Les souliers du mort (Ботинки мертвеца)
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Tandis que le chef de la S^uret'e, en effet, montait en compagnie de Juve vers l’appartement sinistre, la concierge, femme de bon sens, jugea la situation d’un mot :
— En voil`a un cr^aneur ! disait-elle. Ca a l’air de se croire le Pr'esident de la R'epublique ! Parbleu, s’il savait quelque chose, il serait bien trop content de le dire. C’est pas M. Fandor, ni M. Juve qui m’enverraient promener comme ca. Mais aussi, tous les deux, ce sont des malins.
Pendant que la concierge monologuait de la sorte, M. Havard et le policier arrivaient `a l’appartement tragique.
— Ainsi, commenca Juve, vous avez l’intention de perquisitionner `a nouveau ?
— Oui, r'epliqua M. Havard, et de causer avec vous, tout d’abord.
Le chef de la S^uret'e brisa d’un doigt, en vertu de sa qualit'e de commissaire de police, les scell'es appos'es le jour du crime sur la porte de l’appartement.
— Entrez, mon cher Juve.
Les deux hommes p'en'etr`erent dans le corridor, se d'ecouvrirent et malgr'e eux, frissonn`erent :
— Bigre, constatait M. Havard, on a beau ^etre habitu'e, cela fait tout de m^eme un dr^ole d’effet. Ca sent la mort ici, hein ?
Juve ne r'epondit point, mais il devait s’avouer, en effet, malgr'e ses convictions intimes, qu’il 'etait impossible de nier que l’aspect de l’appartement 'etait tragique, effroyable. Comme le disait M. Havard, cela sentait la mort.
Depuis le crime, en effet, nul n’'etait rentr'e dans le petit appartement dont Juve avait soigneusement respect'e le d'esordre lors de sa premi`ere enqu^ete.
Les meubles apparaissaient toujours renvers'es, bris'es, 'eventr'es. Les couvertures du lit de la chambre `a coucher gisaient toujours sur le sol, et surtout, il y avait, aussi bien sur le parquet de la salle `a manger que sur les tapis de la chambre, que sur les carpettes des corridors, de larges taches rouge^atres, faites d’un liquide 'epais, coagul'e, des taches de sang.
— Par quoi commencons-nous ? demanda Juve.
M. Havard s’assit :
— Par causer, dit-il. J’ai d’ailleurs une confession `a vous faire, Juve.
Or, `a ces mots, le policier sursauta :
— Parbleu, vous reconnaissez, chef, que la th`ese de l’assassinat ne tient pas debout et vous avez d'ecouvert quelque chose qui vous fait admettre ma th'eorie ? La th'eorie de la fugue ?
Juve parlait avec une enti`ere bonne foi, librement. Il se mordit les l`evres en entendant la r'eponse de son chef :
— Sapristi, que vous ^etes insupportable, Juve ! Quand vous avez une id'ee dans la t^ete, il n’y a pas moyen de vous en faire d'emordre.
— A"ie, pensait Juve `a ce moment, j’ai parl'e trop vite, c’est une gaffe. Le patron va se vexer et ne me dira rien.
M. Havard, cependant, apr`es un mouvement d’impatience, redevint souriant :
— Juve, dit-il, regardez autour de vous, et r'epondez-moi de sang-froid. Voyons, est-ce qu’en pr'esence de tout le d'esordre de cette pi`ece, vous pouvez soutenir qu’il n’y a pas eu assassinat ? Est-ce que ce sang, qui tra^ine sur le plancher… ? Est-ce que ce meuble fractur'e… ? Est-ce que ce lit d'efait… ?
— Monsieur Havard, interrompit Juve, ne discutons pas, si vous le voulez bien, sur des hypoth`eses. Vous avez appris du nouveau. Quel est ce nouveau ?
M. Havard, cependant, devait ^etre ce jour-l`a de bien bonne humeur, car, cette fois encore il ne se f^acha pas :
— Vous voulez apprendre ce que je sais de nouveau ? disait-il. Eh bien, soyez satisfait. Voil`a…
Juve 'etait tout oreille. M. Havard ne se d'ep^echait pas de le renseigner. Le chef de la S^uret'e s’amusait, 'evidemment, de l’impatience de l’inspecteur.
— Juve, reprenait-il enfin, j’ai eu, hier soir une excellente id'ee, en vous quittant au Palais de Justice. J’ai fait convoquer, d’une part, tous les agents plongeurs et, d’autre part, tous les brigadiers de la S^uret'e qui 'etaient disponibles.
— Pour quoi faire ?
— C’est simple. Les agents plongeurs doivent, aux termes de leur r`eglement, se tenir toujours sur les berges, n’est-ce pas ? J’ai voulu les interroger et savoir si l’un d’eux, par hasard, n’avait pas apercu Th'eodore Gauvin et la nomm'ee Brigitte, la nuit du crime, c’est-`a-dire si l’alibi invoqu'e par ces individus 'etait exact.
— Et alors ? demanda Juve.
— Et alors, articula lentement M. Havard, il s’est trouv'e que l’id'ee 'etait excellente. L’agent 66 a 'et'e tr`es affirmatif. Il a pu m’affirmer qu’il avait vu cette nuit-l`a Th'eodore Gauvin et la jeune femme se promener sur les berges. Cet agent 'etait d’autant plus certain de son fait, qu’il avait remarqu'e que le jeune Th'eodore Gauvin semblait ^etre un monsieur vraiment bien habill'e pour donner le bras `a une femme du genre de Brigitte qu’il avait prise pour une pierreuse.
Juve, `a ces mots, se frottait les mains :
— Ma foi, disait-il, vous avez raison, patron, vous n’avez pas perdu votre temps. Cette d'eposition innocente compl`etement le petit Th'eodore et Brigitte.
— Non, dit M. Havard, car enfin l’agent peut se tromper et, en tout cas, rien ne prouve que, tr`es justement, cette rencontre ne soit point un rendez-vous pr'em'edit'e des deux complices. Mais enfin, tout de m^eme, c’est plut^ot une pr'esomption d’innocence. Mais enfin, oui, je conviens que ces jeunes gens ne pouvaient pas ^etre rue Richer `a l’heure du crime, puisqu’on les a vus sous un pont au m^eme moment…
Le chef de la S^uret'e se taisait, Juve interrogea encore :
— Et pourquoi avez-vous fait demander tous les brigadiers de S^uret'e disponibles ?
— Pour leur enjoindre, mon cher Juve, de faire hier soir une rafle parmi les individus qui fr'equentent habituellement les ponts, qui y cherchent chaque nuit un abri contre le froid et une cachette contre les sergents de ville.
Juve approuva encore :
— Excellente id'ee, chef. Je suis confus de ne pas avoir pens'e `a cela.
— On ne pense pas `a tout, dit M. Havard, et, quand on s’occupe d’une fugue, alors qu’il s’agit d’un assassinat… Mon cher Juve, j’ai interrog'e ce matin les individus arr^et'es hier, et l’un d’eux, un ouvrier terrassier, actuellement sans travail, mais semblant fort honn^ete, n’ayant en somme d’autre vice que d’^etre dans la mis`ere, m’a confirm'e la d'eposition de l’agent 66. Il n’y a plus de doute `a avoir, il est 'etabli que Brigitte et Th'eodore Gauvin sont innocents.
M. Havard dit cela d’un ton de triomphe. C’'etait d’un ton de triomphe que Juve poursuivait la phrase commenc'ee :