L'agent secret (Секретный агент)
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Par la suite, il s’'etait rendu compte que peut-^etre l’appui d’un avocat aurait pu pr'esenter cet avantage de le mettre en communication avec l’ext'erieur, mais tout compte fait, Fandor ne voulant pas revenir sur sa d'ecision prise, ne voulant pas avoir l’air de capituler, s’'etait r'esign'e `a ne rien changer `a sa situation.
Ah, s’il avait pu recevoir un journal, un simple journal !
L’infortun'e Fandor, pendant les longues heures qu’il passait dans sa cellule, en t^ete `a t^ete avec ses pens'ees, d'eplorait d`es lors plus que jamais son isolement dans le monde, car Juve mis `a part, il ne comptait aucun intime, il ne se connaissait aucun parent qui p^ut venir lui apporter une consolation, lui murmurer `a l’oreille quelques paroles de tendresse et d’affection.
***
Ce soir-l`a, le journaliste fut tir'e de ses r'eflexions absorbantes par un bruit connu de lui, mais qui se produisait `a un moment inaccoutum'e.
La cl'e de la grosse porte de sa cellule tourna dans la serrure, et comme la porte s’entreb^aillait, Fandor entendit cette fin de conversation entre son ge^olier et un inconnu :
— Je vous pr'eviens aussi, mon brave, disait la voix ignor'ee de Fandor, que mon secr'etaire viendra tout `a l’heure me rejoindre…
Le ge^olier r'epondait :
— C’est une affaire entendue, Ma^itre, j’en aviserai le coll`egue qui me remplacera dans un quart d’heure.
Un avocat en robe entrait dans la cellule. Le prisonnier crut d’abord qu’il s’agissait de l’avocat d’office que le Conseil de guerre lui imposerait `a l’audience, conform'ement `a la loi. Nullement dispos'e `a s’entretenir avec ce d'efenseur obligatoire, il s’appr^etait `a fort mal le recevoir, lorsque ayant regard'e le visage du nouvel arrivant, Fandor demeura interdit. Il venait de reconna^itre sous la toge, quelqu’un dont la physionomie 'etait profond'ement grav'ee dans son souvenir, bien qu’il ne l’e^ut rencontr'e qu’une fois :
— Naarbo… laissa-t-il 'echapper.
Mais l’interlocuteur, d’un geste brusque lui coupait la parole, et pr'ecipitamment, referma derri`ere lui la porte de la cellule.
Lorsque ce fut fait, l’'etrange avocat s’approcha de Fandor et `a mi-voix :
— N’ayez pas l’air de me reconna^itre, d'eclara-t-il, oui je suis bien le baron de Naarboveck, mais c’est gr^ace `a un subterfuge que j’ai r'eussi `a vous approcher… Ne me demandez pas comment j’ai pu r'eussir `a p'en'etrer aupr`es de vous sans 'eveiller les soupcons de ceux qui sont charg'es de vous garder, j’ai obtenu un permis de communiquer en me donnant pour l’avocat que le b^atonnier vous a d'esign'e d’office et dont vous recevrez demain la visite… Monsieur, reprit apr`es une pause le baron de Naarboveck, un bienfait n’est jamais perdu quand on n’a pas affaire `a un ingrat. Il y a quelques semaines, lorsque vous ^etes venu m’interviewer au sujet du d'eplorable assassinat du capitaine Brocq, apr`es m’^etre laiss'e aller `a parler devant vous, je vous ai demand'e votre parole de ne point publier sur mon compte une s'erie de d'etails, comme les journalistes `a l’ordinaire, aiment `a en 'emailler leurs articles ?
— En effet, r'epliqua Fandor, je m’en souviens.
— J’avoue, continua le baron, que je m’attendais fort peu `a de la discr'etion de votre part… dame., un journaliste. Depuis lors j’ai suivi avec attention et m^eme sympathie les t'en'ebreuses aventures auxquelles vous avez 'et'e m^el'e et ce n’est pas sans 'emotion que j’ai appris votre f^acheuse situation. J’irai droit au but, je viens vous tirer d’affaire.
Fandor ne put r'eprimer un geste de joie, il prit dans ses deux mains celles de Naarboveck et les serra chaleureusement.
— Ah ! Monsieur, puissiez-vous dire vrai !
Le diplomate, h^ativement, s’arrachant `a l’'etreinte du journaliste, ouvrit la lourde serviette d’avocat qu’il portait sous son bras et en tira une toge noire, semblable `a la sienne, une toque, un pantalon fonc'e :
— Tenez, poursuivit-il, tandis que Fandor absolument abasourdi consid'erait cette 'etrange garde-robe, tenez habillez-vous rapidement et nous partirons ensemble…
Naarboveck 'etait-il devenu subitement fou ? 'Etait-ce une plaisanterie ? Fandor h'esitait, mais Naarboveck, sans para^itre s’apercevoir de son trouble, `a mots pr'ecipit'es, insistait :
— Il faut absolument que vous partiez d’ici, je sais o`u vous aurez les preuves de votre innocence, nous n’avons pas une minute `a perdre, au surplus moi-m^eme, eu 'egard `a ma qualit'e de diplomate, j’ai le plus vif int'er^et `a ce que le document vol'e chez le capitaine Brocq soit retrouv'e. Je sais o`u il est, je veux que ce soit vous qui le rendiez au Gouvernement ! Ce sera l`a la preuve la plus 'eclatante que vous puissiez donner de votre innocence !
Fandor croyait r^ever et, machinalement rev^etait la tenue bizarre, mais ing'enieuse, qu’'etait venu si myst'erieusement lui apporter le baron. Certes, Fandor se demandait bien quel 'etait le formidable int'er^et qui avait pouss'e le diplomate `a oser s’introduire ainsi, en d'epit des dangers courus, aupr`es du prisonnier, `a lui proposer m^eme de se faire le complice de son 'evasion ? Mais Fandor avait vu tant de choses bizarres et incompr'ehensibles au cours de son aventureuse existence qu’il n’en 'etait pas `a se pr'eoccuper de semblables d'etails.
Et au surplus, que risquait-il ?
N’avait-il pas maintes fois, au cours de ses crises de d'esespoir, caress'e en pens'ee l’irr'ealisable d'esir de profiter d’un moment d’inattention pour s’enfuir, m^eme en employant la force, de l’odieux cachot dans lequel on l’avait enferm'e ?
— Le plus dur, murmura Naarboveck `a l’oreille du journaliste, sera de nous faire ouvrir la porte de la prison. Heureusement, j’ai pr'evenu le ge^olier que j’attendais mon secr'etaire… Esp'erons qu’en vous voyant, il vous prendra pour lui et que nous b'en'eficierons de la confusion.
***
La prison militaire du conseil de guerre de Paris n’est pas une prison comme les autres et c’est pourquoi le plan de Naarboveck pouvait avoir des chances de r'eussir, tandis qu’il aurait certainement 'echou'e si on l’avait tent'e `a la Sant'e.
Le rez-de-chauss'ee o`u se trouvaient 'evidemment, au si`ecle dernier, les cuisines et les communs, constitue `a proprement dire la prison, car dans ces locaux sont am'enag'ees les cellules o`u les inculp'es attendent leur comparution devant les juges.
Nul, `a moins d’^etre au courant de ces dispositions immobili`eres, ne se douterait que la porte basse que l’on remarque `a peine dans le vestibule d’entr'ee, juste en face de l’escalier qui acc`ede au premier 'etage, n’est autre que l’entr'ee de la prison. En effet, sit^ot cette porte basse franchie, on est dans le couloir sur lequel donnent les cellules.
`A la porte de la prison se tient d’ordinaire un gardien, dont le r^ole est moins de surveiller les prisonniers et de pr'evenir leurs tentatives d’'evasion que d’ouvrir aux personnes qui ont besoin d’entrer dans le sinistre local.
Lorsque arrive la nuit, la surveillance se rel^ache souvent. Le gardien est en m^eme temps charg'e de l’entretien des bureaux et lorsqu’il a sa cl'e dans sa poche, certain que nul n’enfoncera la lourde fermeture, il va et vient dans la maison.
De Naarboveck qui, 'evidemment, s’'etait renseign'e au pr'ealable, 'etait non seulement au courant de ces d'etails, mais savait que ce jour-l`a, comme les jours pr'ec'edents d’ailleurs, comme les jours `a venir jusqu’`a la date du proc`es Fandor, vu l’affluence de curieux, d’avocats, etc., on avait d'ecid'e de donner au gardien un aide et que celui-ci prenait son service `a partir de six heures. Il 'etait six heures pass'ees.