La mort de Juve (Смерть Жюва)
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J'er^ome Fandor ne fit aucune d'eclaration d’essence `a l’octroi. Comme un fou, il passa devant les employ'es, franchit la grille, abandonnant Nalorgne et P'erouzin, toujours ligot'es dans leur taxi.
J'er^ome Fandor, une fois dans Paris, h'ela un taxi-auto :
— Rue Richer, mon ami, 119, rue Richer, et vite, tr`es vite. Il y a un gros pourboire.
Arriv'e chez lui, Fandor, en coup de vent, sautait de la voiture, s’enfoncait sous la porte coch`ere, entrait une seconde dans la loge, o`u sa concierge s’'epouvantait de le voir revenir, car il y avait bien longtemps qu’il n’avait fait m^eme une courte apparition chez lui. Il se saisit de ses cl'es. Il escalada les 'etages.
Fandor ouvrit sa porte, comme s’il e^ut voulu la d'efoncer. Il traversa son petit vestibule, sauta `a son lavabo :
— Parbleu, le signalement du Fandor arr^et'e, jurait-il, c’est le signalement d’un Fandor brun. Quelle riche id'ee j’ai eue de me teindre les cheveux `a Cherbourg, et de me teindre avec cette teinture qui dispara^it avec une seule lotion d’eau oxyg'en'ee. Je vais me refaire blond, je vais passer `a la Pr'efecture, l`a, on doit savoir. L`a, j’aurai des nouvelles de Juve.
Un quart d’heure apr`es, J'er^ome Fandor, redevenu blond, ayant, par pr'ecaution, endoss'e un nouveau complet, roulait `a toute vitesse dans la direction de la Pr'efecture.
— Je saurai, songeait-il.
Pour gagner du temps, il quitta son taxi-auto, arr^et'e par un encombrement devant le Palais de Justice. J'er^ome Fandor, qui connaissait mieux que personne les d'etours du labyrinthe de Th'emis, traversa en courant la salle des Pas-Perdus, coupant au plus court pour gagner le quai de l’Horloge.
Or, comme il traversait la galerie marchande, une voix connue le h'elait :
— Fandor, h'e, J'er^ome Fandor, monsieur Fandor !
Du coup le journaliste s’immobilisa :
— Hein ? quoi ? qui m’appelle ?
Un homme d’une quarantaine d’ann'ees se pr'ecipitait vers lui les mains tendues. J'er^ome Fandor, l’apercevant, courait `a sa rencontre :
— Vous, monsieur Fuselier ? Qu’allez-vous m’apprendre ?
Et Fandor, en disant cela, ne songeait 'evidemment qu’`a Juve, au malheureux Juve qui, peut-^etre, 'etait mort, peut-^etre sauf.
M. Fuselier ne semblait pas comprendre.
— Je ne vais rien vous apprendre, r'epondait-il ; si, une chose cependant, vous savez, n’est-ce pas, qu’il y avait un individu brun arr^et'e sous votre nom et qui devait arriver aujourd’hui m^eme `a Paris, convoy'e par deux agents, Nalorgne et P'erouzin ?
— En effet, haleta Fandor, eh bien ?
— Eh bien, Nalorgne et P'erouzin viennent d’^etre retrouv'es `a la porte de Ch^atillon, ligot'es, dans un taxi-auto ; le Fandor brun qui les accompagnait s’est enfui, mon cher Fandor. Vous voyez que votre sosie m’a l’air d’^etre digne du nom qu’il vous a vol'e.
Mais Fandor n’'ecoutait d'ej`a plus. Que lui faisaient les paroles du juge d’instruction ? Il se moquait bien que sa ruse e^ut r'eussi, que personne ne pens^at `a le soupconner parce qu’il avait rendu `a ses cheveux leur teinte primitive, il se moquait bien m^eme que Nalorgne et P'erouzin eussent eu l’extraordinaire audace, le toupet invraisemblable de conter la fable dont M. Fuselier venait de lui rapporter les 'echos. Une seule chose torturait Fandor.
Et il demanda, angoiss'e :
— Mais Juve ? Juve ? avez-vous de ses nouvelles ? J’arrive de voyage, moi. O`u est-il ?
H'elas, la physionomie de M. Fuselier se rembrunissait soudain :
— Ah, Juve, fit le magistrat, Juve, c’est abominable. Je n’osais pas vous en parler, mon pauvre Fandor, mais je crois que vous ^etes au courant ?
— Il est mort ? il est r'eellement mort ? sanglota le journaliste.
— H'elas, oui, et il n’y a aucun doute `a avoir `a ce sujet. Je reviens de la Pr'efecture, o`u j’ai rencontr'e M. Havard, qui est d'esol'e. Pauvre Juve.
Et, apr`es un instant de silence, M. Fuselier ajouta :
— Et cependant, faut-il le plaindre ? Il 'etait paralytique, impotent, il 'etait presque mort. Depuis six mois. Pour un homme comme lui, immobile, l’infirmit'e 'etait le pire les supplices. Certainement, Fandor, la perte que vous venez de faire est douloureuse, terriblement douloureuse pour vous, mais en ce qui concerne Juve, je me demande s’il ne vaut pas mieux pour lui qu’il soit mort plut^ot que de n’^etre plus qu’un infirme ?
Fandor n’'ecoutait pas. Fandor sanglotait.
Si M. Fuselier affirmait que Juve 'etait mort, si M. Havard se d'esolait du d'ec`es du policier, c’est que bien r'eellement il 'etait mort.
`A six heures du soir, cependant, tandis que Fandor s’entretenait avec M. Fuselier, au Palais de Justice, d’'epais barrages d’agents avaient peine `a contenir la foule accourue rue Bonaparte pour contempler les d'ecombres fumants de la maison o`u Juve avait trouv'e la mort.
Dans les rangs press'es des badauds, des r'eflexions s’'echangeaient, des colloques attrist'es naissaient.
Le peuple de Paris pleurait la mort du grand policier Juve.
Un petit vieillard qui, `a coups de coudes, 'etait arriv'e `a se faufiler au premier rang des spectateurs, s’entretenait avec un homme d’une quarantaine d’ann'ees, vigoureux, au visage glabre, et lui faisait part de ses propres sentiments :
— Moi, Monsieur, d'eclarait le petit vieillard, je trouve qu’on devrait lui faire des fun'erailles nationales, car enfin d’autres ont eu cet honneur qu’ils m'eritaient moins que lui. Je serais le Gouvernement que je n’h'esiterais pas `a d'ecr'eter que Juve doit ^etre enterr'e au Panth'eon.
Mais l’homme interpell'e `a ces propos, souriait :
— Il me semble que vous exag'erez un peu.
— Non, monsieur, non, je n’exag`ere pas. Juve, c’'etait le courage en personne, c’'etait l’audace, c’'etait l’honn^etet'e, c’'etait la loyaut'e, c’'etait le g'enie, c’'etait… et puis enfin… Monsieur, si vous jugez que j’exag`ere, vous devez savoir en quoi j’exag`ere ? eh bien, dites-le moi ?
L’homme glabre riait de plus belle.
— Peuh enfin, si cela doit vous int'eresser, cher monsieur, je ne ferai aucune difficult'e `a vous donner mon opinion. Je trouve que vous exag'erez en parlant de conduire Juve au Panth'eon. Il faudrait d’abord que Juve soit mort.