Le Cadavre G?ant (Гигантский кадавр)
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— Fais donc attention, Fandor, cria une voix bien timbr'ee.
Le jeune homme, qui n’'etait autre que Fandor, se jeta de c^ot'e, saluant.
— Oh ! pardon, faisait-il aimablement, je n’avais pas vu…
Et, tout contrit de sa maladresse, J'er^ome Fandor offrait ses services :
— Excusez-moi, madame. Ne puis-je vous ^etre utile `a quelque chose ? Voulez-vous que je porte `a votre place ?
La vieille d’un signe de t^ete rapide, refusa :
— Je ne veux pas que personne touche `a mon fils !
Et ce devait ^etre en effet la v'erit'e, car, quelques minutes plus tard, la vieille dame hissait encore elle-m^eme, aid'ee seulement du cocher, le malheureux paralytique qu’elle installait dans un compartiment de premi`ere classe, et dont elle enroulait les membres dans une 'epaisse couverture.
— Dodo, fais dodo ! murmurait-elle.
Et comme le cocher pay'e, et largement pay'e, s’'eloignait en multipliant les saluts, la vieille claquait la porti`ere, marchant sur les pieds de son fils, sans la moindre vergogne. En se retournant, elle heurtait m^eme la jambe du malade, ce qui lui tirait un nouveau juron :
— Nom de Dieu ! faisait-elle. L’abominable charogne me g^enera donc toujours ?
`A cet instant, elle se penchait `a la porti`ere, contemplait fixement l’arri`ere du train.
— Et ils montent dans le m^eme wagon que moi, faisait-elle. Nous ne sommes s'epar'es que par quatre ou cinq compartiments… D'ecid'ement, tout est pour le mieux ! Juve et Fandor, tenez-vous bien !
Quelle 'etait donc cette extraordinaire bonne femme ? Que signifiaient et son attitude, et ses paroles ? Quelle 'etait la raison de la menace qu’elle semblait implicitement formuler `a l’'egard de Juve et de Fandor ?
Le train, dix minutes plus tard, d'emarrait p'eniblement, puis prenait de la vitesse, filait enfin au long de la voie `a toute allure. La vieille s’'etait assise en face de son fils, elle avait d'eploy'e un grand journal, elle lisait attentivement les nouvelles de la derni`ere heure, cependant qu’un autre voyageur, un gros pr^etre `a la face joufflue, montait dans le m^eme compartiment, ouvrait et refermait son br'eviaire, se d'emenait sur la banquette, jetait des regards sympathiques au malade, faisait le plus de bruit possible enfin, dans l’espoir 'evident d’engager la conversation et de tromper ainsi la monotonie du trajet.
Il 'etait certain toutefois que la vieille dame ne tenait nullement `a bavarder. De temps `a autre, d’un furtif regard, elle examinait son fils, s’assurait qu’il dormait toujours, puis se replongeait dans son journal.
Des heures pass`erent ainsi. L’express stoppa `a des petites gares. Haletant, 'epoumon'e, un autre voyageur, `a quelque distance d’Anvers, prit place dans le compartiment.
Lui aussi avait un regard apitoy'e pour le malheureux malade qui semblait de plus en plus p^ale, mais fort correctement, il ne cherchait nullement `a engager la conversation. Passant devant la vieille dame, d’ailleurs, il avait 'et'e s’asseoir dans le coin oppos'e, juste en face du gros pr^etre qui avait fini par se d'ecider `a tirer lui aussi, un journal de sa poche, et qui lisait les faits divers.
Quel 'etait ce nouveau voyageur ?
Si Job Tylor, le d'etective bruxellois, avait 'et'e mis en sa pr'esence, il n’aurait certainement pas h'esit'e `a l’identifier, car ce n’'etait autre que le courtier en parfumerie, M. Jussieu, lequel avait 'et'e victime d’un vol abominablement audacieux, dans son propre domicile.
M. Jussieu revenait vers Paris, ce qui n’'etait gu`ere extraordinaire, mais 'evidemment il n’y revenait pas par la voie la plus directe, puisque, au lieu d’avoir pris `a Bruxelles le train de la capitale, il avait commenc'e par s’'eloigner de Paris, allant s’embarquer bien au-del`a d’Anvers, `a quelques pas de la fronti`ere hollandaise.
M. Jussieu, tranquille dans son coin, continuait `a lire le journal qu’il avait tir'e, lui aussi, lorsqu’`a une nouvelle station, le pr^etre qui se trouvait dans le compartiment descendait.
M. Jussieu, aimablement, l’avait aid'e `a sortir sa valise, il regagnait son coin, pr^et `a reprendre sa lecture, lorsque la vieille dame abandonnait enfin son obstin'e silence.
La voix brusque, imp'erieuse, une voix grave, en v'erit'e, la vieille dame appelait :
— Ma Pomme ?…
Or, `a cette interjection, M. Jussieu sursautait. Il sursautait comme tr`es surpris, comme frapp'e de stupeur m^eme ; il regardait en m^eme temps dans le couloir du wagon, cherchant 'evidemment qui avait parl'e, et ne croyant pas que ce f^ut sa compagne de route.
Celle-ci, toutefois, ne lui permettait pas d’h'esiter longuement. Elle reprenait en effet :
— Ma Pomme ?…
Cette fois, M. Jussieu la consid'era fixement.
— Pardon, commenca-t-il, mais…
Un 'eclat de rire lui coupa la parole, la vieille dame semblait au comble de la bonne humeur.
— Imb'ecile, articulait-elle. Tu ne me reconnais donc pas, Ma Pomme ?
Ces paroles s’adressaient visiblement `a M. Jussieu, et celui-ci, d’ailleurs, ne semblait pas autrement 'etonn'e du bizarre sobriquet que la m`ere du paralytique paraissait lui attribuer. Il se tournait vers la vieille, il la regardait avec un soin extr^eme, puis, d’un coup d’oeil, indiquait `a la bonne femme la pr'esence du paralytique.
Or, ce coup d’oeil paraissait en v'erit'e mettre le comble `a la ga^it'e de la vieille femme.
Elle riait encore quelques instants, elle riait tout son sao^ul, puis elle affirmait :
— Ne t’occupe pas de lui, Ma Pomme… C’est un garcon discret !
Et soudain seulement, la vieille ajoutait :
— Fichtre ! qu’il fait chaud l`a-dessous… Cette perruque me cause un effroyable mal de t^ete !
Et, prononcant ces paroles, la vieille prenait son chignon `a pleine main, le tirait de dessus sa t^ete, ce qui avait l’'etrange effet de la d'ebarrasser en m^eme temps de son volumineux chapeau.
Oh ! c’'etait 'evidemment une extraordinaire vieille que la m`ere du paralytique !
Et si Juve ou Fandor, qui se trouvaient dans le m^eme train, `a quelques compartiments de distance, avaient pu l’apercevoir, ils n’auraient point manqu'e d’en 'eprouver la plus forte 'emotion.
La vieille dame, en effet, d'ebarrass'ee de sa perruque et de son chapeau, changeait brusquement de visage.
Une vieille dame ? Allons donc !… Il n’y avait pas `a s’y tromper. Cette vieille dame, c’'etait un homme, un homme jeune, aux traits 'energiques, au visage volontaire, aux yeux brillants, un homme dont les traits 'etaient l'egendaires, un homme que M. Jussieu reconnaissait `a l’instant, qu’il nommait en joignant les mains :