Le Cadavre G?ant (Гигантский кадавр)
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— Le pied du g'eant ! cri`erent-ils.
Et, en effet, `a leurs yeux stup'efaits, se r'ev'elait une vision extraordinaire :
C’'etait un pouce, un pouce 'enorme… un pouce de pied nu, qui leur apparaissait `a travers la transparence de la glace, un pouce qu’ils apercevaient, maintenant que le soleil frappait directement sur le glacier !
Cependant que le guide reculait d’'epouvante, Juve se pr'ecipitait en avant. La corde se tendait entre lui et son guide ; il la coupait d’un coup de hachette et, sans se douter du danger qu’il courait, il se glissait sur le bloc de glace. D`es lors Juve demeura cramponn'e `a une aiguille qui fondait sous la chaleur de son corps, abasourdi, stup'efait de ce qu’il voyait.
Oh ! la chose 'etait d'esormais facile `a comprendre, et le policier, en l’espace d’une seconde, avait l’explication des apparitions extraordinaires qui avaient tellement troubl'e, depuis quarante-huit heures, la population de Grenoble et des environs.
Les gens ne s’'etaient pas tromp'es en disant qu’il y avait quelqu’un dans la montagne, mais leurs sens avaient 'et'e abus'es lorsqu’ils avaient pris ce quelqu’un pour un g'eant !
C’'etait, au contraire, un homme petit, fluet et mince, un homme mort… un cadavre !
Juve, qui avait p^ali en le voyant, serrait les poings en le contemplant. Car, cette fois, il n’y avait plus de doute, et les soupcons qu’il avait form'es la veille dans le tramway qui le reconduisait `a Grenoble se pr'ecisaient nettement dans son esprit.
Juve 'etait en pr'esence du cadavre de l’infortun'e Daniel, et le cadavre du malheureux garcon 'etait emprisonn'e dans une enveloppe de glace, comme une statue dans son moule.
Or, il s’'etait pass'e un ph'enom`ene que Juve comprenait tr`es bien : chaque fois que le soleil dardait ses rayons, selon un certain angle, sur cette glace 'epaisse, celle-ci formait une v'eritable lentille, grossissant d'emesur'ement les corps qu’on voyait par transparence au milieu du bloc de glace.
Voil`a pourquoi le cadavre de l’infortun'e Daniel, apercu `a un certain moment de la soir'ee, lorsque le soleil l’'eclairait, semblait, vu de Grenoble et des environs, ^etre le cadavre d’un g'eant !
Juve, s’il avait d'ecouvert, en raisonnant, ce simple probl`eme de physique, l’explication du myst`ere qui troublait Grenoble, 'etait pour son compte terriblement stup'efait !
Il n’osait croire ses yeux, ne comprenait point ce qui s’'etait pass'e, car il n’y avait pas de doute, dans cette glace se trouvait le cadavre de Daniel. Or, ce cadavre, Juve l’avait vu l’avant-veill'e, avant de quitter Paris, sur les dalles de la morgue.
Cela paraissait bien improbable. Il interrogea n'eanmoins le guide.
Celui-ci 'etait rest'e au pied du bloc de glace, n’osant s’approcher, ne sachant m^eme pas ce que Juve avait d'ecouvert.
Le policier lui demanda :
— Dites-moi, mon ami, quel est le jour o`u, pour la premi`ere fois, on a vu ce g'eant dans la montagne ?
Le guide r'efl'echit un instant, puis il d'eclara :
— Ce sont les enfants de l’'ecole, monsieur, qui l’ont vu pour la premi`ere fois. L’apparition a eu lieu mercredi dernier, `a quatre heures.
— Vous ^etes s^ur, demanda Juve d’une voix qui tremblait l'eg`erement, que c’est mercredi `a quatre heures ?
— J’en suis s^ur, fit le guide.
— C’est bien ! articula Juve simplement.
Mais d`es lors, le policier se sentait bl^emir ; il lui semblait que son coeur s’arr^etait de battre…
Il n’y avait pas de doute, le guide ne mentait point ; on avait vu le g'eant le mercredi soir de Grenoble, c’est-`a-dire qu’il 'etait certain que le mercredi le cadavre de Daniel se trouvait dans la montagne. Or, c’'etait le m^eme jour, ce m^eme mercredi, que Juve avait vu, `a la morgue, le cadavre d’un mort, qu’il avait pris pour celui de Daniel !
Il y avait donc confusion ? Il y avait donc deux cadavres ? Et puisque celui de la montagne 'etait bien celui de Daniel, quel pouvait bien ^etre celui de la morgue, `a Paris ?…
Juve 'epongea son front ruisselant de sueur froide. Il savait la ressemblance qui existait entre Fandor et Daniel, ressemblance due `a un savant maquillage du mort, ressemblance dont Fant^omas avait tir'e d'ej`a parti pour une premi`ere occasion ; Juve se demanda :
— Mon Dieu, mon Dieu ! est-ce possible ?… Puisque le cadavre qui est ici, dans la montagne, est celui de Daniel, le mort que j’ai apercu avant de partir pour Grenoble, dans le frigorifique de la morgue ne serait-il pas Fandor ?…
Chapitre XIX
Sous les vo^utes de Notre-Dame
— Eh bien, quoi de nouveau, monsieur Fandor ?
— Ma foi, pas grand-chose, monsieur Bouzille ! C’est plut^ot `a vous qu’il faut demander cela, vous qui faites le gros dans la ville, et qui vivez comme un rentier depuis que vous ^etes fonctionnaire !
— Fonctionnaire de l’'Etat, monsieur Fandor ! C’est quelque chose de mieux que fonctionnaire ordinaire ! C’est comme qui dirait surfonctionnaire…
Fandor souriait silencieusement, jugeant inutile d’expliquer `a Bouzille que le fait d’^etre simplement fonctionnaire impliquait forc'ement celui d’^etre fonctionnaire de l’'Etat…
Le journaliste avisait une sorte de besace que Bouzille portait en bandouli`ere, et dont l’'epaisseur faisait loucher Fandor.
— Ah ! ah ! articula-t-il, en se frottant les mains, c’est mon d'ejeuner qui est l`a-dedans ?
— Comme vous dites, monsieur Fandor… nourriture de l’esprit et nourriture du corps ! Des journaux pour la rigolade et l’instruction, et de la victuaille ainsi que de la boisson pour se caler les joues…
Cette conversation joyeuse entre l’in'enarrable chemineau devenu fonctionnaire et l’intr'epide journaliste 'etait d’autant plus surprenante qu’elle paraissait en contradiction formelle avec le local dans lequel elle se passait.
C’'etait, en effet, une sorte de cellule obscure, suintant l’humidit'e, uniquement meubl'ee d’un grand coffre, qui avait plut^ot l’air d’un cercueil que de tout autre chose.
C’'etait pourtant dans ce coffre que Fandor, roul'e dans de chaudes couvertures, venait de passer la nuit. Il s’'etait 'eveill'e `a l’entr'ee de Bouzille qui, d’un air myst'erieux, p'en'etra dans cette pi`ece o`u, sans doute, l’attendait le journaliste.
Fandor 'etait toujours `a la morgue. Il n’avait pas renonc'e `a son projet, bien plus tranquille, pensait-il, bien plus s^ur de r'eussir `a attirer vers lui Fant^omas, depuis que par suite d’une chance inesp'er'ee et d’un hasard miraculeux, Bouzille nomm'e `a l’emploi de gardien de la morgue, se trouvait `a m^eme de l’aider.
La situation de Fandor 'etait r'eellement extraordinaire. Le journaliste, depuis qu’il avait arr^et'e son fameux projet, et ne voulait point en d'emordre, bien que les jours passassent sans le mettre en pr'esence de Fant^omas, demeurait en r'ealit'e au milieu des cadavres, dans le sinistre d'ep^ot administratif o`u l’on place les d'efunts dont l’identit'e n’a pas pu ^etre d'etermin'ee, ou alors que la police retient afin de faire des expertises.