L'agent secret (Секретный агент)
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Par bonheur, l’animal avait d^u se rendormir. Elle entendait sa respiration lourde et au fur et `a mesure que l’air devenait plus rare dans la voiture herm'etiquement close, l’odeur de la b^ete la prenait `a la gorge.
— Que faire ?
Et Bobinette terrifi'ee, toute la nuit, songea :
— Il dort… mais il va se r'eveiller demain matin, il se jettera sur moi ! je suis perdue !
***
Apr`es des heures interminables d’attente, d’immobilit'e, de stupide h'eb'etement, devant la mort in'evitable, horrible, torturante, on commencait `a y voir clair.
Elle avait entendu, peu `a peu, d'ecro^itre la fureur du vent. La pluie s’'etait arr^et'ee. Dehors, un petit jour blafard venait de se lever, et dans les parois de bois de la roulotte, de minces l'ezardes laissaient passer des traits de lumi`ere…
Bobinette vit l’ours se r'eveiller, se retourner, b^ailler et soudain accroupi, la consid'erer fixement…
— Que faire ? Que faire ?…
Bobinette avait lu jadis qu’il 'etait possible, par le regard, d’effrayer une b^ete f'eroce…
Elle s’efforcait de mettre dans ses yeux une 'energie farouche, mais, h'elas ! elle avait trop peur elle-m^eme, pour pouvoir faire peur au monstre…
L’ours se l'echait.
— Que faire ?
De temps `a autre Bobinette entendait passer, contre sa prison, de rapides grondements. Elle se rendait compte que c’'etaient l`a des automobiles, qui, sur la grande route, s’en allaient vers Versailles ou vers Paris, d'epassant la roulotte abandonn'ee bien loin de se douter du terrible drame dont elle 'etait le th'e^atre…
Appeler ?
C’'etait folie !
Comment supposer qu’on entendrait ses cris ?
Comment supposer que les conducteurs de ces voitures passant `a toute vitesse, insoucieux, auraient jamais l’id'ee de s’arr^eter pr`es de la roulotte, de venir lui porter secours ?… Non ! certes, c’'etait r'eveiller la col`ere de l’ours, c’'etait l’exciter, c’'etait h^ater la mort…
***
— Hue !… sacr'e carcan !… il est vrai que je dois ^etre un bien mauvais charretier… cette b^ete n’a pas du tout l’air de me prendre au s'erieux !…
Au long de la route de Sceaux, un homme marchait `a grands pas, v^etu en habits de travail et conduisant une maigre haridelle, la conduisant d’ailleurs en d'epit du bon sens.
— Nom d’un chien ! faisait-il, si je devais aller loin, j’aimerais mieux abandonner mon cheval que de m’obstiner `a le diriger… 'evidemment, je n’ai pas la voix qu’il faut !… Diah !… diah !
Le cheval, malgr'e l’ordre imp'eratif du charretier, tourna franchement `a gauche…
Soudain, l’homme bl^emit.
— Ai-je r^ev'e ? dit-il.
Puis, ayant de nouveau pr^et'e l’oreille, il s’'elanca au pas de course `a travers champs.
— Arriverai-je trop tard ?
Le charretier courait `a perdre haleine, approchait de la roulotte abandonn'ee.
Arriv'e `a celle-ci, il colla l’oreille `a la porte. Et soudain, d’une d'etente, il enfonca la porte `a coup d’'epaule.
Un coup de feu troua le silence de l’aube.
Bobinette 'etait 'ecroul'ee, le visage taillad'e.
Le charretier posa la main sur la poitrine de la jeune fille :
— Elle vit… N’ayez plus peur, Bobinette, c’est Juve qui vous parle.
32 – DE CHARYBDE EN SCYLLA
Il ne restait plus qu’un accus'e `a juger, et l’on pressentait, au mouvement de l’auditoire ainsi qu’`a la rumeur confuse qui s’'echappait de la salle, que l’audience allait bient^ot ^etre lev'ee.
Six heures venaient de sonner `a l’horloge du vieux b^atiment o`u si`ege le conseil de guerre et les juges militaires commencaient `a se fatiguer d’une s'eance qui durait depuis midi et demie.
Fait curieux et de nature `a surprendre quiconque connaissant les habitudes du tribunal militaire, et le peu d’attrait qu’il exerce en temps ordinaire sur le public, la salle 'etait ce jour-l`a, tr`es encombr'ee. Une assistance nombreuse suivait les p'erip'eties des insignifiantes affaires que l’on jugeait.
Au public interlope et quelque peu minable qui se pressait sur les bancs de la salle, se m^elaient, 'evoluant plus librement dans les couloirs et dans l’enceinte r'eserv'ee, un certain nombre d’avocats en robe.
Quelques journalistes aussi, des reporters photographes de temps `a autre jetaient un coup d’oeil `a l’entr'ee du pr'etoire, s’int'eressant aux pr'eparatifs d’am'enagements et de barricades d'ej`a pris, semblait-il, en vue d’une prochaine et importante audience.
Dans quelques jours, en effet, le 28 d'ecembre, le premier conseil de guerre allait avoir `a se prononcer sur le cas du journaliste J'er^ome Fandor, dont l’instruction avait 'et'e rapidement men'ee, tr`es militairement, par le commandant Dumoulin, commissaire du gouvernement. Celui-ci renvoyait le pr'evenu devant les juges militaires, sous de multiples inculpations dont la moins grave 'etait peut-^etre encore celle d’espionnage.
D'ej`a le pr'esident du conseil, le colonel Mar'etin, avait 'et'e l’objet de multiples demandes de cartes, et l’on pressentait que si de s'erieuses pr'ecautions n’'etaient pas prises, la modeste petite salle d’audience serait tr`es vite trop envahie le jour du proc`es.
***
Isol'e dans la lugubre cellule qui, depuis une quinzaine lui servait de rigoureuse et monotone demeure, le malheureux J'er^ome Fandor ne savait absolument rien de tout ce qui se passait, ignorant du tapage que faisait dans le monde parisien l’affaire dont il allait devenir le h'eros.
Certes, – il fallait rendre cette justice au rapporteur, – la captivit'e de Fandor avait 'et'e adoucie dans la mesure du possible. Fandor pouvait faire venir ses repas du dehors et des livres de la biblioth`eque. Mais le prisonnier se pr'eoccupait fort peu de sa nourriture, et n’avait gu`ere l’esprit `a lire les romans insipides ou les po'esies maussades que l’autorit'e militaire voulait bien lui pr^eter.
Fandor aurait voulu avoir une communication quelconque avec le dehors. Bien entendu son voeu le plus cher e^ut 'et'e de voir Juve, mais l’entr'ee de la prison avait 'et'e rigoureusement interdite au policier qui, vraisemblablement, aurait `a intervenir au proc`es en qualit'e de t'emoin. Fandor aurait pu s’entretenir avec son avocat, s’il avait jug'e bon de s’en assurer un, mais tout au d'ebut de son incarc'eration, le journaliste avait d'eclin'e avec indignation le droit absolu qu’il avait de se faire assister d’un conseil. Il se m'efiait des bavardages, – m^eme d’un ma^itre du Barreau – qui n’aurait sans doute pas compris son r^ole exact, et Fandor, s^ur de lui, pr'ef'erait d'efendre lui-m^eme sa cause.