Les souliers du mort (Ботинки мертвеца)
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— J’ai quelque chose de tr`es grave `a vous dire, Fandor.
— `A quel sujet ?
— Au sujet de l’affaire Baraban.
— Eh bien, mon cher ami, je vous 'ecoute.
Jacques Faramont fit au journaliste le r'ecit d'etaill'e de son existence et de celle de sa ma^itresse, depuis l’'epoque o`u le jeune avocat s’'etait install'e chez lui, rue Claude-Bernard, et s’'etait, pour ainsi dire, mis en m'enage avec la jeune femme dont il avait fait la connaissance lorsqu’elle 'etait domestique chez son oncle et sa tante, M. et M me de Keyrolles.
« Pourquoi diable me raconte-t-il tout cela, se demandait Fandor et quel rapport l’histoire de ses amours avec la bonne peut-elle avoir avec l’affaire Baraban ?
— Brigitte a 'et'e femme de m'enage, expliquait le jeune avocat, il y a de cela quatre ou cinq mois chez M. Baraban. Elle l’a quitt'e, emportant, par erreur, cette cl'e dont la disparition avait 'et'e signal'ee par la concierge au cours des premi`eres enqu^etes, et qui faisait suspecter la personne qui devait l’avoir conserv'ee. La nuit du crime, Brigitte avait d'ecouch'e. O`u ? Pour quoi faire ? Allez savoir.
— Elle pr'etend, continuait-il, avoir err'e toute la nuit, puis sommeill'e sous un pont. Vous pensez comme cela est suspect. Tout d’abord j’ai cru qu’elle m’avait tromp'e, mais j’ai peur d'esormais qu’il n’y ait quelque chose de plus grave.
— En effet, d'eclara Fandor, c’est bizarre.
Jacques Faramont devait troubler encore plus le journaliste lorsqu’il lui montra la lettre d’avis du chemin de fer adress'ee `a Brigitte et signalant qu’un colis l’attendait `a la gare d’Orl'eans, exp'edi'e par un individu portant le nom de Baraban.
`A deux ou trois reprises, Jacques Faramont avait d'ej`a voulu s’en aller. Fandor l’avait retenu.
Il avait t'el'ephon'e chez Juve, esp'erant que celui-ci aurait devanc'e l’heure de son retour. Le policier n’'etait pas l`a, mais on l’attendait d’un moment `a l’autre.
Enfin, vers sept heures moins le quart, Fandor eut l’extr^eme satisfaction d’entendre la voix sympathique de l’inspecteur de la S^uret'e qui r'epondait `a l’autre bout du fil :
— J’ai du nouveau, lui d'eclara-t-il, je vous attends chez moi.
— Moi 'egalement. Et tu sais Fandor, l’hypoth`ese de la fugue se confirme de plus en plus dans mon esprit.
— Eh bien moi, j’aime `a croire qu’avant ce soir, nous aurons retrouv'e le cadavre de l’oncle Baraban, mort malheureusement et bien mort.
Fandor se rendait compte que Juve allait poser d’autres questions, mais il se fit un malin plaisir d’interrompre la conversation.
Jacques Faramont 'etait devenu livide :
— Fandor, supplia-t-il, dites-moi ce que vous pensez. Expliquez-moi le sens des propos que vous venez de tenir `a Juve ?
— Oh, c’est bien simple, fit le journaliste, et je vais vous dire nettement ce que je crois. Le colis de cent dix kilos, qui attend que M lle Brigitte vienne le chercher `a la gare des marchandises du chemin de fer d’Orl'eans, doit ^etre une malle, vraisemblablement une malle jaune, cette fameuse malle dont on a parl'e et que M. Baraban avait fait apporter chez lui l’apr`es-midi qui a pr'ec'ed'e la nuit du crime. Que peut contenir cette malle ? Je n’en sais rien, mais je ne serais pas autrement 'etonn'e qu’on y retrouve un cadavre, un cadavre qui ne serait autre que celui de M. Baraban.
— Mon Dieu, Fandor, murmura l’avocat, vous m’'epouvantez ! Qu’a-t-il pu se passer ? Quel r^ole a jou'e Brigitte dans cette sinistre affaire ?
***
Cette m^eme soir'ee, il 'etait environ neuf heures et demie, trois hommes pataugeaient dans la boue grasse des interminables hangars qui longent la Seine sur le quai d’Austerlitz. C’'etaient Juve, Fandor et Jacques Faramont.
Tous les trois s’'etaient pr'esent'es `a la gare des marchandises de la Compagnie d’Orl'eans et, porteurs de la lettre d’avis destin'ee `a Brigitte, ils s’'etaient trouv'es renvoy'es de bureau en bureau, avant de savoir o`u pouvait se trouver le colis. Un employ'e avait constat'e, chose assez curieuse, que l’exp'edition avait 'et'e faite de Paris pour Paris. Vraisemblablement, ce colis avait d^u ^etre d'epos'e `a la consigne, exp'edi'e, puis r'eclam'e ensuite par l’exp'editeur. On allait 'evidemment le retrouver sur le quai du b^atiment B.
On erra longtemps sur ce quai et ce fut en vain. Au bout d’une demi-heure, on apprit que les colis destin'es au b^atiment B se trouvaient sous les hangars du b^atiment F.
Les trois hommes ne se d'ecourageaient pas pour autant.
Du b^atiment F on passa au b^atiment G, puis on revint au b^atiment A. Cette fois Juve et Fandor et m^eme Jacques Faramont, que cette chasse infructueuse 'enervaient consid'erablement, pouss`erent un soupir de satisfaction. Le chef de service ayant consult'e des liasses de papiers, leur avait d'eclar'e :
— J’ai en effet ce colis. Il ne doit pas ^etre loin.
Il tenait `a la main la lettre d’avis, puis interrogea avec une attention singuli`ere et m'efiante :
— Pardon, mais je ne vois pas de femme parmi vous ?
— Qu’est-ce que cela peut vous faire ? commenca Fandor.
L’employ'e s’excusa :
— Le destinataire de ce colis est M lle Brigitte, je ne puis point vous le livrer sans une autorisation 'ecrite d’elle. `A moins cependant que vous ne me donniez l’ordre de faire suivre `a son domicile.
Le policier sugg'era :
— Nous sommes charg'es par elle d’enlever ce colis. Puisque nous avons la lettre vous pouvez bien le donner.
— Rien `a faire, r'ep'eta l’employ'e, on vole assez de colis sans que nous le sachions, pour que nous ne nous laissions pas faire quand nous avons des doutes ou des soupcons.
Fandor 'eclata de rire, tant l’id'ee qu’on les soupconnait de vol lui paraissait amusante, mais Juve n’'etait pas d’humeur `a prendre la chose en plaisanterie.
— Allons, allons, dit-il, ca va bien, finissons-en, conduisez-moi au sous-chef de gare.
Quelques instants apr`es, le policier revenait avec le fonctionnaire auquel il avait fait conna^itre sa qualit'e. Le sous-chef de gare dit un mot `a l’oreille de son subordonn'e qui, aussit^ot, se confondit en excuses.
Puis les cinq hommes partirent sous les hangars.
— Voil`a le colis.
Toutefois, Juve jeta un regard de triomphe sur Fandor, et Fandor lui r'epondit par un coup d’oeil de d'esappointement. Le colis en question 'etait bien une malle comme les deux hommes l’avaient pr'esum'e, mais cette malle 'etait vieille. Elle 'etait verte. On la soupesa, elle 'etait lourde, mais ne semblait pas pourtant peser les cent dix kilos annonc'es sur le bulletin.