Le Cadavre G?ant (Гигантский кадавр)
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Puis la ligne s’affirmait encore.
Et c’'etait d'esormais, sur la glace, la carrure puissante d’un homme v^etu de sombre, que l’on apercevait. Ses v^etements paraissaient d'echir'es, v^etements immenses, grands comme des voiles de navires, comme d’immenses drapeaux.
Les rayons du soleil, caressant encore ce corps comme un pinceau lumineux, dessinaient les formes des deux jambes semblables `a des piliers de cath'edrale ou tout au moins `a de gros troncs d’arbres noueux, dont les racines tourment'ees de l’un 'etaient constitu'ees par les doigts d’un pied immense qui semblait avoir 'et'e violemment arrach'e de sa bottine, `a en juger par les plaies et les meurtrissures qu’il portait `a la surface.
Puis, au bout de quelques instants, cette extraordinaire vision s’att'enuait, se fondait, disparaissait compl`etement…
Et, d`es lors, le vieux savant et M me Verdon ne voyaient plus que les sommets du Casque-de-N'eron tels que la nature les avaient dessin'es, tels que jusqu’alors ils avaient toujours apparu, sans que jamais personne ait pu soupconner qu’un g'eant monstrueux avait eu l’id'ee de venir s’en servir comme d’un lit de repos !
Or, cette vision depuis longtemps avait cess'e, la montagne avait repris son aspect normal, que le professeur Marcus et M me Verdon 'etaient encore plong'es dans la stup'efaction la plus profonde.
Ils n’'echangeaient pas une parole, et, chose curieuse, l’un et l’autre paraissaient 'egalement atterr'es.
Enfin le g'eologue se leva.
Sa voix 'etait chang'ee, son front 'etait devenu grave et soucieux, son regard tr`es troubl'e…
Il articula lentement :
— Veuillez m’excuser, madame, de vous avoir importun'ee si longtemps de ma pr'esence, il importe que j’aille me pr'eoccuper de mes bagages. Le train qui les am`ene de Grenoble doit ^etre arriv'e, je vais jusqu’`a la gare.
Il ne parlait point de la vision, il ne regardait m^eme plus dans la direction du Casque-de-N'eron.
M me Verdon le laissa partir, se contentant d’acquiescer par un l'eger hochement de t^ete.
Elle articula cependant :
— Il importe que je me pr'eoccupe de votre installation, monsieur. Je m’en vais veiller `a ce que tout soit pr^et pour ce soir.
Les deux interlocuteurs, d`es lors, se s'eparaient.
Lorsqu’ils furent hors de vue l’un de l’autre, tous deux eurent une attitude v'eritablement extraordinaire.
Le professeur Marcus, qui jusqu’alors 'etait rest'e tr`es calme, marchait `a grands pas, frappant le sol du talon dans le petit sentier qui le conduisait de la propri'et'e de M me Verdon `a la gare de Dom`ene.
Il ne se tenait plus courb'e.
Il avait redress'e sa taille, et, s’avancant avec une merveilleuse assurance, cependant que ses yeux lancaient des 'eclairs, il grommelait, serrant les dents :
— Qu’est-ce que cela signifie, et comment se fait-il, non seulement qu’on puisse le voir, mais qu’on puisse le voir aussi gros ?…
Si quelqu’un avait devin'e la pens'ee du professeur Marcus, il ne se serait pas lass'e de l’interroger…
Assur'ement, pour penser de la sorte, le vieux savant devait en savoir long sur le g'eant apparu au Casque-de-N'eron, mais, peut-^etre, n’aurait-il pas voulu dire ce qu’il savait…
Quant `a M me Verdon, `a peine 'etait-elle rentr'ee dans sa maison, qu’elle courait `a sa chambre et ouvrait un tiroir.
Elle en sortait une photographie, celle d’un tout jeune homme, qu’elle consid'erait longuement en se pincant les l`evres.
Elle ne paraissait pas autrement 'emotionn'ee, mais plut^ot perplexe.
— C’est curieux, se demandait-elle, quelle ressemblance extraordinaire ! Ce pauvre malheureux a d'ej`a eu une mort bien 'etrange, on dirait que le sort s’acharne `a faire du myst`ere et de l’invraisemblable autour de lui. Mon Dieu, mon Dieu ! Qu’est-ce que cela signifie ?
M me Verdon se promenait d’un pas nerveux dans sa chambre, les bras crois'es, la poitrine haletante.
Tout son corps de vieille tressaillait ; elle 'etait r'eellement troubl'ee, elle articula lentement :
— Il va falloir que je sache si d’autres gens ont comme moi, comme le petit Louis F'erot, apercu cette extraordinaire vision. Il faut surtout que j’en parle `a Gauvin, le notaire, car Gauvin, lorsqu’il est revenu de Paris, m’a dit qu’il avait vu, bien vu et m^eme reconnu le cadavre !…
Chapitre XVIII
Le cadavre g'ean
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Quarante-huit heures s’'etaient 'ecoul'ees.
Par un brouillard intense comme il en r`egne parfois dans les r'egions montagneuses au d'ebut du printemps, un homme descendit du train venant de Paris, `a la gare de Grenoble, o`u il arrivait vers sept heures du matin.
D`es que ce voyageur, qui avait grelott'e pendant quinze heures dans son wagon et subi un ennuyeux changement de train `a Lyon vers quatre heures, fut sur le quai de la gare, il se mit `a faire les cent pas pour se r'echauffer les pieds, tandis qu’il relevait le col de son pardessus.
Puis, s’'etant enquis aupr`es d’un employ'e d’un renseignement qui sans doute lui tenait `a coeur, il parut fort d'esappoint'e d’avoir une r'eponse n'egative.
Cet homme avait demand'e :
— `A quelle heure le train pour Dom`ene part-il d’ici ?
Ce `a quoi le facteur de la gare lui avait r'etorqu'e :
— Le train de Dom`ene, monsieur, ne part point d’ici pour cette bonne raison que cette localit'e n’est point desservie par le chemin de fer du P.-L.-M. mais bien par la Soci'et'e des chemins de fer sur route Dauphinoise. Sortez de la gare, suivez l’avenue pendant trois cents m`etres ; vous arriverez `a la place Grenette et l`a, on vous indiquera l’horaire du train qui doit vous conduire `a destination.
— Merci, fit l’homme, qui, froncant les sourcils, toussant, crachant, enfonca son chapeau sur ses yeux d’un coup de poing, et partit `a pied dans la direction qu’on lui avait indiqu'ee.
— Dr^ole de citoyen ! pensait l’employ'e, qui le consid'erant avec un air m'eprisant, ajoutait `a mi-voix :
— Encore un mange-b'en'efice qui vient de voyager aux frais de la Compagnie !…
Ce personnage, en effet, qui 'etait descendu d’un wagon de premi`ere classe, avait remis `a la sortie de la gare un coupon de circulation gratuite.