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ЖАНРЫ

Том 3. Публицистические произведения
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Ce que l’Empereur avait pr'evu d`es 1830, la R'evolution n’a pas manqu'e de le r'ealiser de point en point. Toutes les concessions, tous les sacrifices des principes faits par l’Europe monarchique `a l’'etablissement de Juillet dans l’int'er^et d’un simulacre de statu quo, la R'evolution s’en empara pour les utiliser au profit du bouleversement qu’elle m'editait, et tandis que les pouvoirs l'egitimes faisaient de la diplomatie plus ou moins habile avec de la quasi-l'egitimit'e et que les hommes d’Etat et les diplomates de toute l’Europe assistaient en amateurs curieux et bienveillants aux jo^utes parlementaires de Paris, le parti r'evolutionnaire, sans presque se cacher, travaillait sans rel^ache `a miner le terrain sous leurs pieds.

On peut dire que la grande t^ache du parti, durant ces derni`eres dix-huit ann'ees, a 'et'e de r'evolutionner de fond en comble l’Allemagne, et l’on peut juger maintenant si cette t^ache a 'et'e bien remplie.

L’Allemagne assur'ement est le pays sur lequel on s’est fait le plus longtemps les plus 'etranges illusions. On le croyait un pays d’ordre, parce qu’il 'etait tranquille, et on ne voulait pas voir l’'epouvantable anarchie qui y avait envahi et qui y ravageait les intelligences.

Soixante ans d’une philosophie destructive y avaient compl`etement dissous toutes les croyances chr'etiennes et d'evelopp'e, dans ce n'eant de toute foi, le sentiment r'evolutionnaire par excellence: l’orgueil de l’esprit, si bien qu’`a l’heure qu’il est, nulle part peut-^etre cette plaie du si`ecle n’est plus profonde et plus envenim'ee qu’en Allemagne. Par une cons'equence n'ecessaire, `a mesure que l’Allemagne se r'evolutionnait, elle sentait grandir sa haine contre la Russie. En effet, sous le coup des bienfaits qu’elle en avait recus, une Allemagne r'evolutionnaire ne pouvait avoir pour la Russie qu’une haine implacable. Dans le moment actuel, ce paroxysme de haine para^it avoir atteint son point culminant; car il a triomph'e en elle, je ne dis pas de toute raison, mais m^eme du sentiment de sa propre conservation.

Si une aussi triste haine pouvait inspirer autre chose que de la piti'e, la Russie certes se trouverait suffisamment veng'ee par le spectacle que l’Allemagne vient de donner au monde `a la suite de la r'evolution de F'evrier. Car c’est peut-^etre un fait sans pr'ec'edent dans l’histoire que de voir tout un peuple se faisant le plagiaire d’un autre au moment m^eme o`u il se livre `a la violence la plus effr'en'ee.

Et qu’on ne dise pas, pour justifier tous ces mouvements si 'evidemment factices qui viennent de bouleverser tout l’ordre politique de l’Allemagne et de compromettre jusqu’`a l’existence de l’ordre social lui-m^eme, qu’ils ont 'et'e inspir'es par un sentiment sinc`ere g'en'eralement 'eprouv'e, par le besoin de l’unit'e allemande. Ce sentiment est sinc`ere, soit; ce voeu est celui de la grande majorit'e, je le veux bien; mais qu’est-ce que cela prouve?.. C’est encore l`a une des plus folles illusions de notre 'epoque que de s’imaginer qu’il suffise qu’une chose soit vivement, ardemment convoit'ee par le grand nombre, pour qu’elle devienne par cela seul n'ecessairement r'ealisable. D’ailleurs, il faut bien le reconna^itre, il n’y a pas dans la soci'et'e de nos jours ni voeu, ni besoin (quelque sinc`ere, quelque l'egitime qu’il soit) que la R'evolution en s’en emparant ne d'enature et ne convertisse en mensonge, et c’est pr'ecis'ement ce qui est arriv'e avec la question de l’unit'e allemande: car pour qui n’a pas abdiqu'e toute facult'e de reconna^itre l’'evidence, il doit ^etre clair d`es `a pr'esent que dans la voie o`u l’Allemagne vient de s’engager `a la recherche de la solution du probl`eme, ce n’est pas `a l’unit'e qu’elle aboutira, mais bien `a un effroyable d'echirement, `a quelque catastrophe supr^eme et irr'eparable.

Oui, certes, on ne tardera pas `a reconna^itre que la seule unit'e qui f^ut possible, non pas pour l’Allemagne telle que les journaux la font, mais pour l’Allemagne r'eelle que son histoire l’a faite, la seule chance d’unit'e s'erieuse et pratique pour ce pays 'etait indissolublement li'ee au syst`eme politique qu’il vient de briser.

Si, pendant ces derni`eres trente-trois ann'ees, les plus heureuses peut-^etre de toute son histoire, l’Allemagne a form'e un corps politique hi'erarchiquement constitu'e et fonctionnant d’une mani`ere r'eguli`ere, `a quelles conditions un pareil r'esultat a-t-il pu ^etre obtenu et assur'e? C’'etait 'evidemment `a la condition d’une entente sinc`ere entre les deux grandes puissances qui repr'esentent en Allemagne les deux principes qui se disputent ce pays depuis plus de trois si`ecles. Mais cet accord lui-m^eme, si lent `a s’'etablir, si difficile `a conserver, croit-on qu’il e^ut 'et'e possible, qu’il e^ut pu durer aussi longtemps, si l’Autriche et la Prusse, `a l’issue des grandes guerres contre la France, ne se fussent intimement ralli'ees `a la Russie, fortement appuy'ees sur elle? Voil`a la combinaison politique qui, en r'ealisant pour l’Allemagne le seul syst`eme d’unit'e qui lui f^ut applicable, lui a valu cette tr^eve de trente-trois ans qu’elle vient de rompre.

Il n’y a ni haine, ni mensonge qui pourront jamais pr'evaloir contre ce fait-l`a. Dans un acc`es de folie, l’Allemagne a bien pu briser une alliance qui, sans lui imposer aucun sacrifice, assurait et prot'egeait son ind'ependance nationale, mais par l`a m^eme elle s’est priv'ee `a jamais de toute base solide et durable.

Voyez plut^ot la d'emonstration de cette v'erit'e par la contre-'epreuve des 'ev'enements, dans ce terrible moment o`u les 'ev'enements marchent presque aussi vite que la parole humaine. Il y a `a peine deux mois que la R'evolution en Allemagne s’est mise `a la besogne, et d'ej`a il faut lui rendre cette justice, l’oeuvre de la d'emolition dans ce pays est plus avanc'ee qu’elle ne l’'etait sous la main de Napol'eon apr`es dix de ses foudroyantes campagnes.

Voyez l’Autriche plus compromise, plus abattue, plus d'emantel'ee qu’en 1809. Voyez la Prusse vou'ee au suicide par sa connivence fatale et forc'ee avec le parti polonais. Voyez les bords du Rhin, o`u, en d'epit des chansons et des phrases, la conf'ed'eration Rh'enane n’aspire qu’`a rena^itre. L’anarchie partout, l’autorit'e nulle part, et tout cela sous le coup d’une France o`u bout une r'evolution sociale qui ne demande qu’`a d'eborder dans la r'evolution politique qui travaille l’Allemagne.

D`es `a pr'esent, pour tout homme sens'e la question de l’unit'e allemande est une question jug'ee. Il faudrait avoir ce genre d’ineptie propre aux id'eologues allemands pour se demander s'erieusement si ce tas de journalistes, d’avocats et de professeurs qui se sont r'eunis `a Francfort, en se donnant la mission de recommencer Charlemagne, ont quelque chance appr'eciable de r'eussir dans l’oeuvre qu’ils ont entreprise, si sur ce sol qui tremble ils auront la main assez puissante et assez habile pour relever la pyramide renvers'ee en la faisant tenir sur la pointe.

La question n’est plus l`a; il ne s’agit plus de savoir si l’Allemagne sera une, mais si de ces d'echirements int'erieurs compliqu'es probablement d’une guerre 'etrang`ere elle parviendra `a sauver un lambeau quelconque de son existence nationale.

Les partis qui vont d'echirer ce pays commencent d'ej`a `a se dessiner. D'ej`a sur diff'erents points la R'epublique a pris pied en Allemagne, et l’on peut compter qu’elle ne se retirera pas sans avoir combattu, car elle a pour elle la logique et derri`ere elle la France. Aux yeux de ce parti la question de nationalit'e n’a ni sens, ni valeur. Dans l’int'er^et de sa cause il n’h'esitera pas un instant `a immoler l’ind'ependance de son pays, et il enr^olerait l’Allemagne tout enti`ere plut^ot aujourd’hui que demain sous le drapeau de la France, f^ut-ce m^eme sous le drapeau rouge. Ses auxiliaires sont partout; il trouve aide et appui dans les hommes comme dans les choses, aussi bien dans les instincts anarchiques des masses que dans les institutions anarchiques que viennent d’^etre sem'ees avec tant de profusion `a travers toute l’Allemagne. Mais ses meilleurs, ses plus puissants auxiliaires sont pr'ecis'ement les hommes qui d’un moment `a l’autre peuvent ^etre appel'es `a la combattre: tant les hommes se trouvent li'es `a elle par la solidarit'e des principes. Maintenant, toute la question est de savoir si la lutte 'eclatera avant que les pr'etendus conservateurs aient eu le temps de compromettre par leurs divisions et leurs folies tous les 'el'ements de force et de r'esistance dont l’Allemagne dispose encore; si, en un mot, attaqu'es par le parti r'epublicain, ils se d'ecident `a voir en lui ce qu’il est en effet l’avant-garde de l’invasion francaise, et retrouvent, dans le sentiment du danger dont l’ind'ependance nationale s'erait menac'ee, assez d’'energie pour combattre la r'epublique `a toute outrance; ou bien si pour s’'epargner la lutte ils aimeront mieux accepter quelque faux semblant de transaction qui ne serait au fond de leur part qu’une capitulation d'eguis'ee. Dans le cas o`u cette derni`ere supposition viendrait `a se r'ealiser, alors (il faut le reconna^itre) l’'eventualit'e d’une croisade contre la Russie, de cette croisade qui a toujours 'et'e le r^eve ch'eri de la R'evolution et qui maintenant est devenu son cri de guerre — cette 'eventualit'e se convertirait en une presque certitude; le jour de la lutte d'ecisive serait presque arriv'e, et c’est la Pologne qui servirait de champ de bataille. Voil`a du moins la chance que caressent avec amour les r'evolutionnaires de tous les pays; mais il y a toutefois un 'el'ement de la question dont ils ne tiennent pas assez compte, et cette omission pourrait singuli`erement d'eranger leurs calculs.

Le parti r'evolutionnaire, en Allemagne surtout, para^it s’^etre persuad'e que puisque lui-m^eme faisait si bon march'e de l’'el'ement national, il en serait de m^eme dans tous les pays soumis `a son action et que partout et toujours la question de principe primerait la question de nationalit'e. D'ej`a les 'ev'enements de la Lombardie ont d^u faire faire de singuli`eres r'eflexions aux 'etudiants r'eformateurs de Vienne, qui s’'etaient imagin'e qu’il suffisait de chasser le prince de Metternich et de proclamer la libert'e de la presse pour r'esoudre les formidables difficult'es qui p`esent sur la monarchie autrichienne. Les Italiens n’en persistent pas moins `a ne voir en eux que des Tedeschi et des Barbari, tout comme s’ils ne s’'etaient pas r'eg'en'er'es dans les eaux lustrales de l’'emeute. Mais l’Allemagne r'evolutionnaire ne tardera pas `a recevoir `a cet 'egard une lecon plus significative et plus s'ev`ere encore, car elle lui sera administr'ee de plus pr`es. En effet, on n’a pas pens'e qu’en brisant ou en affaiblissant tous les anciens pouvoirs, qu’en remuant jusque dans ses profondeurs tout l’ordre politique de ce pays, on allait y r'eveiller la plus redoutable des complications, une question de vie et de mort pour son avenir — la question des races. On avait oubli'e qu’au coeur m^eme de cette Allemagne, dont on r^eve

l’unit'e, il y avait dans le bassin de la Boh^eme et dans les pays slaves qui l’entourent six `a sept millions d’hommes pour qui, de g'en'erations en g'en'erations, l’Allemand depuis des si`ecles n’a pas cess'e d’^etre un seul instant quelque chose de pis qu’un 'etranger, pour qui l’Allemand est toujours un Немец…Il ne s’agit pas ici bien entendu du patriotisme litt'eraire de quelques savants de Prague, tout honorable qu’il puisse ^etre; ces hommes ont rendu sans doute de grands services `a la cause de leur pays et ils lui en rendront encore; mais la vie de la Boh^eme n’est pas l`a. La vie d’un peuple n’est jamais dans les livres que l’on imprime pour lui, `a moins toutefois que ce ne soit le peuple allemand; la vie d’un peuple est dans ses instincts et dans ses croyances, et les livres, il faut l’avouer, sont bien plus puissants pour les 'enerver et les fl'etrir que pour les ranimer et les faire vivre. Tout ce qui reste donc `a la Boh^eme de vraie vie nationale est dans ses croyances Hussites, dans cette protestation toujours vivante de sa nationalit'e slave opprim'ee contre l’usurpation de l’Eglise romaine, aussi bien que contre la domination allemande. C’est l`a le lien qui l’unit `a tout son pass'e de luttes et de gloire, et c’est l`a aussi le cha^inon qui pourra rattacher un jour le Чех de la Boh^eme `a ses fr`eres d’Orient. On ne saurait assez insister sur ce point, car ce sont pr'ecis'ement ces r'eminiscences sympathiques de l’Eglise d’Orient, ce sont ces retours vers la vieille foi dont le hussitisme dans son temps n’a 'et'e qu’une expression imparfaite et d'efigur'ee, qui 'etablissent une diff'erence profonde entre la Pologne et la Boh^eme: entre la Boh^eme ne subissant que malgr'e elle le joug de la communaut'e occidentale, et cette Pologne factieusement catholique — s'eide fanatique de l’Occident et toujours tra^itre vis-`a-vis des siens.

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