La mort de Juve (Смерть Жюва)
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Le lendemain, Jean vint dire `a Juve :
— Patron, c’est une dame qui d'esire vous voir, elle pr'etend, comme ca, qu’elle est envoy'ee par l’agence Nalorgne et P'erouzin. Ce serait pour une affaire confidentielle.
— Parbleu, Jean, je sais qui c’est : une charmante jeune fille que m’envoient mes amis au sujet d’un mariage, car je ne t’ai pas encore annonc'e, Jean, que je vais me marier. Comment la trouves-tu ?
— Qui, patron ?
— Eh bien, la charmante jeune fille qui demande `a me voir ?
— Charmante, enfin, et jeune fille, c’est `a savoir. Pour moi, j’aime autant vous dire, cette personne qui vous demande, avec les panaches qu’elle a sur la t^ete et le pl^atre de toutes les couleurs qu’elle se colle sur la figure, je crois plut^ot que c’est une vieille grue.
— Ah ? fais-la donc monter.
— Dans votre chambre ?
— Dans ma chambre. Tu ne voudrais tout de m^eme pas que je descende la recevoir au salon ?
Quelques instants plus tard, le vieux domestique introduisait dans l’appartement de Juve une personne 'el'egamment v^etue, `a la silhouette un peu trop majestueuse sans doute.
— C’est bien `a M. Ronier `a qui j’ai l’honneur de parler ? demanda-t-elle.
— En personne.
D’un coup d’oeil, le policier avait donn'e raison `a Jean : la personne n’avait rien de la
La visiteuse, toutefois, se pr'esentait avec son plus aimable sourire :
— J’ai appris, monsieur, d'eclarait-elle, que vous vivez seul et retir'e et que bien souvent l’existence vous para^it p'enible. Je m’int'eresse, par pure sympathie d’ailleurs, aux personnes souffrantes, isol'ees, malades et c’est pourquoi je me suis permis, sur la recommandation de mes amis, Nalorgne et P'erouzin, de venir vous rendre une petite visite.
La visiteuse tendait `a Juve une lettre, que celui-ci, vu la faiblesse de ses mains, ne parvint pas `a d'ecacheter.
— Voulez-vous me permettre ?
— Volontiers. Si j’osais vous prier, madame, de me lire ce que m’'ecrivent nos amis, j’ai si mauvaise vue.
Elle s’assit et lut `a haute voix :
Cher monsieur Ronier, La personne qui vous apportera cette lettre se recommande `a toute votre sympathie. Comme vous vous en apercevez facilement elle est jeune et belle et son caract`ere a la qualit'e de ses traits charmeurs.
Vous qui r^evez d’une paisible existence conjugale, vous trouverez aupr`es d’elle tous les avantages de la vie bourgeoise. Nous vous la recommandons en toute connaissance de cause, c’est une amie de nos familles, nous la connaissons depuis son enfance…
Juve faillit rire `a ce passage, mais Irma, elle, ne put se contenir :
— Ah les vaches, s’'ecria-t-elle, toujours des vannes.
Puis, se rendant compte de l’impair qu’elle commettait, elle rougit.
— Pardonnez-moi, monsieur, dit-elle, mais ca m’a 'echapp'e.
Juve, d’un ton affectueux, mit la demi-mondaine `a son aise :
— Mais je vous assure que ca ne me choque pas du tout. La qualit'e que j’appr'ecie le plus chez une femme, c’est le naturel. Mais au fait, pourquoi vous ^etes-vous interrompue ?
— Ah c’est que, Nalorgne et P'erouzin ont mis sur moi des choses que j’aurais peut-^etre mieux aim'e… qu’il aurait mieux valu…
— Mais non, mais non, poursuivit Juve, je suis s^ur qu’elles n’ont aucune importance, vous comprenez bien qu’un homme de mon ^age n’est pas comme un coll'egien, que je puis entendre, que je dois savoir.
— Ma foi, pensa la demi-mondaine, il n’a pas l’air mauvais, cet homme-l`a, et apr`es tout, qu’est-ce que je risque ?
Bravement, elle continua la lecture de la lettre :
… Pour tout vous dire, monsieur Ronier, la personne que nous vous recommandons n’est pas pr'ecis'ement ce que l’on appelle « une vertu farouche », elle passait pour assez farceuse dans sa jeunesse, mais avec l’^age qui vient, elle s’est tait une raison et veut d'esormais vivre autrement. C’est d’ailleurs une personne qui fait honneur, car non seulement, elle pr'esente bien, mais encore elle est connue dans le monde parisien. Inutile de vous dissimuler plus longtemps son nom : Irma de Steinkerque…
— Irma de Steinkerque ? c’est vous qui ^etes Irma de Steinkerque ?
`A cette question, la pauvre femme se troubla :
— Ca va mal finir, pensait-elle, ce monsieur va me flanquer `a la porte.
Et `a voix haute :
— Oui, monsieur, c’est moi, ou pour mieux dire, c’'etait moi.
Suivit un v'eritable acte de foi, celui de la p'echeresse repentie.
— Oh, oh, se dit Juve, c’est la Providence qui m’envoie cette femme, il va s’agir de la faire bavarder.
Et Juve l’invita `a d^iner.
14 – UN COUP DE CHAPEAU
Dehors il faisait nuit noire avec pluie battante et bon vent, c’est-`a-dire mauvais, mais Fandor, insensible aux intemp'eries, allait et venait hors de l’h^otel, au hasard, et repassait en esprit les donn'ees du probl`eme :
— Enfin quoi, se r'ep'etait le journaliste, personne n’a pu entrer pour assassiner Martel. Mieux, un homme qui n’a pas de bras ne peut donner un coup de poignard. Or, vu la rapidit'e du drame, on est bien forc'e d’admettre que seul le manchot a pu tuer. Seul l’impossible est logique…
Tout en songeant, Fandor surveillait la mer entrant dans le port.
Une eau noire affleurait au niveau m^eme des jet'ees et Fandor suivait, dans le reflet blafard d’un bec de gaz, la lutte des divers petits courants.
Soudain, tournoyant au milieu, un objet. Le journaliste crut reconna^itre sa nature :
— Mais sapristi, on dirait un chapeau haut-de-forme, dit-il. Un haut-de-forme comme celui du manchot. Tiens, le manchot serait-il tomb'e `a l’eau ? l’avait-on jet'e dans la mer ? suicide ou nouveau crime ?