Les souliers du mort (Ботинки мертвеца)
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— C’'etait bien inutile, d'eclara le jeune homme, d’aller ainsi faire la folle et de courir tout Paris. Moi, j’'etais dans les transes pendant cette nuit-l`a, ne sachant pas ce que tu 'etais devenue.
Brigitte allait r'epondre, elle s’arr^eta :
— On a sonn'e, fit-elle. D'ecid'ement, il y a du monde aujourd’hui.
Elle remit son tablier, retourna voir, mais en ouvrant la porte, elle 'eclata de rire.
— Tiens, c’est vous ? fit-elle.
Et, tendant une main cordiale au visiteur, elle lui dit :
— Entrez donc, Jacques est l`a.
C’'etait un camarade, Francois Marbel, qui avait fait son droit avec le fils du b^atonnier, comme lui inscrit au barreau. Il 'etait joyeux compagnon, ce Francois Marbel, et lorsqu’il venait, on pouvait ^etre s^ur que c’'etait toujours pour organiser quelque partie, quelque f^ete, quelque promenade.
— Dites donc, vous autres, commenca-t-il en s’asseyant, c’est pas la peine de dispara^itre, sous pr'etexte que vous ^etes des amoureux. On ne voit plus Jacques nulle part, ni au caf'e ni au Boul’Mich [7] et vous non plus, charmante Brigitte. Il faut absolument que ca cesse. Nous allons d^iner ensemble ce soir et faire la bombe ensuite. C’est d’ailleurs le commencement du mois, et il faut profiter de ce qu’on a de l’argent. Dans huit jours, nous n’aurons plus qu’`a compter sur les honoraires de nos clients, et Dieu sait si ces bougres-l`a sont g'en'ereux en paroles, et rapiats sur le chapitre des billets de banque.
— Ca c’est bien vrai, d'eclara Brigitte qui, ayant pour mission de tenir les comptes de Jacques Faramont, avait m^eme, `a cet effet, achet'e un carnet de cuisine, o`u devaient figurer les honoraires recus par l’avocat. Or, jusqu’`a pr'esent, le carnet 'etait demeur'e rigoureusement vierge. On accepta le rendez-vous de Marbel, qui se retirait, pr'etextant une affaire importante. En r'ealit'e, il avait rendez-vous avec une petite femme du quartier, qu’il voulait inviter `a d^iner.
On 'etait all'e reconduire l’avocat sur le seuil de la porte. Au moment o`u il s’en allait, la concierge, qui montait faire sa distribution de lettres, remit un pli `a Brigitte :
— Voil`a pour vous ma petite demoiselle, d'eclara-t-elle.
Brigitte croyait que ce courrier 'etait destin'e `a son amant, elle le lui apporta. C’'etait une enveloppe imprim'ee, portant l’en-t^ete de la Compagnie des Chemins de fer d’Orl'eans. Machinalement, Jacques avait pris l’enveloppe, mais il la rendit `a Brigitte.
— Regarde donc, fit-il, c’est pour toi.
— Pour moi ? s’'ecria la jeune femme stup'efaite, comment sait-on que j’habite ici ?
— Il faut croire, pr'ecisa logiquement Jacques Faramont, que c’est toi qui l’as dit, sans cela personne ne l’aurait devin'e. Eh bien, ouvre.
— Je ne sais pas ce que cela veut dire, fit-elle apr`es avoir lu rapidement.
Jacques lut `a son tour :
Madame,
Un colis qui vous est destin'e est `a votre disposition `a la gare des marchandises d’Austerlitz, o`u vous pouvez le retirer `a partir de ce jour.
— Un colis ? Tu attends donc quelque chose ?
— Mais non.
— C’est un colis important, il p`ese cent dix kilos et il y a quatorze francs `a payer.
— Je ne comprends pas du tout.
— Ah par exemple, l’exp'editeur de ce colis est un nomm'e Baraban.
— Baraban ?
— Tu connais M. Baraban ?
— Je le connais, 'evidemment. Oui et non. Assur'ement je le connais. Mais pour ce qui est de le conna^itre comme tu penses, je ne le connais pas.
— Brigitte, il faut que tu pr'ecises, comment connais-tu ce Baraban ?
— Oh, apr`es tout, il n’y a pas de mal `a cela. Avant d’entrer comme bonne chez ton oncle et ta tante, j’'etais femme de m'enage chez c’t’homme-l`a. Un dr^ole de type, vois-tu. Presque toujours absent.
— O`u habitait-il ?
— Rue Richer, 22. M^eme qu’il ne me plaisait pas beaucoup. D’abord, c’'etait un vieux et les vieux, ca m’a toujours r'epugn'e. M^eme sans rien faire avec eux. Il est vrai que je ne l’ai jamais vu qu’habill'e.
— Habill'e ?
— Eh bien oui, tu ne trouves pas cela 'etonnant ?
— Non, fit Jacques, c’est le contraire qui m’aurait surpris. Est-ce qu’un homme se montre nu `a sa femme de m'enage ?
— C’est vrai, d'eclara Brigitte, pourtant il y a des exceptions, ainsi toi…
— Que tu es b^ete, ma pauvre Brigitte, fit Jacques nerveusement, moi je suis ton amant, c’est tout diff'erent. Enfin, que s’est-il pass'e lorsque tu 'etais chez cet homme ?
— Dieu, que tu es agacant ! Que veux-tu qu’il se soit pass'e ? Rien du tout. D’abord, il 'etait absent de chez lui trois jours sur six, cet homme-l`a. Il avait des airs extraordinaires pour arriver et partir. Il s’enfermait dans sa chambre. `A cl'e. Un esp`ece de piqu'e quoi. Moi, ca m’'etait bien 'egal, apr`es tout, car il n’'etait pas exigeant pour le service.
— Pourquoi l’as-tu quitt'e ?
— Je ne sais pas. Je ne sais plus… Attends donc, si… C’'etait un vrai grigou, qui discutait toujours les notes et ne voulait pas me donner d’augmentation. On s’est disput'e un jour, au sujet d’une cl'e de son appartement, que j’avais perdue. Il voulait me la faire payer.
— Qu’est-ce que tu dis ?
— Je dis, r'ep'eta celle-ci toute saisie, que c’est rapport `a sa cl'e que je suis partie. Je ne voulais pas la payer. D’abord, je ne l’avais pas perdue, la meilleure preuve c’est qu’en rangeant mes affaires, il y a quelques jours, je l’ai retrouv'ee dans une petite bo^ite.
« Mais qu’est-ce qu’il a ? pensa Brigitte, qu’est-ce que tout ca peut bien lui faire ?
— Brigitte, ma petite Brigitte, il se passe quelque chose de grave, de tr`es grave. Il faut que tu me racontes franchement, que tu me dises la v'erit'e, toute la v'erit'e.
— Comme `a la cour d’Assises alors ?
— Ah je t’en prie, ne plaisante pas et ne parle pas de cour d’Assises. Dis-moi, poursuivit-il, la fameuse nuit o`u nous 'etions f^ach'es, o`u tu t’es promen'ee jusqu’au jour dans Paris, qu’as-tu fait ?
— Je te l’ai d'ej`a dit ! Je me suis balad'ee de droite et de gauche et puis j’ai 'et'e me pencher sur le bord d’un parapet, d’un pont.
— Pour quoi faire ?
— Je voulais me jeter `a la Seine de d'esespoir.
— Ah, malheureuse Brigitte.
— Je n’en ai rien fait, puisque je suis l`a. Je me suis d’ailleurs content'ee apr`es avoir regard'e couler l’eau du haut du pont, de descendre sur la berge et d’aller dormir entre deux pierres de taille, sous ce pont-l`a.