Les souliers du mort (Ботинки мертвеца)
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— Pas encore, r'epondit Fandor. Donc, vous avez tout trouv'e boulevers'e, du sang de tous les c^ot'es et pas de cadavre ?
— Vous me faites froid dans le dos, riposta la concierge en se signant, vrai, vous parlez de ca comme un homme qu’en a l’habitude, moi, rien que d’y penser…
Mais la brave femme ma^itrisait vite son 'emotion, elle 'etait d’ailleurs tr`es fi`ere de documenter le journaliste, elle insistait sur les moindres d'etails :
— Naturellement, m’sieu Fandor, quand j’ai vu l’appartement sens dessus dessous que c’en 'etait une horreur, je me suis dit : il s’est pass'e ici quelque chose de pas ordinaire. C’'etait bien ce que je devais penser, hein ?
— Oui, conc'eda Fandor, mais ce que vous avez pens'e importe peu. Qu’avez-vous fait ?
— Dame, j’ai cherch'e partout ce pauv’ monsieur Baraban.
— Et vous ne l’avez trouv'e nulle part ?
— C’est comme vous dites, affirma la concierge.
Elle s’'epongeait le front avec un mouchoir `a carreaux dont Fandor, `a part lui, admirait l’ampleur, puis elle continua :
— Alors, n’est-ce pas, on a 'et'e chercher la police, on a fait une partie de l’enqu^ete, comme ils disent, et tout de suite, on a constat'e qu’il manquait, dans l’appartement, une grande malle jaune, une malle 'enorme, une malle quoi, comme l’a dit M. le Commissaire de police, o`u on avait tr`es bien pu cacher le mort.
La concierge but un petit verre de rhum, tout pr'epar'e sur le dressoir de sa loge, toussa, prisa, puis se moucha avec un grand bruit :
— M’sieu Fandor, je vous dis que c’est dans cette malle qu’ils l’ont emport'e le pauv’ bonhomme. Ah, tenez, on ne devrait pas permettre de faire des malles aussi grandes que ca !
Mais Fandor, naturellement, refusait d’entrer dans la discussion d’une pareille disposition l'egislative :
— Vous avez peut-^etre raison, remarquait-il simplement, mais voyez-vous, madame Hippolyte, comme vous n’^etes pas d'eput'e et moi non plus, ce n’est pas nous qui ferons voter cette loi-l`a. Revenons donc au fait. Vous dites qu’il y avait une malle jaune chez ce M. Baraban ? Et qu’elle n’y est plus. Bien, avez-vous vu sortir cette malle ?
— Non bien s^ur.
— Soupconnez-vous enfin comment elle a pu ^etre enlev'ee ?
— Sur le bon Dieu, je vous jure que non.
Fandor fit la grimace :
— Cela se complique, murmurait-il, car enfin, une malle ca ne s’enl`eve pas comme ca.
Et, apr`es un instant de r'eflexion, il demanda encore :
— Il y a eu beaucoup d’all'ees et venues dans la maison, hein, cette nuit ? Vous avez tir'e le cordon plusieurs fois ?
Mais la concierge protestait :
— Ma foi non, pas du tout ! D’ailleurs, voil`a comment les choses se sont pass'ees : Hier soir, sur le coup de neuf heures et demie, M. Baraban est rentr'e avec sa ni`ece.
— Oh, oh, remarqua Fandor, vous avez vu la victime `a neuf heures et demie ?
— Je l’ai vue bien plus tard, mais attendez donc. `A neuf heures et demie, comme je vous le dis, M. Baraban est rentr'e avec sa ni`ece.
— Alors, interrompit Fandor, ils sont sortis ?
— Oui, affirma la concierge. `A dix heures et demie, comme ca, on m’a demand'e la porte. « Vous d'erangez pas » qu’on m’a cri'e, « c’est nous. » C’est nous. Vous comprenez bien, m’sieu Fandor, c’'etait M. Baraban et sa ni`ece qui sortaient.
— Oui, apr`es ?
— Ah dame, apr`es, le pauv’ cher homme, il est rentr'e. Il est rentr'e pr'ecis'ement pour devenir la proie des assassins. Moi, ca me bouleverse.
La concierge s’essuyait encore le front, puis achevait sa d'eposition :
— Comme ca, sur le coup de minuit, `a minuit juste m^eme, car ma pendule sonnait, j’ai entendu qu’on carillonnait `a la porte d’entr'ee. Comme de juste, j’ai ouvert. « C’est moi Baraban » qu’on m’a dit, « bonsoir ». C’'etait ce pauvre cher M. Baraban qui rentrait.
Fandor, naturellement, prenait des notes.
— Ainsi, interrompit-il, le crayon lev'e au-dessus de la page de son block notes, vous ^etes certaine que M. Baraban est rentr'e `a minuit ?
— Oui, j’en suis certaine ! M^eme qu’il avait mal ferm'e la porte et qu’il est revenu sur ses pas pour la tirer. Ah, le pauvre cher homme, c’est pas lui qui m’aurait fait relever.
Fandor ne sourcillait pas `a cette remarque, car il avait eu r'ecemment une grande dispute avec la digne femme, ayant un jour, en rentrant tard, mal tir'e la porte coch`ere, et cette allusion 'etait une pierre dans son jardin.
— Et alors apr`es, interrogeait-il, que s’est-il pass'e ?
La concierge levait les bras au ciel.
— Apr`es ? Dame, j’en sais rien ! C’est `a ce moment-l`a qu’on a d^u le tuer. Et puis, ils ont sorti la malle, et puis…
— L`a, l`a, pas si vite.
J'er^ome Fandor allait questionner encore la digne femme, lorsque la porte de la loge s’ouvrait. Une voix grave, une voix bien timbr'ee, interrogeait :
— Eh bien ? Tu as fait l’enqu^ete ? Qu’est-ce que tu sais ?
Fandor se retourna :
— Ah, c’est vous, Juve ! Enchant'e de vous voir. On en fait de belles chez moi, hein ?
Fandor passait son papier couvert de notes `a Juve, le mettait au fait en deux mots :
— Vous voyez que cela est tr`es clair, disait le journaliste, un vieux bonhomme rentrant tard, probablement suivi par quelque individu qui se glisse dans la maison, `a la faveur d’une porte mal referm'ee, qui monte derri`ere lui, l’assassine, cambriole les meubles, coule sa victime dans une malle, et s’en va, je suppose, la porter `a la Seine, ou l’abandonner dans une consigne quelconque. Il n’y a rien de myst'erieux et l’assassin…
— L’assassin, interrompit Juve d’une voix un tantinet ironique, Havard l’a fait arr^eter.
Fandor allait questionner le policier, lorsque celui-ci, d’un geste, l’attirait de quelques pas `a l’'ecart.
— Es-tu mont'e l`a-haut ? demandait-il.
— Non, pas encore.
— Alors, tu vas m’accompagner.
Et Juve ajoutait :
— Ta concierge est un peu bavarde, hein, Fandor ?
— Non, ripostait le journaliste, pas un peu, beaucoup. Pourquoi ?