Les souliers du mort (Ботинки мертвеца)
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Mais le policier secouait la t^ete :
— Assur'ement non.
Et, se montrant aussi net et aussi pr'ecis que M. Havard l’'etait peu, Juve commencait :
— Alice Ricard, cela est 'etabli, est sortie de la maison `a dix heures et demie en compagnie de son oncle, M. Baraban. Un autre fait est 'etabli encore par la concierge, le vieux monsieur est rentr'e chez lui `a minuit. Il 'etait donc parfaitement en vie `a minuit.
— Naturellement !
— Or, `a onze heures quarante-cinq, c’est-`a-dire un quart d’heure avant qu’il rentre, Alice et Fernand Ricard prenaient le train pour Vernon, fait qui est encore 'etabli, et par le t'emoignage d’un cocher et par une r'eclamation d'epos'ee `a la gare. Par cons'equent…
M. Havard, d'ej`a, s’'epongeait le front.
— H'elas, dit-il, vous avez raison, Juve, l’alibi est formel. Baraban vivait `a minuit, alors que Fernand et Alice Ricard 'etaient partis de Paris, et pourtant ?
M. Havard, une fois encore, s’interrompit. Il regardait Juve et s’'etonna de l’attitude du policier. Celui-ci, brusquement s’'etait lev'e, il marchait, pris d’un 'enervement extr^eme, de long en large dans la chambre.
— Juve, appelait M. Havard, vous pensez `a quelque chose ?
— Oui, r'epliqua le policier, c’est que je suis un cr'etin.
Juve s’arr^eta de marcher, parut h'esiter encore, grommela :
— Pourtant, pourtant, il n’y a pas eu crime, nom de Dieu !
Et, avant que M. Havard e^ut pu l’interroger, Juve ordonnait :
— Restez ici, dites-moi ce que vous allez entendre.
Juve alors, sortit de la pi`ece, il gagna le corridor. M. Havard pr^eta l’oreille :
— Il faut que je vous dise ce que je vais entendre ? demanda-t-il.
— Oui, 'ecoutez.
Au m^eme instant, lentement, mais distinctement, les douze coups d’une horloge retentirent.
— Eh bien ? demanda Juve.
— Eh bien, il y a une pendule qui vient de sonner minuit ou midi.
Juve, `a cet instant, le visage congestionn'e, r'eapparaissait dans la pi`ece :
— Venez avec moi, Monsieur Havard.
— O`u ca ?
— Chez la concierge.
— Chez la concierge, pour quoi faire ?
— Vous allez voir.
Les deux hommes redescendirent l’escalier, le policier entrait dans la loge :
— Madame, demanda-t-il `a la porti`ere, voulez-vous nous rendre un service ?
La concierge eut pour Juve son plus aimable sourire :
— Mais certainement, Monsieur, `a vous, je ne refuserai rien.
— Eh bien, laissez-moi prendre votre pendule.
Juve, n'egligeant d’observer l’ahurissement o`u ses paroles mettaient la porti`ere, prit sur la chemin'ee la pendule qui avait sonn'e minuit au moment m^eme o`u Baraban 'etait rentr'e.
— Restez dans votre loge, madame, cria-t-il.
Juve, portant la pendule, courut dans le vestibule.
— 'Ecoutez, commanda-t-il `a la concierge.
M. Havard, `a cet instant, s’approcha du policier :
— Vous allez faire sonner les douze coups, dit-il pour vous assurer que la concierge sait compter jusqu’`a douze ?
Mais Juve haussa les 'epaules.
— Je me fiche pas mal de sa pendule, r'epondit-il, ce n’est pas elle qu’elle a entendu sonner.
Et Juve, posant la pendule `a terre, un peu brusquement m^eme, tira de sa poche un timbre sur lequel, du dos de son canif, il frappa douze coups.
— Madame la concierge, appela-t-il, qu’entendez-vous ?
— J’entends sonner ma pendule, affirma la porti`ere.
Juve s’'epongea le front, en regardant M. Havard :
— Vous comprenez ?
— Non, pas du tout.
— C’est pourtant simple.
Juve rapportait la pendule dans la loge, remerciai l’obligeante porti`ere d’un sourire myst'erieux, revint prendre Havard par le bras :
— 'Ecoutez, faisait-il, je ne crois toujours pas `a l’assassinat de Baraban, pourtant voici quelque chose de troublant. M. Havard, vous avez pu voir que je n’ai pas fait sonner la pendule de la concierge, j’ai tout simplement heurt'e douze fois le timbre que voici avec mon canif, et la brave femme s’y est tromp'ee. Par cons'equent…
Mais cette fois, enfin, M. Havard avait compris :
— Ah sapristi, s’exclama-t-il. Juve, vous ^etes g'enie. Parbleu, je devine ce que vous imaginez. Baraban, dites-vous, n’est pas rentr'e `a minuit, il est rentr'e vers les onze heures moins vingt, n’est-ce pas ? Ce sont les assassins, qui, pour tromper la concierge, au moment o`u Baraban rentrait, ont frapp'e douze coup sur ce timbre. La concierge a cru qu’il 'etait minuit, alors qu’il n’'etait pas si tard que cela. Baraban n’a pas remarqu'e la chose, a cru que c’'etait onze heures qui sonnaient. Peut-^etre la porti`ere, `a moiti'e endormie, ne s’est pas apercue qu’il s’agissait d’un autre timbre que celui de sa pendule.
M. Havard appuy'e contre le mur du vestibule, n’arr^etait plus :
— Dans ce cas, tout s’explique merveilleusement. Ah mon vieux Juve, quel service vous me rendez l`a ! Parbleu, voici comment les choses ont d^u se passer : Baraban est sorti avec sa ni`ece `a dix heures et demie. Il l’a quitt'ee un quart d’heure plus tard peut-^etre. Il est rentr'e chez lui. C’est `a ce moment que l’assassin, cach'e dans son appartement, a trouv'e moyen de faire sonner minuit en heurtant douze fois un timbre. C’est `a ce moment 'egalement que le pauvre Baraban a 'et'e tu'e, et, comme l’heure de minuit ne nous g^ene plus, comme nous venons, d’autre part, de retrouver un mouchoir sanglant portant les initiales A. R., tout permet de supposer que ce sont bien les 'epoux Ricard qui ont commis le meurtre. Ils ont eu parfaitement le temps d’aller prendre ensuite le train de onze heures quarante-cinq et m^eme de faire remarquer l’alibi qu’ils s’'etaient pr'epar'e en d'eposant une r'eclamation.
M. Havard, `a ce moment, s’interrompit net en voyant Juve 'eclater de rire :
— Vous ^etes bien de mon avis, Juve ?
— Non, r'epondit Juve.
Et, comme M. Havard le regardait interloqu'e, Juve s’expliqua :
— Je ne peux pas croire que les Ricard soient des assassins, puisque je ne crois pas au crime.
M. Havard alors, n'egligea de discuter plus avant avec Juve :
— Dites-moi, demandait-il simplement, comment avez-vous pens'e `a la ruse du timbre ? Et comment se fait-il surtout que vous aviez pr'ecis'ement aujourd’hui un timbre dans votre poche ?