Le Cadavre G?ant (Гигантский кадавр)
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Certes, l’histoire de Philippe le Bel 'etait pleine d’attraits, mais elle 'etait singuli`erement concurrenc'ee par un fait nouveau, plus banal sans doute, mais plus accessible aussi `a la mentalit'e joueuse des 'ecoliers.
Les trois coups annoncant quatre heures moins un quart signifiaient, en effet, qu’on avait au maximum `a subir quinze minutes de classe, et encore quinze minutes dont les cinq derni`eres seraient consacr'ees aux pr'eparatifs de d'epart !
D'ej`a, le petit Michel, mod`ele des paresseux, rangeait ses cahiers et ses livres dans son sac de cuir.
Puis, comme il 'etait plac'e pr`es de la fen^etre, il feignit d’avoir froid, et faisant claquer ses doigts pour annoncer qu’il voulait dire quelque chose, il interrompit le professeur :
— M’sieur, m’sieur, dit le petit Michel, est-ce que je pourrais fermer la fen^etre ?
Il feignait en m^eme temps de tousser, pour faire croire qu’il avait attrap'e froid, et qu’il 'etait indispensable qu’on lui donn^at l’autorisation demand'ee.
Le ma^itre coulait vers lui un regard quelque peu sceptique, car il connaissait Michel pour un de ces gaillards qui ne manquent point d’ing'eniosit'e, d`es lors qu’il s’agit d’inventer quelque chose susceptible de nuire au travail.
Toutefois, l’instituteur ne pouvait refuser d’acquiescer `a une semblable demande.
— Fermez donc la fen^etre, fit-il, mais d'ep^echez-vous !
Un sourire de contentement erra sur les l`evres du gamin, qui, se d'eplacant avec grand tapage, approcha d’abord sa chaise de l’appui de la fen^etre, monta doucement dessus en feignant d’^etre maladroit, puis il se cramponna `a la poign'ee de la crois'ee, manqua de tomber deux ou trois fois, histoire de faire rire ses camarades, ce `a quoi il parvenait `a merveille. Enfin, il atteignit `a l’espagnolette et finit par fermer la fen^etre.
Le professeur, qui avait suivi tous les d'etails de cette petite aventure, ne voulait rien voir de l’attitude de Michel.
C’'etait un ma^itre au bon coeur, qui n’aimait point les aventures ennuyeuses et qui r'epugnait aux punitions. Il pr'ef'erait ignorer les fac'eties de ses 'el`eves plut^ot que de sans cesse les r'eprimander.
Il ne disait rien `a Michel, et continuait `a raconter les aventures de Philippe le Bel.
L’enfant, toutefois, au lieu de redescendre prendre sa place au milieu de ses camarades, demeurait quelques instants absolument abasourdi, regardant `a travers la fen^etre, les yeux fix'es sur l’horizon.
C’'etait l’heure `a laquelle le soleil, contournant les montagnes, allait dispara^itre vers l’ouest et frappait de ses rayons, d'esormais presque horizontaux, le sommet du massif de Beldone, et plus particuli`erement la cime neigeuse et glac'ee du Casque-de-N'eron.
Le professeur semblait avoir oubli'e que Michel 'etait juch'e, silencieux et attentif, sur le rebord de la fen^etre, et il continuait son cours sans se rendre compte que l’enfant paraissait prodigieusement int'eress'e et stup'efait par ce qu’il voyait.
Michel enfin descendit, mais, d`es lors, son visage 'etait tout boulevers'e, et, `a peine s’'etait-il remis `a sa place, qu’il se penchait vers son voisin :
— Regarde, lui dit-il tout bas, regarde par la fen^etre ce qui se passe sur le Casque-de-N'eron.
Le voisin de Michel, un petit blondinet timide, qui s’appelait Louis F'erot, n’osait d’abord pas lever les yeux par peur d’une r'eprimande, mais Michel continuait `a lui parler, et sans doute lui disait des choses si extraordinaires que l’enfant, ne pouvant r'esister `a la curiosit'e, tourna la t^ete et regarda, comme l’avait dit son compagnon, le sommet de la montagne.
D`es lors le petit Louis F'erot, jusqu’alors si attentif, parut oublier compl`etement Philippe le Bel pour ne plus songer qu’`a ce qu’il voyait.
Un voisin le tirait par la manche.
— `A quoi penses-tu ? murmurait-il, es-tu donc dans la lune ?
Et, `a mi-voix, sans souci de se faire remarquer, Louis F'erot r'etorquait :
— Regarde… regarde… l`a-haut ! vers le Casque-de-N'eron !…
Au bout de quelques secondes la moiti'e de la classe avait les yeux braqu'es dans la direction de la montagne, si bien que l’instituteur s’en apercut et s’arr^eta net de parler.
Au surplus, l’heure de la fin de la classe 'etait proche.
N'eanmoins, comme on devait encore quatre ou cinq minutes au travail, le ma^itre, s'ev`erement, frappa de sa r`egle de bois sur son bureau pour ramener `a lui l’attention des 'el`eves.
— Eh bien ! eh bien ! fit-il, qu’est-ce que c’est que ces dissipations ? Voulez-vous ^etre attentifs !…
Puis, avec une nuance de reproche, s’adressant particuli`erement `a Louis F'erot, il articula :
— Comment ! c’est vous, Louis, qui dissipez vos camarades !
Louis F'erot 'etait un bon 'el`eve ; il rougit jusqu’aux oreilles, vex'e par le reproche et redoutant une punition.
Toutefois, incapable de dissimuler, et pour justifier aussi son attitude, il r'epliqua en baissant les yeux :
— J’ai regard'e par la fen^etre parce que Michel me l’a dit, monsieur ; ca n’est pas ordinaire ce que l’on voit !
Le ma^itre interrogea :
— Que voulez-vous dire ? Qu’avez-vous vu par la fen^etre ?
`A la question du professeur, les 'el`eves comprenaient que celui-ci 'etait vaincu et que, d'esormais, jusqu’`a ce que la cloche lib'eratrice sonne, il ne serait plus question de Philippe le Bel.
Et, devinant qu’ils avaient la permission implicite de s’agiter d'esormais et de bavarder, tous r'epondirent `a la fois, bavard`erent en tumulte :
— C’est dans le Casque-de-N'eron, avec le soleil sur la montagne…
— Il para^it qu’il a vu tout `a l’heure sa figure, moi je n’ai rien vu du tout…
— Parce que tu as regard'e trop tard !…
— Michel dit toujours des blagues ! poursuivait un autre des 'el`eves en haussant les 'epaules.
Mais trois ou quatre de ses camarades protestaient :
— Louis F'erot ne ment pas, et Louis F'erot l’a vu…
Puis, c’'etait `a nouveau une ru'ee en masse vers la fen^etre et l’instituteur, ne comprenant rien `a ce qui se passait, s’en fut derri`ere eux pour regarder `a son tour ce que l’on pouvait voir.