Le Cadavre G?ant (Гигантский кадавр)
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En revanche, si Bouzille tenait `a ^etre plus que d'elicat sur son pass'e imm'ediat, il ne cachait nullement `a Juve les projets qui l’enthousiasmaient pour l’heure :
— Moi, voil`a ! confiait Bouzille. J’suis tout c’qu’on veut : un n'egociant, un policier, un artiste, un boh`eme, du gibier de prison m^eme, ca n’a pas d’importance. Ce qu’y a d’s^ur, c’est que dans l’fond de mon ^ame, j’ai toujours eu le d'esir de finir fonctionnaire.
— Fonctionnaire ? s’'etonna Juve, se demandant o`u Bouzille voulait en arriver. Que diable penses-tu donc faire ?
— Bien s^ur, approuva-t-il, y a fonctionnaire et fonctionnaire, n’est-ce pas ? Mais moi, j’suis pas exigeant. Et puis, enfin, je m’rends bien compte que je n’ai peut-^etre pas l’instruction voulue pour devenir, par exemple, pr'esident de la R'epublique, ou huissier dans une banque…
— Alors, Bouzille ?
— Alors, m’sieur Juve, rapport `a ce que je me fiche du tiers, du quart, et tout autant de la demie, voil`a ce que j’ai d'ecid'e, sauf vot’respect : je voudrais tout bonnement, ma foi, ^etre accept'e `a la morgue soit comme figurant, soit comme laveur, soit comme tout autre chose.
Et Bouzille, enfi'evr'e par son id'ee, continuait, faisant de grands gestes :
— 'Evidemment, c’est moins difficile que d’entrer `a l’Acad'emie, mais d’un aut’c^ot'e, ca rapporte peut-^etre plus, je n’sais pas… Et puis, dame, m’sieur Juve, faut pas oublier que j’ai des relations dans ce monde-l`a et que je pourrais me faire pistonner…
— Des relations dans le monde de la morgue ? interrogea Juve. De quoi, diable, veux-tu parler Bouzille ?
Bouzille souriait d’un air entendu et il r'epliqua :
— Ben, m’sieur Juve, sauf vot’respect, rappelez-vous que dans l’temps, jtravaillais pour Dominique Husson… c’est pas parce que ce pauv’cher homme a pass'e l’arme `a gauche que son commerce a disparu, j’connais le successeur, j’suis tr`es bien aussi avec un garcon de l’amphith'e^atre. Bref, m’sieur Juve…
Bouzille s’interrompait, le policier l’interrogeait :
— Bref, Bouzille ?
— Eh bien voil`a : j’ai d'ej`a fait des d'emarches. Alors comme ca, c’est demain matin que j’dois m’pr'esenter au chef du personnel… `a dix heures, qu’il m’a dit… et des fois, si j’suis arr^et'e, si j’plais au bonhomme, eh bien, j’entrerai tout de suite en service.
Un instant plus tard, le fiacre stoppait devant la morgue, Bouzille qui descendait ouvrait la porti`ere `a Juve, lui montrait le b^atiment :
— Hein, faisait-il sur un ton de satisfaction profonde. C’est rien que d’le dire, mais ca d'egote bougrement.
Juve d'ej`a ne pr^etait plus attention `a l’intarissable faconde de l’excellent chemineau, qui s’enthousiasmait en ce moment pour le nouveau m'etier qu’il allait exercer, comme il s’'etait enthousiasm'e de toutes les industries qu’il avait tent'ees, sans d’ailleurs jamais parvenir `a mater la fortune.
— Bouzille, appelait Juve, voil`a assez de bavardages… Il s’agit maintenant de travailler. O`u diable as-tu vu le cadavre, o`u diable l’as-tu vu rep^echer ?
Bouzille, pour r'epondre, soulevait sa casquette, et de son ongle noir se grattait avec soin le cuir chevelu.
— Heu ! faisait-il, c’est comme qui dirait ici, mais tout d’m^eme, ce n’est pas l`a !
La r'eponse 'etait bien digne de Bouzille, mais Juve comprit que s’il ne faisait pas preuve de quelque autorit'e, il n’obtiendrait rien du chemineau qui savait toujours `a merveille 'eviter les r'eponses pr'ecises.
— Bouzille, articulait Juve, tu vas me dire, oui ou non, o`u tu as vu ce cadavre. M`ene-moi `a l’endroit exact…
Bouzille, `a cet instant, se gratta la t^ete avec plus d’'energie encore.
— Bon, bon, faisait-il. Seulement, si l’on va l`a-bas, on nous verra de l’enfer. Et si on nous voit de l’enfer, l`a sauce tournera certainement…
Bouzille manifestait une inqui'etude non dissimul'ee et jetait d'esormais des regards `a droite et `a gauche, tout comme s’il e^ut m'edit'e de faire retraite et d’abandonner Juve brusquement.
Le policier, par bonheur, connaissait son homme. Juve, avec un air innocent, prenait donc Bouzille par le bras et le forcait ainsi `a demeurer tranquille.
— Bouzille, Bouzille, demandait Juve, voil`a quatre fois que tu me parles de l’enfer, et quatre fois que tu ne veux pas m’expliquer ce que c’est. Fais bien attention, je n’aime pas qu’on se moque de moi ; par cons'equent, t^ache de filer droit !… Tu vas m’y mener.
— O`u ? demanda Bouzille.
— `A l’enfer ! murmura Juve.
Bouzille ne r'epondit rien, mais fit une grimace abominable, ronchonnant quelque chose qui tendait `a prouver qu’on 'etait bien b^ete de rendre service aux gens, qu’il fallait surtout prendre garde de dire quoi que ce soit devant eux, car ils en abusaient ensuite pour vous contraindre aux plus p'erilleuses sottises… Juve n’'ecoutait naturellement pas ces r'ecriminations, et force 'etait alors `a Bouzille d’entra^iner le policier.
Chemin faisant, d’ailleurs, le chemineau paraissait se rass'er'ener.
— N’est-ce pas, commencait-il, faudra ^etre prudent, m’sieur Juve ! Dans l’enfer, y a de tout… des bons et des mauvais bougres. Moi, j’suis pas connu, seulement tout de m^eme on m’conna^it. Alors, apr`es, si vous faisiez des b^etises, on m’collerait un couteau dans l’dos… D’ailleurs, je n’sais pas si vous ressortirez de l`a-dedans. Enfin, c’est s^ur qu’en enfer ils ont d^u voir qui c’'etait qu’on trimballait d’la sorte et qu’on rep^echait dans l’jus…
Les paroles de Bouzille 'etaient fortement embrouill'ees, et totalement incompr'ehensibles. Juve n’y pr^eta pas attention. Il suivait le chemineau qui traversait la Seine et commencait `a descendre sur les berges, il demandait encore :
— Bouzille, il faut me renseigner. Qu’appelles-tu l’enfer ? Un bouge ? un mastroquet ?
— Non, dit Bouzille, c’est un trou…
Et comme Juve le regardait avec surprise, ne comprenant point et ne pouvant pas comprendre ce qu’il voulait dire, il repartait avec un grand s'erieux :
— Voil`a, m’sieur Juve ! C’est rapport aux flics et aux quarts d’oeil qui sont toujours `a faire des emb^etements aux bougres qu’ont pas d’chapeau haut de forme. Alors, n’est-ce pas, tranquillement, on a trouv'e ceci… et quand j’dis on, vous comprenez, je parle d’un groupe de gars qu’ont rudement pas froid aux yeux… On a trouv'e ceci qui est un asile et o`u l’on est le plus tranquille du monde. C’est un trou, et c’est l’enfer !