Les souliers du mort (Ботинки мертвеца)
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Fandor eut un sourire pour r'epondre :
— Je suis journaliste, d'eclara-t-il.
Mais le sergent de ville ne connaissait que sa consigne :
— Tant pis, j’ai ordre de ne laisser passer personne.
— Laissez-moi finir, interrompit Fandor sans se f^acher, je suis journaliste, et j’habite ici.
Il voulait d'epasser le gardien, l’autre le retenait par le bras :
— Tout ca, c’est des boniments, commencait le gardien de la paix. On les conna^it, vos trucs de journalistes ! Vous ne passerez pas.
Mais, si le gardien pr'etendait reconna^itre les ruses des reporters, il ne connaissait certainement point l’ent^etement de son interlocuteur.
Fandor ne se troubla pas.
— Mon cher monsieur, d'eclarait-il, au grand amusement des badauds qui s’attroupaient de plus en plus, je vous jure que vous m’ennuyez. J’habite ici, je me nomme J'er^ome Fandor, je paie mon terme, je ne dois rien `a l’imp^ot, ma concierge m’adore, quand vous seriez le pr'efet de police, vous ne m’emp^echeriez pas de rentrer chez moi, si j’en ai envie.
J'er^ome Fandor allait alors faire connaissance ou plut^ot refaire connaissance, car il y avait longtemps qu’ils 'etaient de vieux amis, avec l’intransigeance de l’autorit'e, repr'esent'ee par la personne d’un sergent de ville, lorsqu’au bout du couloir, apparaissait la silhouette d’une grosse femme, aux jupons sangl'es, qui levait les bras au ciel, tra^inait une savate `a son pied droit, 'etait chauss'ee d’un soulier au pied gauche et paraissait affol'ee :
— H'e, madame Gertrude, appela Fandor, arrivez donc `a mon secours ! On ne veut pas me laisser rentrer.
La concierge – car c’'etait la concierge – accourait imm'ediatement :
— J'esus, Marie, faisait-elle se pr'ecipitant vers le journaliste, ah, ben, il ne manquait plus que cela, maintenant !
Et, s’adressant au sergent de ville, la concierge d'eclarait :
— C’est le journaliste, c’est celui duquel je vous causais, rapport `a ce qu’il mettrait la chose sur le journal, d’ailleurs, c’est mon locataire et j’en r'eponds, faut qu’on le laisse passer.
La recommandation de la concierge fit naturellement son petit effet, et J'er^ome Fandor put, suivant la grosse femme, p'en'etrer jusqu’`a la loge :
— Alors, quoi ? demandait-il. On assassine dans la maison ? C’est abominable, madame Sarah, je vais donner cong'e.
La concierge qui, depuis de longues ann'ees, 'etait habitu'ee `a ce que J'er^ome Fandor l’appel^at de tous les noms qui lui passaient par la t^ete, joignait les mains d’un air d'esesp'er'e :
— Ah, monsieur Fandor, g'emissait-elle, je vous crois, que c’est abominable, j’en ai les sangs retourn'es `a toutes les minutes. Un homme si digne, si honn^ete, pour qui le d^u 'etait le d^u, et pas regardant avec ca, large aux pourboires, et pas exigeant non plus, presque toujours en voyage. Enfin, contre qui on avait rien `a dire, mais l`a, rien, pas ca…
Elle s’interrompit, pour s’introduire l’ongle du pouce entre les dents de son r^atelier. Fandor en profita pour mettre un terme `a ces lamentations d'esesp'er'ees :
— Voyons, madame Barnab'e, disait-il doucement, conciliant et supr^emement indiff'erent, faut pas vous mettre dans des 'etats pareils, rappelez-vous bien que depuis Adam et `Eve, c’est une coutume invariable, il faut que chacun meure. Aujourd’hui ce bonhomme, moi demain, vous apr`es.
La concierge, de surprise, roulait des yeux terrifi'es :
— Ah bien, d'eclarait-elle, si je vous connaissais pas, je vous prendrais pour un sans-coeur. Vous n’avez pas seulement l’air d’^etre 'emotionn'e ?
— Je le suis pourtant, affirma J'er^ome Fandor.
Et il interrogea :
— Seulement, je le serai beaucoup plus quand vous m’aurez dit de quoi il s’agit. Jusqu’`a pr'esent, je n’ai appris qu’une chose, c’est qu’il y a eu quelqu’un d’assassin'e ici. Qui est-ce ?
— M. Baraban, ce pauvre cher homme ! Vous le connaissiez bien, parbleu…
J'er^ome Fandor, pr'ecis'ement, faisait des efforts de m'emoire :
— Ma foi, disait-il, je me le rappelle vaguement, c’est bien le vieux monsieur qui 'etait toujours fourr'e dans l’escalier, et qui saluait jusqu’`a terre quand on passait devant lui ? Un homme de cinquante `a soixante ans. C’est cela ?
— C’est cela, confirmait la concierge. C’est bien lui qu’a trouv'e la mort. Tenez, figurez-vous que ce matin, quand j’ai vu ca, j’ai cru que j’allais tomber en faiblesse.
`A ce souvenir, la concierge s’asseyait, tandis que Fandor se levait.
— Madame G'erard, appelait-il, vous allez me faire un plaisir, c’est de me r'epondre clairement. Qu’est-ce que vous avez vu ? Qu’est-ce qu’on sait ?
L’instinct des reportages policiers s’'eveillait d'ej`a en J'er^ome Fandor. Il avait tir'e un bloc-notes, taill'e son crayon, il allait prendre des notes.
— Attendez voir ! r'epondait la concierge.
Elle courait `a la porte de la loge, l’ouvrait :
— Monsieur l’agent, faites donc 'evanouir ce rassemblement. C’est scandaleux de faire du potin comme ca dans une maison o`u il y a un mort.
Or, J'er^ome Fandor, `a ces mots, commencait `a prendre des notes.
— Nous disons donc, disait-il, que le mort est dans l’appartement ? Bien. Comment a-t-il 'et'e tu'e ? Couteau ? Revolver ? Poison ?
La concierge joignit les mains :
— Mais Seigneur Dieu, clamait-elle d'esesp'er'ee, n’allez pas si vite ! Bien s^ur que non : le mort n’est pas l`a.
J'er^ome Fandor cessa d’'ecrire :
— On l’a d'ej`a transport'e `a la morgue ? interrogeait-il.
— Ah bien, oui, ripostait la concierge, le cadavre comme vous dites, ce pauv’ M. Baraban enfin, c’est ses meurtriers qui l’ont emmen'e.
P'eniblement alors, bribe par bribe, Fandor se faisait raconter par sa digne concierge les incidents de la matin'ee.
— Je suis mont'ee, disait la brave femme, `a neuf heures, comme d’ordinaire, pour commencer le m'enage, l`a-dessus, j’ai trouv'e l’appartement `a feu et `a sang. Du sang m^eme, monsieur Fandor, il y en avait partout l`a-haut, c’est une vraie abomination. D’ailleurs, si vous voulez monter ?