Les souliers du mort (Ботинки мертвеца)
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— Nous allons la laisser en bas.
Juve se fit remettre en effet la cl'e que poss'edait la digne porti`ere et, en compagnie seulement de Fandor, gravissait les 'etages. Maintes fois d'ej`a, le journaliste avait accompagn'e le policier dans des enqu^etes de ce genre. Maintes fois, il avait eu le spectacle, toujours tragique, des appartements lugubres o`u le crime a laiss'e son d'esordre. Pourtant, ce jour-l`a, J'er^ome Fandor tressaillit en p'en'etrant dans l’appartement du malheureux Baraban.
— Que de sang, s’'etonnait J'er^ome Fandor. Oh, c’est abominable. Il a d^u se d'efendre, ce pauvre vieux.
Juve, `a ce moment, hochait la t^ete :
— Oui, faisait-il, pour que tout ait 'et'e 'eclabouss'e comme cela, il faut qu’il y ait eu une lutte terrible entre la victime et ses assassins. Cela donnerait `a penser que le bonhomme n’a pas 'et'e tu'e par surprise. Qu’il connaissait m^eme son ou ses meurtriers. Il a d^u avoir le temps de comprendre qu’on allait le tuer. Il a d^u s’armer.
Juve s’interrompait, pour reprendre d’une voix nette :
— Mais proc'edons par ordre.
Avec l’habilet'e qui lui 'etait particuli`ere, Juve commencait alors son enqu^ete. Lentement, tr`es lentement, avec une extr^eme minutie, il parcourait les pi`eces d'esertes, notait les traces de cambriolage, notait les meubles renvers'es, se gardant d’aller et de venir, prenant grand soin `a ne rien changer de place.
— Examinons, disait-il simplement `a Fandor. Dans une enqu^ete, ce qu’il faut d’abord, c’est avoir de bons yeux.
Juve, en op'erant de la sorte, notait vite l’emplacement de la malle jaune. Elle avait d^u ^etre plac'ee en dernier lieu dans un angle du corridor, on voyait encore sur le tapis la place tr`es nette de son fond.
— Parfaitement, d'eclara Juve, se frottant les mains au moment o`u il faisait cette d'ecouverte. Jusqu’`a pr'esent, l’hypoth`ese de la concierge semble ^etre la bonne. Il para^it bien que la malle 'etait de dimensions assez grandes pour qu’on p^ut y cacher un corps.
Juve continua de parcourir les pi`eces, hochant la t^ete, int'eress'e.
Or, le temps passait. Fandor, qui, d’abord, avait suivi Juve pas `a pas, quittait bient^ot le policier.
— Dites donc, mon bon ami, commencait le journaliste, je vais aller 'ecrire un bout d’article sur la table dans la salle `a manger. Si vous d'ecouvrez des choses sensationnelles, appelez-moi, hein ?
Juve faisait oui de la t^ete et Fandor allait se mettre au travail.
Or, il y avait `a peine une demi-heure que Fandor noircissait du papier, pour le plus grand int'er^et des lecteurs de La Capitale, lorsque Juve apparaissait dans l’encadrement de la porte.
— Fandor, appelait le policier.
— Oui, qu’est-ce qu’il y a ? demanda le journaliste.
— Lis-moi ton papier.
Fandor, assez surpris, commenca :
— J’ai un titre 'epatant, Juve, 'ecoutez cela :
Une nouvelle affaire Gouff'e [4] . Un vieillard est tu'e dans son propre appartement, son corps est mis dans une malle… La police…
Fandor n’avait pas m^eme le temps de terminer son titre.
Juve interrompait sa lecture :
— Fandor, d'eclarait le policier, je te disais ce matin que tu 'etais un idiot, maintenant je t’affirme que tu es une gourde.
— Ah ca, qu’est-ce qui vous prend ? interrogea Fandor. Pourquoi suis-je une gourde ?
— Parce que, r'epliqua le policier, tu te laisses rouler par plus malin que toi.
— Ce qui veut dire ?
Mais Juve ne r'epondait pas `a cette interrogation.
— Viens, faisait-il en ricanant.
Alors, J'er^ome Fandor se leva, surpris :
— Juve, j’ai horreur des 'enigmes. Vous m’avez trait'e de gourde, cela me vexe. Dites-moi pourquoi je suis une gourde, ou je me livre `a des extr'emit'es f^acheuses.
Le journaliste parlait d’un ton moiti'e plaisant, moiti'e s'erieux.
Juve lui r'epondit par un grand 'eclat de rire :
— Fandor, tu es une gourde, parce que tu te laisses rouler par un vieux bonhomme. Parce que le nomm'e Baraban n’est pas assassin'e, comme tu le crois, parce qu’il se porte, j’imagine, aussi bien que toi et moi, parce que m^eme, je ne suis pas loin d’imaginer qu’il s’amuse beaucoup plus que nous en ce moment.
Et comme Fandor regardait `a cet instant Juve, avec un air v'eritablement ahuri, le policier continuait :
— Tu vois cet affreux d'esordre, Fandor ?
— Oui, eh bien ?
— Eh bien, ce d'esordre-l`a me fait penser `a une histoire d’amour.
C’'etaient encore l`a des paroles si 'enigmatiques que J'er^ome Fandor s’emporta :
— Parlez donc clairement, nom d’un chien ! Vous ^etes assommant, Juve. Qu’est-ce que vous croyez ? Qu’est-ce que vous inventez ?
— Rien, affirma Juve tranquillement, je n’invente rien et je regarde.
— Qu’est-ce que vous regardez, alors ?
— Ceci, cela et cela encore.
Juve, de son doigt, d'esignait le bureau fractur'e, la glace cass'ee, une carpette en poil de ch`evre toute macul'ee de sang.
— Tu ne comprends pas, interrogea-t-il.
— Non, grogna Fandor, mais je crois que vous d'em'enagez.
— Tais-toi et 'ecoute.
Juve, calmement, expliquait :
— Mon petit Fandor, crois-tu qu’il soit utile de d'efoncer un tiroir lorsque la serrure est ouverte ?
— Hein ? s’exclama le journaliste.
— Dame, reprit Juve, c’est ce qui a 'et'e fait ici. Regarde, je n’invente pas, ce tiroir est d'efonc'e, et pourtant la serrure est ouverte, mais je continue. Crois-tu qu’on puisse casser la glace d’une chemin'ee au cours d’une lutte sans casser une pendule qui est juste devant l’endroit o`u le coup a 'et'e port'e ?