Le mariage de Fant?mas (Свадьба Фантомаса)
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— Par ici, messieurs, leur dit-il.
Et il les pr'ec'eda dans le hall de l’h^otel o`u se trouvait la bi`ere, apport'ee la veille.
D'egueulasse la chargea sur ses 'epaules.
— O`u c’est-y qu’on va ? demanda-t-il `a voix basse.
Ils entr`erent dans la chambre mortuaire.
La morte 'etait l`a, rigide, immobile, le visage blafard, les l`evres bleuies. Autour d’elle se r'epandait une violente odeur d’encens et de fleurs. La pi`ece 'etait plong'ee dans une demi-obscurit'e, `a laquelle cependant les nouveaux arrivants ne tard`erent pas `a s’habituer.
D'egueulasse posa la lourde bi`ere `a terre `a c^ot'e du lit, cependant que son compagnon, relevant le drap, enveloppait le corps souple et gracieux dans le vaste linceul. Les deux hommes se firent un signe, puis brusquement, enlev`erent le corps et le d'epos`erent sur le capiton de satin de la bi`ere.
En l’espace de quelques secondes, ils ferm`erent le cercueil, l’emport`erent, le descendirent au rez-de-chauss'ee o`u les employ'es des pompes fun`ebres achevaient de dresser la chapelle ardente.
Tous alors se retir`erent et les croque-morts all`erent se dissimuler dans un coin du jardin. Conform'ement aux ordres qu’ils avaient recus, ils devaient y attendre, l’arriv'ee du corbillard pour y placer le cercueil `a l’heure du d'epart.
***
Une foule assez nombreuse arrivait.
C’'etaient des personnages officiels, puis quelques femmes v^etues de noir qui d'efilaient silencieusement devant la chapelle ardente install'ee `a l’entr'ee de l’h^otel. Les femmes se signaient en passant, les hommes s’inclinaient. On se rendit ensuite dans une vaste pi`ece du rez-de-chauss'ee o`u l’infant et quelques personnes de son entourage recurent les condol'eances.
Jamais on n’aurait cru qu’il s’agissait des obs`eques d’une princesse de sang royal. Il devait y avoir l`a-dessous quelque myst`ere, mais nul ne paraissait autrement surpris de la chose.
D'egueulasse et Fumier, les deux croque-morts, commencaient `a s’ennuyer ferme dans le jardin dont l’ordonnateur leur avait recommand'e de ne point sortir, cela parce que leur r'eputation d’ivrognes 'etait 'etablie et qu’il 'etait av'er'e que d`es qu’ils avaient une minute de libert'e, ils se rendaient pour boire au cabaret le plus proche.
Ils 'etaient l`a depuis trois quarts d’heure environ lorsqu’ils entendirent un l'eger coup de sifflet.
— C’est pour nous, fit D'egueulasse, on va se d'ebiner.
— C’est 'egal, quelle trotte `a faire de c’t’endroit jusqu’au cimeti`ere Montmartre. Si seulement…
— Si seulement, poursuivit Fumier, on pouvait dire au collignon [1] de cavaler un peu, ca ferait gagner du temps.
Les deux hommes, rajustant leurs habits, assujettissant leur chapeau de cuir sur leur t^ete, se rapproch`erent de la chapelle ardente.
— M^atin, murmura D'egueulasse, c’est tout de m^eme de la belle client`ele.
Le ma^itre des c'er'emonies qui officiait ce jour-l`a, n’'etait autre que le patron lui-m^eme, le marquis Ange de Villars.
Stimul'es par la pr'esence du grand chef, les deux croque-morts all`erent se joindre `a deux autres qui venaient d’arriver, puis, `a un signal donn'e, ils se rapproch`erent de la bi`ere, l’enlev`erent et la port`erent jusqu’au corbillard.
Quelques instants plus tard, le cort`ege se mettait en marche lentement, majestueusement, cependant que le corbillard surcharg'e de couronnes, de superbes gerbes de fleurs, r'epandait autour de lui une exquise atmosph`ere du parfums et de jeunesse.
3 – LES APACHES S’AMUSENT
— Allez, cavale, OEil-de-Boeuf, monte mon vieux. Non, des fois, tu vas pas te fiche par terre ! M’sieu le conducteur, combien que vous nous ferez payer les places ? Y’a une r'eduction, pas vrai, quand on est plusieurs ?
Derri`ere le grand voyou, mince et bl^eme qui, le premier, avait r'eussi `a sauter sur la plate-forme du tramway Auteuil-Saint-Sulpice, une bande d’autres gaillards aux allures louches, se pressait.
— Complet `a l’int'erieur. `A l’imp'eriale, `a volont'e.
— Le 66, le 67…
— Avance donc, eh poireau !
Ils 'etaient bien sept ou huit, tous un peu m^urs, ayant vid'e force chopes et lich'e quantit'e de petits verres. Ils montaient en se bousculant, narguant le conducteur, poussant des cris d’oiseaux et avaient bien plut^ot l’air de prendre d’assaut la voiture publique que de vouloir rentrer paisiblement chez eux.
Aussi bien, il 'etait tard, pr`es de dix heures, et le quartier de Grenelle 'etait retomb'e au silence, au sommeil. `A peine de loin en loin, voyait-on dans la nuit les vitrines flamboyantes des assommoirs o`u les r^odeurs continuaient `a faire ripaille.
Le conducteur commencait `a s’'enerver :
— Allons, c’est-il que vous montez ou que vous ne montez pas ?
La demande s’adressait `a deux femmes qui demeuraient sur le pav'e, `a se disputer.
— Hisse ! cria l’une.
— On monte, on monte ! r'ep'eta l’autre.
Elles s’engageaient en effet dans le petit escalier de l’imp'eriale, continuant `a 'echanger des propos aigres-doux et paraissant de moins en moins d’accord. L’une 'etait une superbe fille `a la chevelure noire abondante, au teint mat, `a l’allure espagnole, qui r'epondait au nom de la Recuerda ; elle 'etait c'el`ebre parmi les apaches de M'enilmontant. L’autre, plus timide, souriante, v^etue `a la facon d’une petite bonne en rupture de place s’appelait Ad`ele.
— Avance, avance ! hurlait la boniche, poussant devant elle sa compagne, on r'eglera ca plus tard ma fille, c’est pas encore toi qui me montera le coup !
La Recuerda se retourna :
— On r'eglera ca quand tu voudras, tout de suite, aujourd’hui ou demain, tu entends ?
— J’entends.
Elles d'ebouchaient sur l’imp'eriale, et leur apparition fut salu'ee d’exclamations joyeuses :
— Tiens, v’l`a les gonzesses qu’avaient perdu leurs hommes.
OEil-de-Boeuf, le terrible apache qui tant de fois avait d'efray'e la chronique criminelle, envoya une lourde taloche sur l’'epaule de Mort-Subite, son vieux copain depuis longtemps revenu de la Nouvelle [2].
— Non mais, zieute-les, crois-tu qu’elles vont se bouffer les puces sur le dos ?
Sur l’imp'eriale d’ailleurs, ils ne s’'etaient assis ni les uns ni les autres. B'eb'e, mis en gaiet'e par un certain raspail [3] consomm'e au dernier cabaret, jouait a saute-mouton, par-dessus la banquette transversale pour le plus grand plaisir d’une grosse fille, qui le regardait en louchant, et que de temps `a autre, il interpellait famili`erement :