourtant, debout au milieu de la pi`ece, `a c^ot'e du paysan, donnait des signes d’impatience.
— Voyons, r'ep'etait-il, qu’est-ce que c’est que cette histoire de cauchemar et de pr'ediction ? Je ne crois pas aux cauchemars et je vous trouve un beau toupet d’^etre venu me d'eranger pour me conter des balivernes.
— Des balivernes ? pensait Juve, qu’est-ce que ca peut vouloir dire pour eux ce mot-l`a ?
Le paysan, pourtant, quelle que f^ut l’impatience que lui manifestait Timol'eon Fargeaux, ne semblait nullement se troubler. Il insista en souriant :
— Vous f^achez pas, Monsieur, vous allez voir comme ca, tout `a l’heure, que c’est beaucoup plus cocasse que vous ne croyez. Et vous ne regretterez pas de m’avoir entendu. Ah ! au fait, je m’en vas vous en donner une preuve. Quelle heure est-il ?
Instinctivement, Timol'eon Fargeaux consid'era sa montre :
— Il est trois heures vingt-cinq.
— Exactement ?
— Oui, trois heures vingt-six, pourquoi ?
Le paysan se mit `a rire d’un rire stupide.
— Mon bon Monsieur, d'eclarait-il, je m’en vas, illico, vous prouver que les r^eves c’est des choses bien bizarres. Tenez, asseyez-vous l`a-dessus…
En disant ces mots, le gros paysan disposait une chaise devant la fen^etre, et de la main, invitait Timol'eon `a y prendre place. Or, Fargeaux, furieux, ne semblait nullement d'ecid'e `a ob'eir.
— Qu’est-ce que c’est que cette com'edie ? dit-il, vous allez m’expliquer tout de suite…
Mais, sans s’en apercevoir, Timol'eon Fargeaux avait recul'e tout contre le paravent derri`ere lequel Juve, stup'efait, 'ecoutait les propos 'echang'es.
Juve souffla :
— Faites ce que l’on vous dit de faire.
En m^eme temps, le paysan, obstin'ement, r'ep'etait :
— Asseyez-vous sur cette chaise et d'ep^echez-vous, mon bon monsieur, je m’en vas tout de suite vous donner une preuve de l’int'er^et de ce que je viens vous dire. Allons, l`a.
Ne voulant pas d'esob'eir `a Juve, Timol'eon Fargeaux venait de s’asseoir sur la chaise pr'epar'ee par son extraordinaire visiteur.
— Quelle heure est-y maintenant ? recommencait le paysan.
— Trois heures vingt-huit, mais pourquoi ?
— Attendez donc, vous allez bien le voir.
Tout en parlant avec un accent qui, chose curieuse et que notait Juve, semblait par moments beaucoup plus accentu'e qu’en d’autres, l’homme se reculait et commencait, lui aussi, `a para^itre s’impatienter…
— Ca, dit-il, voil`a bien le point o`u nous en sommes de mes exp'eriences. Il est trois heures vingt-huit que vous dites, et vous ^etes assis sur c’te chaise. Eh bien, mon cher monsieur, vous allez voir.
Mais le paysan n’achevait pas. Au moment m^eme, avec un bruit sec, l’un des carreaux de la fen^etre venait de voler en 'eclats… puis, tout de son long, Timol'eon Fargeaux, qui avait bondi sur ses pieds, retomba sur le sol, les yeux clos, la bouche ouverte, la tempe trou'ee d’une balle, mort, mort sans cri.
Dans la pi`ece o`u le drame rapide venait de se d'erouler, une double exclamation avait pourtant retenti.
Juve, comme un fou, s’'etait pr'ecipit'e hors de son paravent :
— Ah cr'edi'e ! hurla-t-il.
Pour le paysan, il 'etait devenu blafard, il avait recul'e jusqu’au fond de la pi`ece, il jurait. Il jurait en anglais :
— By Jove !
Que s’'etait-il donc pass'e ?
Oh, Juve n’avait pas besoin de r'efl'echir longuement pour deviner une explication `a l’assassinat dont il venait d’^etre t'emoin. Assur'ement, le paysan, le gros paysan avait fait asseoir, `a une heure d'etermin'ee, le malheureux Timol'eon Fargeaux devant la fen^etre de sa chambre, parce qu’`a cette heure d'etermin'ee, un complice, l’assassin, devait, `a l’aide d’un fusil, ajuster le grainetier et le tuer raide, sans que personne p^ut le prot'eger.
Mais, alors ? ce paysan ? ce paysan extraordinaire, qui jurait en anglais ? C’'etait un complice. Il faisait partie de la bande qui, depuis quelque temps, multipliait les crimes ? Juve, une seconde peut-^etre, apr`es que Timol'eon Fargeaux f^ut tomb'e sur le sol, avait d'ej`a tout compris et d'ecid'e de la conduite a tenir.
Indiff'erent au danger qu’il courait sans doute, le policier se pr'ecipita sur le gros homme.
Et, comme ce n’'etait pas le moment d’user d’extraordinaires d'elicatesses, Juve arrivait vers lui la main lev'ee, pr^et `a l’assommer d’un coup de poing si d’aventure, il pr'etendait r'esister.
— Au nom de la Loi… commencait Juve.
Une voix tr`es calme lui r'epondit :
— Est-ce que vous croyez qu’il est vraiment mort ?
La demande 'etait pour le moins surprenante et, surtout, faite sur un ton aussi tranquille.
— Morbleu, r'epondit Juve qui s’'etait arr^et'e, j’imagine que vous n’en doutez pas, mis'erable, vous ^etes un assassin.
L’autre, toujours tr`es calme, r'epondit :
— Mais, pas du tout, Monsieur Juve. C’est un tour que l’on m’a jou'e, d’ailleurs…
Juve n’'etait pas encore revenu de la stup'efaction qu’il 'eprouvait en s’entendant appeler par son nom, qu’une nouvelle aventure survenait, risible presque et que, `a coup s^ur, le policier n’avait point pr'evue.
Le paysan, en effet, levait les bras, prenait `a sa cravate une 'epingle et se l’enfoncait dans la poitrine ; au m^eme moment une violente d'etonation retentissait, et Juve voyait l’homme, le gros homme maigrir instantan'ement, se d'egonfler plut^ot, oui, se d'egonfler, car Juve sentait un violent courant d’air.
— Hein ? commenca le policier, qu’est-ce que vous ^etes encore en train de faire ?
De plus en plus flegmatique, l’inconnu r'epondait :
— Vous le voyez, je suppose, en v'erit'e. Pour n’^etre pas reconnu de vous, je m’'etais d'eguis'e avec une vessie pleine d’air. Maintenant, j’ai tout int'er^et `a ce que vous sachiez qui je suis et, par cons'equent…
— Mais qui ^etes-vous donc ?
— Un de vos amis, Monsieur Juve. D’ailleurs, vous allez me reconna^itre.
En deux gestes, le paysan, en effet, d'epouilla sa longue blouse bleue, jeta aux pieds de Juve une vessie crev'ee, se d'ebarrassa d’une perruque, d’une fausse moustache. C’'etait le visage glabre, la silhouette maigre de Backefelder, le riche millionnaire am'ericain qui apparaissait `a Juve, abasourdi.