Le Cadavre G?ant (Гигантский кадавр)
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C’'etait 'evidemment l`a l’indice certain d’une extr^eme pr'eoccupation, et cela n’'echappait pas `a Juve.
Il fallait toutefois sortir d’une inqui'etude qui grandissait pour le policier, de minute en minute.
— Quelque chose se passe que je ne comprends pas ! disait Juve. Je connais trop Fandor pour h'esiter, le cas 'ech'eant, `a lui pr^eter main forte. Il ne veut pas me reconna^itre, donc, c’est qu’il veut 'eviter le scandale, mais, ma foi cela n’est pas une raison pour ne pas me mettre `a sa disposition ?
Un instant plus tard, Juve avait 'et'e chercher dans le compartiment qu’il occupait jusqu’`a Anvers, c’est-`a-dire le compartiment qui voisinait avec celui des dames seules, la valise et la couverture de voyage qui composaient le plus clair de son bagage. Juve alors revenait tranquillement, affectant un air naturel, dans le couloir du wagon. Il imitait les gestes d’un voyageur `a la recherche d’une bonne place, et, finalement, se glissait dans le compartiment de Fandor, prenant place sur la banquette qui faisait face au journaliste.
Nul ne paraissait faire attention au policier ; c’'etait tout juste si la grosse dame enjoignait, d’un ton s'ev`ere, `a la petite fille de rester un peu tranquille, et de ne pas marcher sur les pieds du monsieur…
Juve, d’ailleurs, `a peine install'e, glissait un coup d’oeil furtif dans la direction de Fandor.
Juve, en ce moment, s’applaudissait tr`es fort de son stratag`eme.
— Me voici dans la place, pensait-il, tout en clignant de l’oeil dans la direction de J'er^ome Fandor. Je ne sais pas ce que je suis venu faire dans ce compartiment, mais, 'evidemment, je ne vais pas tarder `a l’apprendre !
Avec un peu de fatuit'e, m^eme, Juve se disait encore :
— Et j’imagine que Fandor ne doit pas ^etre autrement f^ach'e de me voir ainsi pr`es de lui…
Si J'er^ome Fandor 'etait satisfait d’avoir vu entrer Juve dans son compartiment, le journaliste cependant cachait `a merveille sa pr'eoccupation. Juve devait se l’avouer bient^ot.
Fandor, en effet, gardait toujours son immobilit'e profonde, et ne tournait m^eme point la t^ete dans la direction de Juve, qui, de plus en plus, ne comprenait rien `a l’attitude impassible de son ami.
Quelle 'etait donc au juste la cause de l’attitude de Fandor, comment s’'etait donc termin'ee la lutte qui, fatalement avait mis aux prises le mari et le soi-disant p`ere d’H'el`ene dans la gare d’Anvers ?
Longtemps, tout d’abord, aucun des personnages tragiques qui devaient se trouver r'eunis dans le wagon o`u Juve venait prendre place ne faisaient ou ne tentaient quoi que ce soit de remarquable.
Imitant, en effet, l’attitude ultra-prudente de Fandor, Juve avait de son c^ot'e ferm'e les yeux, se penchant en arri`ere, prenant la position d’un homme qui s’appr^ete `a dormir. Juve, toutefois, bien entendu, 'etait loin d’avoir sommeil. Il continuait donc `a observer Fandor, et, petit `a petit, son 'etonnement se changeait en une stupeur anxieuse…
Que croire et que penser ?… Juve se le demandait avec une impatience qui grandissait d’instants en instants. Il avait beau regarder, en effet, avec la plus grande attention, chacun de ses compagnons de route, Juve ne leur d'ecouvrait toujours aucun caract`ere 'etrange, aucun d'etail suspect.
D’autre part, l’attitude de Fandor, ou pour tout dire le maintien du journaliste devenait de plus en plus stup'efiant, de plus en plus inconcevable.
Juve, au fur et `a mesure que le temps passait, s’'enervait davantage. Comme il y avait pr`es de vingt minutes qu’il avait pris place dans le compartiment du journaliste, il dut s’avouer qu’il 'etait incapable de rester plus longtemps impassible.
— Fichtre de nom d’un chien, se disait Juve, c’est `a croire que j’ai le cauchemar. Ma foi, tant pis, je vais tenter le tout pour le tout ! Je vais adresser la parole `a Fandor, sans avoir l’air de le conna^itre, et tout simplement sous le pr'etexte de lui demander un renseignement sur l’horaire !
Juve d'ecidait cela, en v'erit'e, mais ne le faisait pas.
— Peut-^etre vais-je tout g^ater ? pensait-il encore.
Et Juve, soudain, prenait une d'ecision :
— Je parlerai, se d'eclarait-il, `a l’instant o`u Fandor aura termin'e son cigare. Forc'ement alors, pour ne pas se br^uler les l`evres, il devra bouger, je saisirai l’occasion…
Cette r'esolution prise, Juve, malgr'e lui, ne perdait plus de vue le cigare allum'e du journaliste. Ce cigare, sur lequel Fandor ne tirait point, se consumait lentement. Toutefois, il 'etait aux trois quarts br^ul'e ; Juve n’avait donc plus bien longtemps `a attendre…
Or, quelques instants plus tard, par le jeu naturel des 'ev'enements, Juve 'etait tout naturellement conduit `a formuler une hypoth`ese `a laquelle il n’avait pas encore song'e.
Il arrivait, en effet, que le cigare se consumait si bien que la moustache de Fandor commencait `a roussir.
Le journaliste, pourtant, ne se r'eveillait pas !
Juve alors, brusquement, songea :
— Mais, bougre de nom d’un chien, je suis le dernier des imb'eciles, parbleu ! j’ai cru que Fandor jouait la com'edie, or, il ne la joue pas du tout, il dort… il dort pour de bon, il ne s’apercoit pas seulement qu’il roussit sa moustache !
Et dans un 'eclair de pens'ee, Juve se rappelait que Fandor, `a la suite des 'ev'enements tragiques survenus `a Amsterdam, avait pass'e quatre nuits blanches et qu’en cons'equence il 'etait `a la rigueur admissible que le jeune homme ait 'et'e terrass'e par le sommeil.
Juve, en un instant, fut soulag'e alors de toute son inqui'etude. Il ne pouvait pas, toutefois, laisser ainsi Fandor roussir sa moustache, une moustache dont il 'etait fier, sans le r'eveiller. Le cigare se consumait toujours d’ailleurs et probablement coll'e `a ses l`evres, risquait de le br^uler atrocement.
Juve, tout souriant, point inquiet, se leva donc. Il s’excusait de d'eranger la grosse dame pour aller dire deux mots `a son ami :
— Pardon ! fit-il.
Et, tendant la main, Juve secoua Fandor par l’'epaule.
Mais, h'elas, `a peine Juve avait-il mis la main sur l’'epaule de Fandor pour le contraindre `a se r'eveiller, que le journaliste s’'ecroulait de tout son long sur le sol, s’'ecroulait `a la facon d’une masse, `a la facon d’un homme priv'e de sentiment…
Et c’'etait alors d’une voix d'esesp'er'ee, sur un ton d’indicible horreur, parmi l’effarement des autres voyageurs, que Juve s’'ecriait, tout en relevant le jeune homme :
— Ah ! mon Dieu, mon Dieu, je deviens fou !… Fandor ! Fandor !… Fandor est mort !