L'agent secret (Секретный агент)
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Selon toutes probabilit'es, lorsque les faux avocats frapperaient de l’int'erieur de la prison pour se faire ouvrir la porte communiquant avec l’ext'erieur, ce serait le gardien suppl'ementaire qui viendrait leur livrer passage !
Non sans 'emotion, Naarboveck tapa de son index au judas m'enag'e dans la lourde cl^oture.
Un bruit de verrous retentit, la prison s’entrouvrait, la silhouette du gardien apparut et Fandor r'eprima un soupir de satisfaction : c’'etait un ge^olier qui ne le connaissait pas, c’'etait le remplacant pr'evu, escompt'e !
— Tiens ! s’'ecria celui-ci, en saluant militairement les gens de robe, vous 'etiez donc deux ?…
— Naturellement mon brave, r'epliqua Naarboveck d’un ton prodigieusement calme, votre coll`egue ne voua a-t-il pas pr'evenu que mon secr'etaire m’avait rejoint ?
— J’avais compris qu’il allait venir, fit l’homme, je ne savais pas qu’il 'etait d'ej`a l`a.
Mais le baron de Naarboveck l’interrompait et, avec un gros rire :
— Nous partons ensemble…, quoi de plus naturel ?
— C’est votre droit, grommela l’homme, vous avez fini d’interroger le pr'evenu Fandor ?
Le ge^olier allait entrer dans la prison pour v'erifier si la cellule du prisonnier 'etait bien ferm'ee… Naarboveck l’arr^eta par le bras.
— Mon brave, dit-il en lui glissant une pi`ece d’argent dans la main, nous ne sommes pas en tenue convenable pour sortir dans la rue, et nos v^etements civils sont rest'es au Palais de Justice, faites-nous donc le plaisir d’arr^eter un fiacre que nous prendrons devant l’entr'ee de la cour.
Le ge^olier pr'ec'eda les deux avocats dans la cour et, sur le pas de la porte coch`ere, attendit le passage d’un v'ehicule : Un taxim`etre flaira le client. L’automobile vint se ranger le long du trottoir. En moins d’une seconde, le baron de Naarboveck s’y 'etait pr'ecipit'e avec J'er^ome Fandor, p^ale d’'emotion, et tout en saluant de la main le gardien respectueux qui s’inclinait profond'ement, il jeta au m'ecanicien cette adresse :
— Au Palais de Justice.
***
— Monsieur Fandor, que dites-vous de cela ?
— Ah baron ! comment pourrai-je jamais vous exprimer toute ma reconnaissance, mais, d'esormais, m’expliquerez-vous ?…
De Naarboveck sourit d’un sourire 'etrange et myst'erieux. Prolongeant son silence `a plaisir, il s’amusait `a consid'erer le journaliste dont la stup'efaction ne cessait de cro^itre.
'Echapp'es du Cherche-Midi, le baron et Fandor s’'etaient gard'e d’aller au Palais de Justice. Le taxi-auto d'erout'e avait gagn'e la rue Lepic et s’'etait arr^et'e dans une petite rue d'eserte, devant une maison en ruine, 'eclair'ee de tr`es loin par un bec de gaz vacillant.
Naarboveck avait r'egl'e la course, puis les deux hommes en toges avaient travers'e un petit jardinet inculte et bourbeux.
Ils arrivaient devant un pavillon. De Naarboveck s’y introduisait suivi de Fandor.
Par un escalier en colimacon les deux hommes gravirent un 'etage, puis le diplomate ayant tourn'e un commutateur, le journaliste s’apercut qu’il 'etait avec son sauveur dans un atelier de peintre, vaste et assez 'el'egamment meubl'e. Des rideaux 'epais cachaient une large baie vitr'ee ; le plafond tr`es 'elev'e 'etait `a peine mansard'e. Pour cr'eer cet atelier, on avait d^u r'eunir l’une `a l’autre trois ou quatre pi`eces, car plusieurs colonnes de fer, grosses colonnes de sout`enement, traversaient par le milieu l’atelier, rompant ainsi, assez malheureusement d’ailleurs, l’harmonie de la vaste salle.
Curieusement, Fandor avait inventori'e cet atelier, cherchant un objet familier, un meuble, un tableau qui p^ut lui faire savoir o`u il se trouvait.
Mais rien. Tout ce qui ornait cette pi`ece 'etait inconnu du journaliste.
M. de Naarboveck, sit^ot arriv'e, s’'etait d'epouill'e de sa toge et, d'esormais, plus libre de ses mouvements, allait et venait. Le diplomate 'etait v^etu d’un 'el'egant complet.
Le journaliste, lui aussi, avait enlev'e la bienheureuse robe d’avocat gr^ace `a laquelle il s’'etait 'echapp'e. Il portait le pantalon noir que Naarboveck lui avait fourni et demeurait en manche de chemise, n’ayant pas de veston et ayant laiss'e dans la cellule sa tunique militaire.
— Savez-vous, monsieur Fandor, o`u nous nous trouvons ?
— Je n’en ai pas la moindre id'ee, d'eclara le journaliste…
— Cherchez un peu, poursuivit le diplomate…
Fandor fouillait des yeux les alentours, torturait sa m'emoire, il eut un geste vague, avoua
— Je n’en sais d'ecid'ement rien !
— Monsieur, d'eclara alors de Naarboveck, en se rapprochant du journaliste comme s’il craignait d’^etre entendu en parlant haut, vous n’^etes pas sans conna^itre, au moins de nom, un certain individu 'enigmatique qui joue un r^ole important dans les affaires dont nous sommes l’un et l’autre les victimes `a des titres diff'erents. Nous sommes chez lui.
— Son nom ?
Le baron de Naarboveck qui, tout en consid'erant Fandor, allait et venait, 'ecoutant par moments, mais semblant en outre lire dans la pens'ee du journaliste, reprit la parole :
— Votre ami Juve, fit-il, monsieur, qui est un policier de la plus grande valeur, s’est depuis quelque temps acharn'e `a la poursuite de notre h^ote d’aujourd’hui, de ce Vagualame chez qui nous nous trouvons… Cela lui a occasionn'e d’ailleurs pas mal de m'esaventures qui lui ont prouv'e que Vagualame n’'etait pas l’imb'ecile qu’il paraissait, et peut-^etre Juve s’en apercevra-t-il encore d’ici peu… cependant…
— Mon ami Juve, questionna-t-il, ne court, je l’esp`ere, aucun risque ? je vous en supplie, monsieur renseignez-moi sur ce point, car d'esormais je suis libre…
— Attention, monsieur Fandor !… souvenez-vous que vous ^etes un 'evad'e et qu’`a l’heure actuelle votre fuite doit ^etre connue… m'efiez-vous donc.
Puis il changea de sujet. Brusquement, sans ordre, d’une facon bizarre :
— Vagualame, chez qui nous sommes, reprit-il, avait une collaboratrice, mademoiselle Berthe, dite Bobinette. Bobinette a eu des torts, des torts graves, mais, monsieur, paix `a sa m'emoire, n’en parlons plus, elle a expi'e.
— Bobinette est donc morte ?
Fandor dig'erait cette nouvelle, lorsque soudain, au moment o`u le dernier coup de dix heures sonnait au cartel du mur, la lumi`ere s’'eteignit, l’atelier fut plong'e dans une obscurit'e profonde… et le journaliste se sentit appr'ehender, ligoter avec une brutalit'e inou"ie, cependant qu’au pr'ealable on l’enveloppait, croyait-il, dans un grand linge qui lui immobilisait les bras. Sur son visage des mains myst'erieuses fixaient une sorte de masque souple, on lui enfoncait quelque chose sur la t^ete, un chapeau peut-^etre, puis, attir'e dans le noir, cependant que les cordes serr'ees lui meurtrissaient les chairs, Fandor se rendit compte qu’on l’immobilisait, debout, le long de quelque chose, probablement l’une de ces colonnes qui traversaient l’atelier du plancher au plafond. Le journaliste crut percevoir une voix lointaine qui murmurait :