La mort de Juve (Смерть Жюва)
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— Fandor, elle s’appelle H'el`ene.
— Eh bien ?
— Eh bien, poursuivit Juve, cramponne-toi au fauteuil, si tu ne veux pas tomber `a la renverse, parce que je vais t’'etonner.
— C’est fait, Juve.
— Cette jeune fille je la connais donc tr`es bien, puisque, gr^ace `a l’intervention de nos amis Nalorgne et P'erouzin, je dois l’'epouser prochainement.
— Vous devez 'epouser la dactylographe ?
— Je pourrais d’ailleurs faire plus mal, car elle est fort jolie.
Le policier tira de dessous ses couvertures un portefeuille o`u il prit une photographie qu’il tendit au journaliste.
Fandor se pr'ecipita.
— H'el`ene, cria Fandor, c’est elle, la fille de Fant^omas !
— Eh oui, Fandor, eh oui.
En proie `a une 'emotion inexprimable, `a une nervosit'e presque inqui'etante, Fandor arpentait la chambre de Juve avec une extraordinaire f'ebrilit'e.
— Mais c’est une plaisanterie ? Vous n’allez pas 'epouser la fille de Fant^omas ? Mais 'etait-ce bien elle qui se trouvait avenue Niel en qualit'e de dactylographe ? Oh Juve, inutile d’essayer de me convaincre, c’est fait depuis longtemps. Si je doute absolument de votre projet de mariage, je suis convaincu que la malheureuse H'el`ene est bien la myst'erieuse dactylographe qu’employait `a son service le pseudo courtier Herv'e Martel.
— Fandor, interrompit Juve, voil`a deux fois que tu viens de dire le
— Parce que Fant^omas, c’est le courtier Herv'e Martel.
— C’est idiot, Fandor. Herv'e Martel existe r'eellement. C’est une personnalit'e connue `a Paris, il est titulaire de sa charge depuis pr`es de dix ans.
— Possible ! s’'ecria Fandor, mais nous savons que Fant^omas n’en est pas `a un crime pr`es, et il est parfaitement capable d’avoir assassin'e le v'eritable Herv'e Martel, pour se substituer `a lui. Juve, souvenez-vous du magistrat de Saint-Calais, tu'e, remplac'e par l’Insaisissable.
— Tu te trompes, Fandor.
— Non, la meilleure preuve, c’est qu’apr`es l’attentat dont vient d’^etre victime le malheureux L'eon, le courtier, le « pseudo courtier » je maintiens mes dires, a brusquement quitt'e Paris et s’en est all'e, soi disant, `a Cherbourg.
— `A Cherbourg, en effet, d'eclara Juve, rien n’est plus logique. Sa pr'esence est n'ecessaire dans ce port de mer `a l’entr'ee duquel est venu sombrer un cargo boat dont la cargaison l’int'eresse au plus haut point.
— Juve, H'el`ene a disparu avec lui.
— Non, interrompit encore Juve, elle a simplement, en employ'ee fid`ele, suivi les instructions de son patron, c’est-`a-dire qu’elle s’est rendue 'egalement `a Cherbourg o`u le courtier maritime peut avoir besoin d’elle.
— En ^etes-vous s^ur, Juve ?
— Oui.
— Eh bien je pars pour Cherbourg. Je veux en avoir le coeur net. Demain, je saurai si Herv'e Martel est bien Fant^omas, comme j’en ai la conviction.
Juve n’essaya pas de retenir son ami, mais connaisseur de l’^ame humaine, il dit simplement `a son ami :
— La personnalit'e de Fant^omas te pr'eoccupe, Fandor, mais avoue-le, ce qui te pr'eoccupe surtout, c’est de retrouver H'el`ene et de pouvoir la rejoindre, la voir, lui parler. Fandor, Fandor, tu l’aimes encore, tu l’aimes toujours, tu l’aimes plus que jamais.
D'ej`a le journaliste 'etait sur le seuil de la porte, il h'esita une seconde, puis, rebroussant chemin, il vint vers Juve, prit les mains glac'ees du policier dans les siennes, les serra chaleureusement et, d’une voix 'etouff'ee, presque confuse, comme un enfant qui confesse une faute, il reconnut avec des sanglots dans la voix :
— Eh bien, oui, je l’aime, Juve, je l’aime 'eperdument.
***
— Le Palace-H^otel, s’il vous pla^it ?
— Ah ! mon bon monsieur, si vous n’avez pas peur de marcher, vous pouvez vous y rendre `a pied. Mais c’est tout `a l’autre bout de la ville, en face la plage. Ici, vous n’^etes qu’`a la gare, il y a pr`es de deux kilom`etres.
Fandor se demanda un instant s’il n’allait pas r'epondre aux suggestions int'eress'ees que lui formulait le cocher auquel il demandait ce renseignement.
Le train avait eu quelque retard, il 'etait d'ej`a neuf heures du soir et le journaliste dominait difficilement son impatience.
— Allez, dit-il au cocher, et vivement ! Vous m’arr^eterez `a cent m`etres de l’h^otel.
Le cocher ex'ecuta les ordres de son client et Fandor, entr'e inapercu, demanda timidement `a un portier aux v^etements dor'es :
— Pourriez-vous me dire si la dactylographe de M. Herv'e Martel est visible en ce moment ?
Le portier, grave et majestueux, mit en branle plusieurs sonneries 'electriques, appela `a diff'erents postes t'el'ephoniques et devant ce d'eploiement de forces myst'erieuses, Fandor sentit son coeur battre `a rompre, dans sa poitrine, car si on lui r'epondait par l’affirmative, qu’allait-il dire ? Sous quel nom devait-il se faire annoncer ? En pr'esence de qui se trouverait-il ?
Assur'ement, si la jeune fille qu’il demandait 'etait bien la fille de Fant^omas, et si, comme il le croyait encore, Herv'e Martel n’'etait autre que Fant^omas lui-m^eme, ces deux myst'erieux personnages devaient se tenir perp'etuellement sur leurs gardes.
Avec un fort accent tudesque, le portier aux allures de Saxon expliqua :
— La demoiselle est sortie depuis une heure et n’est pas encore rentr'ee, mais elle ne tardera sans doute pas car elle n’a pas encore pris son souper.
Fandor remercia, parcourut un instant le vaste hall de l’h^otel, mais il s’y trouvait trop visible, trop expos'e, trop facilement reconnaissable dans l’'eblouissement des lumi`eres.
— Si elle est sortie, pensa-t-il, autant l’attendre dans les jardins, je la verrai bien venir.
Le journaliste, descendant pr'ecipitamment le perron du vestibule, 'eprouva une certaine satisfaction `a se dissimuler dans l’ombre. Fandor alla jusqu’`a la grille du jardin, surveilla quelques instants la rue d'eserte qui longeait le port et, soudain, tressaillit. Le silence qui r'egnait venait d’^etre interrompu par le bruit sec d’un petit pas rapide.
— C’est elle, murmura Fandor, c’est H'el`ene, comment va-t-elle m’accueillir ?
Il s’avanca. H'el`ene s’arr^eta :
— Monsieur Fandor.
Et la surprise 'etait si vive, si inattendue, que la jeune fille manquait d'efaillir, mais Fandor se pr'ecipitait vers elle, la soutenait, passait son bras autour de sa taille souple.
— H'el`ene, vous ne m’en voulez pas ?
— Non, Fandor, je ne vous en veux pas, je ne vous en ai jamais voulu.