Том 3. Публицистические произведения
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Le mot historiquement si vrai sur l’Eglise latine est aussi le mot de la situation actuelle.
Le catholicisme a de tout temps fait toute la force du Papisme, comme le Papisme fait toute la faiblesse du catholicisme.
La force sans faiblesse n’est que dans l’Eglise universelle. Qu’elle se montre, qu’elle intervienne dans le d'ebat et l’on verra de nos jours ce qu’on a d'ej`a vu dans les tous premiers jours de la r'eformation, alors que les chefs de ce mouvement religieux qui avaient d'ej`a rompu avec le si`ege de Rome, mais qui h'esitaient encore `a rompre avec les traditions de l’Eglise Catholique, en appelaient unanimement `a l’Eglise d’Orient. Maintenant comme alors la r'econciliation religieuse ne peut venir que d’elle; elle porte dans son sein l’avenir chr'etien.
Telle est la premi`ere, la plus haute question que nous ayons `a d'ebattre avec l’Europe Occidentale, c’est la question vitale par excellence.
Il y en a une autre bien grave aussi; c’est celle que l’on appelle commun'ement la question d’Orient; c’est la question de l’Empire.
Ici, il ne s’agit pas de diplomatie; on sait trop bien que tant que durera le Statu quo, la Russie plus qu’aucune autre puissance respectera les trait'es. Mais les trait'es, mais la diplomatie ne r`eglent apr`es tout que les choses du jour. Les int'er^ets permanents, les rapports 'eternels c’est l’histoire seule qui en conna^it. Or que nous dit l’histoire?
Elle nous dit que l’Orient orthodoxe, tout ce monde immense qui rel`eve de la croix grecque, est un dans son principe, 'etroitement solidaire dans toutes ses parties, vivant de sa vie propre, originale, indestructible. Il peut ^etre mat'eriellement fractionn'e, moralement il sera toujours un et indivisible. Il a subi momentan'ement la domination latine, il a subi pendant des si`ecles l’invasion des races asiatiques, il n’a jamais accept'e ni l’une ni l’autre.
Il y a parmi les Chr'etiens de l’Orient un dicton populaire qui exprime na"ivement ce fait; ils ont l’habitude de dire, que tout dans la cr'eation de Dieu est bien fait, bien ordonn'e, deux choses except'ees, et ces deux choses sont: le Pape et le Turc.
— Mais Dieu, — ont-ils soin d’ajouter, — a voulu dans sa sagesse infinie rectifier ces deux erreurs et c’est pour cela qu’il cr'ee le Czar moscovite.
Nul trait'e, nulle combinaison politique ne pr'evaudra jamais contre ce simple dicton populaire. C’est le r'esum'e de tout le pass'e et la r'ev'elation de tout un avenir.
— En effet, quoiqu’on fasse ou qu’on s’imagine, pourvu que la Russie reste ce qu’elle est, l’empereur de Russie sera n'ecessairement, irr'esistiblement le seul souverain l'egitime de l’Orient orthodoxe, sous quelque forme d’ailleurs qu’il juge convenable d’exercer cette souverainet'e. Faites ce que vous voudrez, mais encore une fois, `a moins que vous n’ayez d'etruit la Russie, vous n’emp^echerez jamais ce fait de se produire.
Qui ne voit que l’Occident avec toute sa philantropie, avec son pr'etendu respect pour le droit des nationalit'es et tout en se d'echa^inant contre l’ambition insatiable de la Russie, ne voit dans
les populations qui habitent la Turquie qu’une seule chose: une proie `a d'epecer.
Il voudrait tout bonnement recommencer au dix-neuvi`eme si`ecle ce qu’ il avait essay'e de faire au treizi`eme et ce qui d'ej`a alors lui avait si mal r'eussi. C’est la m^eme tentative sous d’autres noms et au moyen de proc'ed'es un peu diff'erents. C’est toujours cette ancienne, cette incurable pr'etention de fonder dans l’Orient orthodoxe un Empire latin, de faire de ces pays une annexe, une d'ependance de l’Europe occidentale.
Il est vrai que pour arriver `a ce r'esultat, il faudrait commencer par 'eteindre dans ces populations tout ce qui jusqu’`a pr'esent a constitu'e leur vie morale, par d'etruire en elles ce que les Turcs eux-m^emes ont 'epargn'e. Mais ce n’est pas l`a une consid'eration qui pouvait arr^eter un seul instant le pros'elitisme occidental, persuad'e qu’il est que toute soci'et'e qui n’est pas exactement faite `a l’image de celle de l’Occident n’est pas digne de vivre, et fort de cette conviction il se mettrait bravement `a l’oeuvre pour d'elivrer ces populations de leur nationalit'e comme d’un reste de barbarie.
Mais cette Providence historique qui est au fond des choses humaines y a heureusement pourvu. D'ej`a au treizi`eme si`ecle l’Empire d’Orient, tout mutil'e, tout 'enerv'e qu’il 'etait, a trouv'e en lui-m^eme assez de vie pour rejeter de son sein la domination latine apr`es soixante et quelques ann'ees d’une existence contest'ee; et certes il faut convenir que depuis lors le v'eritable Empire d’Orient, l’Empire orthodoxe, s’est grandement relev'e de sa d'ech'eance.
C’est ici une question sur laquelle la science occidentale malgr'e ses pr'etentions `a l’infaillibilit'e a toujours 'et'e en d'efaut. L’Empire d’Orient est constamment rest'e une 'enigme pour elle; elle a bien pu le calomnier, elle ne l’a jamais compris. Elle a trait'e l’Empire d’Orient comme Monsieur de Custine vient de traiter la Russie, apr`es l’avoir 'etudi'e `a travers sa haine doubl'ee de son ignorance. On n’a su jusqu’`a pr'esent se rendre un compte vrai ni du principe de vie qui a assur'e `a l’Empire d’Orient ses mille ans d’existence, ni de la circonstance fatale qui a fait que cette vie si tenace a toujours 'et'e contest'ee et `a quelques 'egards si d'ebile.
Ici, pour rendre ma pens'ee avec une pr'ecision suffisante, je devrais entrer dans des d'eveloppements historiques que ne comportent point les bornes de cette notice. Mais telle est l’analogie r'eelle, telle est l’affinit'e intime et profonde qui rattache la Russie `a ce glorieux ant'ec'edent de l’Empire d’Orient, qu’`a d'efaut d’'etudes historiques assez approfondies il suffit `a chacun de nous de consulter ses impressions les plus habituelles et pour ainsi dire les plus 'el'ementaires, pour comprendre d’instinct ce que c’'etait que ce principe de vie, cette ^ame puissante qui pendant mille ans a fait vivre et durer ce corps si fr^ele de l’Empire d’Orient. Cette ^ame, ce principe, c’'etait le Christianisme, c’'etait l’'el'ement Chr'etien tel que l’avait formul'e l’Eglise d’Orient, combin'e ou pour mieux dire identifi'e non seulement avec l’'el'ement national de l’'etat, mais encore avec la vie intime de la soci'et'e. Des combinaisons analogues ont 'et'e tent'ees, ont 'et'e accomplies ailleurs, mais elles n’ont eu nulle part ce caract`ere profond et original. Ici, ce n’'etait pas simplement une Eglise se faisant nationale dans l’acception ordinaire du mot comme cela s’est vu ailleurs, c’'etait l’Eglise se faisant la forme essentielle, l’expression supr^eme d’une nationalit'e d'etermin'ee, de la nationalit'e de toute une race, de tout un monde. Voil`a aussi, soit dit en passant, comment il a pu se faire que plus tard cette m^eme Eglise d’Orient est devenue comme le synonyme de la Russie, l’autre nom, le nom sacr'e de l’Empire, triomphante partout o`u elle r`egne, militante partout o`u la Russie n’a pas encore fait pleinement reconna^itre sa domination. En un mot si intimement associ'ee `a ses destin'ees qu’il est vrai de dire qu’`a des degr'es divers il y a de la Russie partout o`u se rencontre l’Eglise orthodoxe.
Quant `a l’ancien, `a ce premier Empire d’Orient, la circonstance fatale qui a pes'e sur ses destin'ees, c’est qu’il n’a jamais pu mettre en oeuvre qu’une portion minime de la race sur laquelle il aurait d^u principalement s’appuyer. Il n’a occup'e que la lisi`ere du monde que la Providence tenait en r'eserve pour lui; c’est le corps cette fois qui a manqu'e `a l’^ame. Voil`a pourquoi cet Empire, malgr'e la grandeur de son principe, est constamment rest'e `a l’'etat de l’'ebauche, pourquoi il n’a pu opposer `a la longue une r'esistance efficace aux ennemis qui l’enveloppaient de toutes parts. Son assiette territoriale a toujours manqu'e de base et de profondeur, c’'etait, pour tout dire, une t^ete s'epar'ee de son tronc. Aussi, par une de ces combinaisons Providentielles qui sont en m^eme temps profond'ement naturelles et historiques, c’est le lendemain du jour o`u l’Empire d’Orient a paru d'efinitivement succomber sous les coups de la destin'ee qu’il a en r'ealit'e pris possession de son existence d'efinitive. Constantinople tombait aux mains des Turcs en 1453 et neuf ans apr`es, en 1462, le grand Ivan III arrivait au tr^one de Moscou.
Qu’on ne s’'effarouche pas de gr^ace de toutes ces g'en'eralit'es historiques quelqu’hasard'ees qu’elles puissent para^itre `a la premi`ere vue. Qu’on se dise bien que ces pr'etendues abstractions, c’est nous-m^eme, c’est notre pass'e, notre pr'esent, notre avenir. Nos ennemis le savent bien, t^achons de le savoir comme eux. C’est parce qu’ils le savent, c’est parce qu’ils ont compris que tous ces pays, toutes ces populations qu’ils voudraient conqu'erir au syst`eme occidental, tiennent `a la Russie historiquement parlant comme des membres vivants tiennent au corps dont ils font partie, qu’ils travaillent `a rel^acher, `a rompre s’il est possible, le lien organique qui les rattache `a nous.
Ils ont compris que tant que ce lien subsiste, tous leurs efforts pour 'eteindre dans ces populations la vie qui leur est propre resteraient 'eternellement st'eriles. Encore une fois le b^ut qu’on se propose est le m^eme qu’au treizi`eme si`ecle, mais les moyens diff'erents. A cette 'epoque l’Eglise latine voulait brutalement se substituer dans tout l’Orient Chr'etien `a l’Eglise orthodoxe; maintenant on cherchera `a ruiner les fondements de cette Eglise par la pr'edication philosophique.