Le mariage de Fant?mas (Свадьба Фантомаса)
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— Pardon, murmura le courtier qui, d’un air humble, ajouta :
« Je n’ai pas beaucoup d’esprit, mais je suis un brave homme, et si j’imagine toutes sortes de b^etises, c’est histoire de vous faire rire. Dame, 'evidemment, ca n’est pas dr^ole, mon m'etier, ni le v^otre non plus, ne parler que de cercueils, de cadavres.
— Elles sont jolies, n’est-ce pas ? r'epondit Delphine en regardant les jarretelles.
Et Coquard, un instant assombri, retrouvait sa gaiet'e pour d'eclarer :
— Savez-vous ce que vous feriez si vous 'etiez gentille ?
— Non, et je ne veux m^eme pas le savoir.
— Je vais vous le dire tout de m^eme. Eh bien, vous me permettriez de vous les essayer.
— Insolent, imb'ecile ! s’'ecria Delphine en se d'egageant.
Puis, tous deux s’arr^et`erent net, embarrass'es. Quelqu’un venait d’entrer dans le vaste hall, un jeune homme d’une extr^eme distinction, au visage p^ale, au cr^ane poli comme une boule d’ivoire, `a la moustache blonde et tombante, un jeune homme dont les mains maigres et longues 'etaient surcharg'ees de bagues.
— Zut, v’l`a le patron ! souffla Coquard.
C’'etait, en effet, le marquis Ange de Villars, directeur de l’entreprise des Pompes Fun`ebres, qui venait d’entrer dans le hall des cercueils pour donner des instructions `a son personnel.
***
`A six heures du soir, les ateliers de la rue Croix-Nivert se vidaient et, dans la rue, se r'epandait une foule de trois cent cinquante ouvriers et ouvri`eres qui s’'eparpillaient rapidement dans le quartier.
Delphine Fargeaux monta en h^ate `a l’appartement qu’elle occupait dans une rue voisine, changea son uniforme de deuil contre une toilette tapageuse, puis redescendit, sauta dans un fiacre auquel elle donna pour adresse :
— Place d’Anvers.
Lorsqu’elle arriva dans le quartier mouvement'e de Montmartre, quiconque aurait vu cette pimpante et jolie personne ne se serait vraiment pas dout'e de la profession qu’elle remplissait dans la journ'ee. Elle ne faisait point tache dans ce quartier de plaisirs et de f^etes.
Delphine Fargeaux r'egla sa voiture, puis, amus'ee `a l’id'ee qu’elle allait au rendez-vous de quelqu’un qu’elle ne connaissait pas, elle s’avanca lentement dans le square d’Anvers. Le soir tombait et d'ej`a le cr'epuscule jetait une ombre grise sur le jardin que les m`eres et leurs enfants quittaient.
Delphine Fargeaux demeura seule quelques instants, lorsqu’elle eut un soubresaut. Quelqu’un l’interpella, d’une voix grasse, 'eraill'ee :
— Alors, ca va toujours, mam’zelle Delphine ?
— Ah, par exemple, fit-elle, c’est vous, Barnab'e ?
Devant elle se trouvait un individu aux allures communes, `a la face terreuse, aux habits malpropres. Il avait une haleine avin'ee et des yeux inject'es. Delphine Fargeaux le connaissait bien : c’'etait Barnab'e, l’un des fossoyeurs de l’administration avec lequel elle avait souvent `a s’entendre pour des d'etails de m'etier.
— Ah non, par exemple, vous en avez un culot, vous ! Si vous croyez que c’est rigolo de vous rencontrer, surtout dans l’'etat o`u vous ^etes !
— De quoi ? grogna le fossoyeur. Il n’y a pas de d'eshonneur et c’est bien malheureux que vous fassiez la fi`ere, car vous ^etes une jolie fille et ca ne vous co^uterait pas cher.
— Voyou ! s’'ecria Delphine, laissez-moi tranquille.
Et cependant que Barnab'e, titubant sur ses jambes, cherchait surtout `a assurer son 'equilibre, Delphine Fargeaux, rebroussant chemin, s’'ecarta, redoutant d’^etre vue en conversation avec cet homme par l’inconnu qu’elle attendait.
Comme elle traversait le square, Delphine Fargeaux se heurta soudain `a un jeune homme. Celui-ci sourit en la regardant, puis, la saluant poliment, il demanda :
— M me Delphine Fargeaux ?
— Oui, c’est moi, fit la jeune femme qui rougit.
Le jeune homme avait tir'e de sa poche le petit calepin noir :
— Ceci vous appartient n’est-ce pas, madame ?
— En effet, je vous remercie bien, monsieur.
Mais Fandor, car c’'etait lui, ne rendait point le carnet.
— Un instant, dit-il, je voudrais, au pr'ealable, vous poser, madame, une petite question. N’y voyez pas une curiosit'e malsaine, mais simplement l’int'er^et que je vous porte. Je suis J'er^ome Fandor et mon nom vous dit peut-^etre quelque chose, s’il est exact que vous ^etes M me Delphine Fargeaux ?
La jeune femme r'epondit affirmativement : les deux interlocuteurs s’assirent sur un banc.
Ils y pass`erent pr`es d’une heure.
Fandor et son interlocutrice pouvaient avoir, en effet, bien des choses `a se dire, et si Delphine Fargeaux avait voulu parler, elle aurait pu mettre Fandor au courant de quantit'e d’aventures et d’incidents qui auraient singuli`erement int'eress'e le jeune homme qui, depuis qu’il s’'etait 'echapp'e miraculeusement des ruines du phare de l’Adour, ne savait en r'ealit'e que fort peu de choses sur les dramatiques aventures qui avaient rendu Delphine Fargeaux veuve, l’avaient forc'ee `a quitter les Landes pour venir `a Paris.
Peut-^etre, un jour, Delphine Fargeaux parlerait-elle, lorsqu’elle conna^itrait mieux Fandor ; cela 'etait dans les choses possibles ; peut-^etre m^eme Delphine aurait-elle dit tout ce qu’elle savait au journaliste si, le matin de ce m^eme jour, le courtier Coquard n’'etait venu lui annoncer le d'ec`es de la ni`ece de l’infant d’Espagne, la mort d’une certaine Merc'ed`es de Gandia, dont Delphine ne soupconnait m^eme pas l’existence.
Delphine savait encore autre chose. Elle savait, pour l’avoir entendu dire `a Juve, quelques semaines auparavant, que Fandor 'etait 'epris d’une jeune fille nomm'ee H'el`ene, laquelle n’'etait autre que la fille de Fant^omas. Or, Delphine avait vu, de ses yeux vu, les hommes de l’infant d’Espagne enlever H'el`ene pour la conduire de force `a leur ma^itre.
— Si jamais, pensait Delphine Fargeaux, Fandor se doutait de ce que je crains pour lui, s’il apprenait que peut-^etre, `a l’heure actuelle, la soi-disant ni`ece de l’infant d’Espagne n’est autre que son H'el`ene ?… le malheureux !
La nuit 'etait tomb'ee tout `a fait que J'er^ome Fandor et Delphine Fargeaux s’entretenaient encore, et si Delphine n’avait pas communiqu'e ses appr'ehensions `a Fandor, elle lui avait n'eanmoins racont'e par le menu son existence depuis le jour o`u la mort de son mari l’avait rendue libre, mais ruin'ee aussi, ce qui l’obligeait `a venir `a Paris, `a y gagner sa vie, `a accepter le poste qu’on lui proposait aux pompes fun`ebres, et `a mener cette existence qu’elle t^achait d’oublier chaque soir, en menant joyeuse vie `a Montmartre.
2 – L’ENTERREMENT DE MERC'ED`ES
La rue Erlanger 'etait d'eserte. Au beau temps de la veille avait succ'ed'e une pluie diluvienne, une de ces pluies du printemps, qui chargent le ciel d’encre et font ruisseler des flots d’eau brune dans le caniveau.
Les fen^etres de l’h^otel de don Eugenio 'etaient jalousement ferm'ees. On avait tir'e les volets. `A l’int'erieur c’'etait aussi le silence, `a peine troubl'e par quelques chuchotements discrets. La nouvelle s’'etait vite r'epandue, en effet, dans le quartier, que la ni`ece de l’infant d’Espagne, do~na Merc'ed`es de Gandia, 'etait d'ec'ed'ee apr`es une courte maladie. On connaissait peu cette jeune fille que la rumeur publique, cependant, disait ^etre admirablement belle ; beaucoup ignoraient m^eme son existence ; la plupart des voisins s’imaginaient que l’infant d’Espagne, c'elibataire, vivait seul dans son h^otel de la rue Erlanger. Quelques-uns, cependant, avaient not'e que ces temps derniers, l’infant, apr`es une longue absence, 'etait revenu `a Paris accompagn'e d’une dame, mais tandis que don Eugenio s’en allait au Bois, d'ejeunait en ville, ou se montrait au th'e^atre, jamais, ou tr`es rarement, il ne se faisait accompagner de cette personne que l’on savait d'esormais ^etre sa ni`ece.