Le Cadavre G?ant (Гигантский кадавр)
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Juve s’'etait attabl'e au fond du cabaret, et il profitait de la consid'eration qu’il avait fait na^itre imm'ediatement en commandant une bouteille de vin bouch'e pour faire causer le patron de l’'etablissement.
— Je suis courtier, disait-il, je vends des tapis. J’ai de superbes 'echantillons `a la gare, mais je les ai laiss'es pour ne pas m’encombrer. Vous qui ^etes du pays, ne pourriez-vous pas m’indiquer quelques personnes `a qui je pourrais aller faire des offres ?
`A quoi r'etorqua le cabaretier :
— Nous autres, ici, nous ne sommes gu`ere riches, et les gens qui ont un bas de laine, ne s’amusent pas `a faire du luxe. Les tapis, c’est du superflu, et je ne vois personne qui puisse vous en acheter, `a part l’'epicier du coin… Et encore ce sont des tapis brosses qu’il tient, comme qui dirait des paillassons. Est-ce que c’est cela votre genre ?
— Non, fit Juve en souriant. Moi, je tiens des tapis de Turquie, des tapis d’Orient, des tapis de luxe en un mot…
— Eh bien, mon garcon, coupa p'eremptoirement le cabaretier, si j’ai un conseil `a vous donner, c’est de vous en retourner, car vous ne ferez point d’affaire ici.
Le policier, toutefois, versait une rasade au patron de l’'etablissement.
— Prenez donc un verre avec moi ? disait-il.
Le cabaretier ne refusait pas.
Il souriait `a son h^ote inconnu, par amabilit'e, par politesse ; en r'ealit'e, il ne savait trop que lui dire.
Juve, cependant, reprenait la parole, car le policier avait son id'ee et, sans en avoir l’air, il interrogeait :
— J’ai vu comme ca, fit-il, dans le Bottin, qu’il y a par ici une vieille dame tr`es riche, qui poss`ede de jolies propri'et'es `a l’entr'ee du village…
Le cabaretier s’esclaffa :
— Ma parole ! Le Bottin est bien renseign'e, puisqu’il donne tous ces d'etails !… Ou alors, mon garcon, vous ^etes bien au courant des habitants du pays… Vous avez raison, toutefois, et je n’y pensais pas tout `a l’heure. C’est vrai, il y a une M me Verdon, qui passe pour la ch^atelaine du village ; mais je ne la crois pas bien riche. La meilleure preuve, c’est que ces temps derniers elle cherchait un pensionnaire…
Juve l’interrompit aussit^ot.
— Pr'ecisez, demanda-t-il. Elle cherche un pensionnaire ?
Le policier, en effet, venait d’avoir subitement l’id'ee que peut-^etre, sous le pr'etexte de venir habiter chez M me Verdon, il pourrait faire sa connaissance sans lui r'ev'eler sa qualit'e.
Mais le cabaretier d'etruisait aussit^ot cet espoir.
— Elle cherchait un pensionnaire, poursuivit-il, elle l’a m^eme trouv'e… Un dr^ole de type, par exemple… C’est un professeur, `a ce qu’on dit. Je l’ai vu hier ; il est venu ici commander de la bi`ere et embaucher des domestiques pour le compte de M me Verdon.
— Elle n’avait donc pas de domestiques ? demanda Juve.
— Pas jusqu’`a pr'esent, sauf une femme de m'enage. Or, para^it que maintenant, depuis qu’elle a ce pensionnaire, il y aurait dans la maison valet de chambre, femme de chambre et cuisini`ere. `A quand le cocher et l’automobile ?…
Le cabaretier plaisantait. Juve, cependant, devenait perplexe. Assur'ement, la conduite de cette dame Verdon 'etait assez bizarre ! Comme l’avait dit le cabaretier, le fait de prendre un pensionnaire d'enotait qu’assur'ement la propri'etaire ne devait pas ^etre tr`es fortun'ee, mais le fait que sit^ot ce pensionnaire trouv'e, elle faisait des frais 'enormes, tels que l’engagement d’une domesticit'e nombreuse, 'etait de nature `a surprendre plus encore.
Juve interrogea.
— Ce pensionnaire, ce professeur, quel homme est-ce ?
— Un vieux, r'etorqua le cabaretier, avec une grande barbe blanche et un long manteau qui lui tombe jusqu’aux chevilles. Il a l’air d’un vieux juif allemand. Para^it qu’il est astrologue ou g'eologue, je ne sais pas exactement. Il s’appelle Marcus, et arrive du fin fond de la Suisse… Mais, au fait, qu’est-ce que tout cela peut bien vous faire ?
La question du cabaretier frappait Juve. Il r'etorqua simplement :
— Si je vous demande ces renseignements, c’est toujours dans l’espoir que je vais d'ecouvrir, en causant avec vous, quelqu’un qui pourra m’acheter des tapis.
Un coup de sifflet rauque retentissait : c’'etait le train sur route qui arrivait de Grenoble avec une demi-heure de retard.
Et tandis que le cabaret, consid'er'e comme salle d’attente, se vidait instantan'ement, et que les wagons du petit chemin de fer se remplissaient de voyageurs, Juve quittait aussi la salle d’auberge, et s’en allait dans la direction de la propri'et'e habit'ee par M me Verdon.
Une heure apr`es, le policier revint dans le cabaret. Il 'etait de fort mauvaise humeur et son visage peignait assur'ement ses sentiments, car le cabaretier, l’ayant apercu, s’en vint s’asseoir `a c^ot'e de lui.
Il lui tapait famili`erement sur l’'epaule.
— Eh bien, mon garcon, dit-il, il faut croire que ca n’a pas march'e !… Vous avez l’air tr`es ennuy'e !
— Oui, reconnut Juve, cette dame n’a m^eme pas voulu me recevoir !
— Bast ! fit le cabaretier. Un client de perdu, dix de retrouv'es… Il faut se faire une raison, mon ami. Vous avez l’air fatigu'e ; `a votre place, je d'ejeunerais bien tranquillement ici et ensuite je m’en irais `a Grenoble, o`u je serais s^ur de faire plus d’affaires.
— Peut-^etre avez-vous raison, poursuivit Juve qui s’attablait et, m'elancoliquement, commencait le repas que lui avait conseill'e de faire le cabaretier.
Juve, en effet, n’avait pas 'et'e recu chez M me Verdon.
Il n’avait pas insist'e pour arriver jusqu’aupr`es d’elle, ce qui lui aurait 'et'e ais'e s’il avait voulu faire conna^itre sa qualit'e d’inspecteur de police, s’il avait simplement prononc'e son nom.
Mais Juve, dans cette affaire, tenait `a faire ses enqu^etes incognito, et les domestiques lui ayant r'epondu d’un ton bourru que madame ne le recevrait certainement pas, il s’en 'etait all'e.
Dans l’apr`es-midi, Juve regagnait lentement Grenoble. Il pouvait ^etre environ trois heures et demie ou quatre heures, lorsque soudain, dans le tramway o`u il se trouvait, une vive 'emotion sembla se d'eterminer soudainement.
On 'etait arr^et'e dans une petite gare, et les voisins de Juve, des campagnards et des campagnardes, avaient tous quitt'e leur place, s’'etaient port'es en masse d’un seul c^ot'e du train-tramway et, ayant abaiss'e les vitres pour regarder par les fen^etres ouvertes, scrutaient le ciel d’un air anxieux et intrigu'e.