Le Cadavre G?ant (Гигантский кадавр)
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Dans leurs mains brillaient d'ej`a des couteaux ; une flamme de col`ere s’allumait dans leurs regards. Juve, `a cet instant, fr'emit. Si d’aventure on voulait l’assassiner, la chose ne serait 'evidemment pas difficile, et c’est `a peine s’il pouvait se d'efendre dans ce repaire o`u il venait de s’aventurer en d'epit de toute prudence, o`u il n’avait point les mouvements libres, o`u dix hommes pouvaient se ruer sur lui sans qu’il e^ut seulement `a tenter l’esquisse d’une d'efense…
L’'emotion de Juve, pr'ecis'ement, s’augmentait d’autant plus que, se sentant d'evisag'e, regard'e des pieds `a la t^ete, on ne lui adressait pas tout de suite la parole. Il comprenait fort bien, en effet, que les habitants du bouge, interloqu'es par sa venue, r'efl'echissaient avant d’agir.
— Si je ne trompe pas ces brutes, pensa Juve, il n’y a pas d’espoir de sortir d’ici !
Et il se rappelait la phrase de Bouzille : l’enfer, c’est un trou dans lequel on peut bien entrer, mais dont personne n’est jamais ressorti.
Juve, toutefois, tranquillement d'esormais, croisait les bras. Il semblait `a son tour vouloir intimider les chefs de la bande, car, lentement, il portait ses regards sur le visage des assistants.
On e^ut dit `a ce moment les pr'eparatifs, les pr'eliminaires d’un duel terrible. D’un c^ot'e, il y avait les dix brutes d'erang'ees dans leur caverne, terrifi'ees par l’apparition de cet inconnu dont ils n’'etaient que trop port'es `a soupconner la qualit'e d’agent de police, de l’autre il y avait Juve, Juve tout seul, qui s’appr^etait `a vendre sa vie le plus ch`erement possible.
Le silence toutefois ne pouvait se prolonger. Au bout de quelques minutes, l’un des hommes interrogeait :
— Alors, des fois, qui c’est qu’t’es, toi, le mec ?
Juve h'esita.
Devait-il brusquement dire :
Juve dut prendre une d'ecision, car c’'etait d’un ton tranquille, assur'e, calme, en souriant m^eme, qu’il r'epliquait :
— Vous cherchez qui je suis ? En v'erit'e, mes bons amis, vous m’'etonnez beaucoup. Voyons… un petit effort… cherchez bien et vous trouverez !
Juve parlait avec une politesse extr^eme, parlait surtout avec une si tranquille assurance, que les membres de la bande s’entre-regard`erent stup'efaits.
Bouzille `a ce moment trembla :
— Ca commence mal, pensait le chemineau… M’sieur Juve veut m^eme pas parler argot, s^urement ca finira mauvais…
Juve, toutefois, faisant toujours preuve de son extraordinaire sang-froid, repartait bient^ot :
— Ainsi, vous ne me reconnaissez pas ?
Il y eut un silence.
— Vous ne devinez rien ? continuait Juve. Vous ^etes tous l`a qui me regardez, et y en a pas pour s’'ecrier : Tiens, c’est un tel !
Or, comme Juve finissait de parler, la paillasse sur laquelle il marchait s’agitait dans un coin… Un homme 'etait couch'e l`a, que Juve n’avait m^eme pas vu, qui sortait de sa cachette, s’agenouillait lentement, avec les mouvements p'enibles du mis'erable qui est toujours las et courbatur'e de sa vie de mis`ere… Juve fixa cet homme, et l’homme le fixa…
Le silence s’'eternisait toujours, Juve le rompit :
— Tas d’imb'eciles ! fit-il.
Puis, il demanda :
— Qui est le chef ?
— Moi ! fit l’homme qui se levait.
— Approche, commanda Juve.
L’individu, de son pas tra^inard, avanca vers le policier, les mains dans ses poches, le regard dur.
Juve insista :
— Si tu es le chef, tu dois ^etre plus malin que les autres. Allons, parle. Qui suis-je ? Comment Bouzille m’a-t-il donn'e votre adresse ?
Or, `a cet instant brusquement, l’homme qui fr^olait Juve se rejetait en arri`ere.
— Ah ! bon Dieu ! commencait-il. Sang de malheur !… Je te reconnais !
Juve, `a cet instant, fr'emit. Il n’avait 'evidemment pas pr'evu cette r'eponse, et, maintenant, il regrettait d’avoir pos'e la question.
Peut-^etre, en effet, dans sa t^ete, le policier avait-il invent'e une ruse subtile… Il s’appr^etait `a dire :
« Je suis un tel. » Mais si l’homme le reconnaissait, si l’homme savait qu’il 'etait Juve, sa ruse 'etait d'ejou'ee d’avance, et lui 'etait perdu…Or, ce qui arrivait 'etait tout au contraire fort avantageux pour Juve. L’homme, en effet, s’'etant recul'e, haussait les 'epaules.
— Non, faisait-il, c’est pas toi !… J’pensais que t’'etais un mec `a la r’dresse avec qui j’ai fait dans le temps une vieille dans un train, mais c’est pas toi !
Juve reprit alors toute son assurance. Un fin sourire m^eme passait sur ses l`evres. Brusquement, il fit un mouvement.
— Et maintenant, demandait Juve, sais-tu qui je suis ? Dis, chef ?
Juve ouvrait la main droite. Il jetait `a ses pieds deux objets qu’il tenait. L’un 'etait un poignard, l’autre 'etait une sorte de massue.
D’o`u avait-il tir'e ces deux armes ? Que signifiait donc son geste ?
Le chef, `a cet instant, sursautait d’'etonnement, pendant que les membres de la bande, en d'esordre se levaient, en poussant des exclamations.
Le chef, lui, bl^eme de rage, serrant les poings, marchait sur Juve :
— De quoi ? faisait-il. V’l`a que maintenant t’as mon casse-gueule et mon eustache dans les pattes ? O`u qu’tu les as pris ?
— Dans ta poche, dit Juve.
Et le policier s’assit.
Juve, vraiment, 'etait merveilleux et calme. Il contemplait le d'esarroi de ceux qui pouvaient d’une minute `a l’autre se jeter sur lui, et il semblait parfaitement rassur'e sur l’issue de l’aventure.
Juve expliqua :
— J’ai pris ca dans ta poche, imb'ecile, pour t’aider `a deviner mon nom… Tu n’y arrives pas ? Tr`es bien, je m’pr'esente : 'ecoutez, vous autres. Je suis Job Askings…
Or, `a ce mot, tous les mis'erables se pr'ecipit`erent vers Juve, les mains tendues, l’air radieux.
Seul, Bouzille peut-^etre, demeurait immobile.
Bouzille 'etait litt'eralement stup'efait.
— Eh bien, murmurait-il, ca, c’est marrant. Il en a plut^ot du culot, m’sieur Juve !
Mais qui donc 'etait Job Askings ?
La p`egre, les assassins, les voleurs, ceux qui vivent en marge de la soci'et'e et qui sont, `a travers l’organisation civilis'ee du monde, des b^etes sauvages, aux app'etits formidables, aux instincts terrifiants, ne sont pas en r'ealit'e ce que les d'eclarations polici`eres ordinaires tendraient `a faire supposer.