Les souliers du mort (Ботинки мертвеца)
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— Monsieur l’inspecteur, demanda poliment le sous-chef de gare en s’adressant `a Juve, que voulez-vous que nous fassions ?
— Nous pourrions peut-^etre, dit Juve, aller ouvrir cette malle dans ce petit local, l`a.
On appela deux hommes d’'equipe qui transport`erent le colis, puis Juve, froidement, fit sauter les serrures avec un levier :
Il y avait dans cette malle, tass'es par le couvercle, des v^etements, du linge rempli de sang. On voulut soulever le premier compartiment pour voir ce qu’il y avait en dessous. Le compartiment 'etait extraordinairement lourd. Les deux hommes d’'equipe y parvinrent cependant, et d`es lors, au moment o`u on apercevait la partie inf'erieure de la malle, on constatait que le fond de la malle 'etait vide. Les parois 'etaient souill'ees de sang, us'ees en certains endroits, comme par suite d’un frottement continu. Le sous-chef de gare, ses hommes et Jacques Faramont, s’'etaient recul'es, laissant Juve et Fandor agir seuls.
Les deux hommes ne disaient pas un mot, mais ils inventoriaient minutieusement le contenu du premier compartiment qui pesait si lourd. L’explication de ce poids 'etait facile `a trouver ; sous les v^etements se trouvaient des pav'es de gr`es, pris dans une rue en r'eparation, sans doute.
Juve et Fandor se regard`erent :
— Eh bien ? demanda le journaliste, que pensez-vous de cela ?
— Mais rien du tout, fit Juve d’une voix fort naturelle. Toutefois, son clignement d’oeil signifiait qu’il ne voulait point r'ev'eler ses pens'ees devant cet auditoire.
Fandor n’insista pas. Au surplus, Juve s’'etait approch'e du sous-chef de gare.
— Monsieur, lui d'eclara-t-il, de cet air impassible et froid qui paralysait tant de gens, je vous remercie d’avoir satisfait `a ma requ^ete. Il me reste `a vous demander de bien vouloir fermer ce petit local `a cl'e et de donner l’ordre que personne n’en approche, et `a plus forte raison que personne n’y p'en`etre. Demain, nous reviendrons peut-^etre.
Le sous-chef de gare obtemp'era au d'esir de Juve, et celui-ci, rassur'e d'esormais sur le sort r'eserv'e `a la malle, quitta avec Fandor et Jacques Faramont les immenses locaux de la gare des marchandises.
Le policier h'ela un fiacre, il y fit monter ses deux compagnons.
— Quel est le num'ero ? demandait-il `a Jacques Faramont.
— Soixante-quatorze, dit l’avocat. Vous allez chez moi ?
— Si vous le voulez bien ? J’aimerais causer avec M lle Brigitte.
Jacques Faramont, de plus en plus inquiet, suivi de Juve et de Fandor, monta l’escalier conduisant `a son appartement.
— Brigitte, pensa-t-il, doit ^etre couch'ee, elle sera affol'ee lorsqu’elle nous verra.
C’'etait peut-^etre, l`a aussi, l’espoir de Juve, qui, sans en avoir l’air, avait interrog'e l’avocat sur les habitudes de sa ma^itresse. Il avait appris que celle-ci se couchait de bonne heure et Juve, en vieux policier retors qu’il 'etait, savait que les gens qui ont quelque chose `a dissimuler le font avec d’autant plus de difficult'e que les questions qu’on leur pose les surprennent `a l’improviste.
Toutefois, si tel 'etait l’espoir de Juve, il devait ^etre d'ecu.
`A peine avait-il entrouvert la porte que Jacques Faramont s’'ecriait :
— Il y a quelqu’un chez moi !
Les trois hommes, h^ativement, p'en'etraient dans le cabinet de travail de l’avocat stagiaire. Ils y surprenaient une conversation vive et anim'ee, tragique 'egalement.
Une femme en pleurs, gisait, 'ecroul'ee sur le parquet cependant qu’un homme, debout, les bras crois'es devant elle, l’apostrophait. Un autre personnage se tenait `a l’'ecart, silencieux, immobile.
La femme, c’'etait Brigitte ; Fandor reconnaissait, dans le troisi`eme personnage immobile, l’inspecteur Michel ; quant `a Juve, malgr'e son impassibilit'e proverbiale, il ne pouvait s’emp^echer de prof'erer avec surprise, en apercevant l’homme debout devant Brigitte :
— Monsieur Havard ! Ah, par exemple !
C’'etait en effet le chef de la S^uret'e qui 'etait venu au domicile de l’avocat depuis deux heures, avec un de ses subordonn'es.
Machinalement, M. Havard rendit `a Juve sa poign'ee de main :
— Mon cher, d'eclara-t-il d’un air triomphant, l’enqu^ete a fait un grand pas. Tandis que vous 'etiez `a vous balader, j’ai retrouv'e, moi, la personne suspecte, la myst'erieuse complice, 'evidemment, de l’assassin, la personne, en deux mots, qui d'etenait la cl'e disparue de l’appartement de M. Baraban.
— Et, demanda Juve, la personne qui poss`ede cette cl'e, c’est mademoiselle ?
Le policier d'esignait Brigitte, qui sanglotait, la t^ete entre les mains, sans m^eme s’^etre apercue du retour de son amant, lequel, paralys'e, demeurait immobile sur le pas de la porte.
L’interruption de Juve navra M. Havard qui comptait produire sur le c'el`ebre inspecteur une formidable impression :
— Ah ca, fit-il, vous le saviez donc ?
— Oui, dit simplement Juve.
— Et alors, poursuivit M. Havard, vous le pensez comme moi ?
— Quoi ?
— Eh bien, dit M. Havard, qui s’impatientait, que l’enqu^ete a fait un grand pas, puisque nous tenons vraisemblablement, non seulement le coupable, mais encore la complice qui s’est faite son indicatrice.
— Vous croyez ?
M. Havard, cependant, estimait avoir triomph'e et il voulut avoir tous les honneurs de sa victoire.
— 'Ecoutez bien, recommanda-t-il `a Juve, ce qu’elle va me dire.
Puis, se tournant vers Brigitte, le chef de la S^uret'e la souleva, la fit asseoir dans un fauteuil.
— Mademoiselle, commenca-t-il d’une voix douce, la justice vous saura gr'e des aveux que vous venez de me faire. Voulez-vous les r'ep'eter en pr'esence de ces messieurs ?
Les larmes obscurcissaient les yeux de la malheureuse Brigitte. Elle ne voyait personne. Pas m^eme son amant.
D’une voix entrecoup'ee de sanglots, elle raconta ce qu’elle avait d'ej`a dit `a Jacques Faramont et avou'e `a M. Havard, `a savoir qu’elle avait 'et'e au service de M. Baraban, qu’elle 'etait partie de chez lui emportant une cl'e sans s’en apercevoir, ajoutant enfin qu’elle avait pass'e la nuit, pr'ecis'ement la nuit du crime, hors du domicile de son amant, et cela `a la suite d’une dispute avec ce dernier. Tout cela, on le savait. Mais ce qu’ignoraient Juve et Fandor, ce qu’ignorait 'egalement Jacques Faramont, c’est que Brigitte, alors qu’elle se reposait, sommeillant sous les ponts entre deux et quatre heures du matin, y avait fait la rencontre d’un jeune homme dont l’allure et les mani`eres n’'etaient certes pas celles d’un homme habitu'e `a rechercher pareil asile.
Tous deux avaient caus'e gentiment, pleur'e ensemble. Ils s’'etaient avou'e avec na"ivet'e qu’ils 'etaient des amoureux bien malheureux dans l’existence et que leur coeur leur faisait mal.
— Voyez-vous, reprit M. Havard en ricanant, lorsque Brigitte eut fini de refaire son r'ecit, cette charmante idylle. C’est v'eritablement fort bien imagin'e, et pour un peu, on serait tent'e d’y croire si nous ne connaissions pas la v'erit'e.
Juve hocha la t^ete silencieusement. M. Havard, qui prenait ce mouvement pour un assentiment, poursuivit, l’adressant `a Brigitte d’un ton s'ev`ere :