L'agent secret (Секретный агент)
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34 – UN TOUR DE FANT^OMAS
Fandor songea :
— Soit, je suis pris et je suis condamn'e `a mort. Puisqu’il faut mourir, sachons au moins mourir courageusement.
L’espace d’une seconde il rev'ecut encore les heures de joie, de lutte, d’'energie qu’il avait connues.
Il se rappela son enfance, les sombres myst`eres de sa vie tout enti`ere domin'ee par l’ombre de Fant^omas. Il se souvint, avec une intensit'e plus grande encore que dans son cachot du Cherche-Midi, des incidents de son existence, parce qu’il se souvenait avec cette clart'e d’esprit, cette 'etrange acuit'e que prend la pens'ee des mourants…
— C’est logique, d'eclara-t-il froidement, j’ai lutt'e contre Fant^omas, je suis parfois arriv'e `a mettre ce bandit en 'echec, il fallait bien qu’un beau jour il pr^it sa revanche. C’est lui, je n’en doute pas, qui me tient `a merci en ce moment… j’ai perdu la partie, je paie, je n’ai pas `a me plaindre…
Le journaliste ne voulait pas se rebeller contre le sort cruel. Ce n’'etait pas fanfaronnade de sa part, il lui plaisait d’accepter la mort comme un simple incident de lutte, comme une cons'equence naturelle de la vie qu’il s’'etait faite, volontairement, en engageant la bataille contre Fant^omas…
Et c’'etait avec un sentiment de r'esignation impassible, presque curieuse, que Fandor attendait…
Il attendait la mort ; il attendait ce qui devait arriver fatalement, f'erocement. Il comptait les secondes ; il 'ecoutait le silence lugubre de l’atelier ; il se disait :
— Pourquoi n’est-il pas l`a ? est-ce qu’il esp`ere que je vais avoir peur ? que je vais crier ? que je vais me d'ebattre ? ou bien a-t-il invent'e un long supplice et dois-je agoniser seul ici, dans quelque torture que je n’imagine pas encore ?
Soudain, sans bruit, dans un glissement qu’amortissait l’'epaisseur des tentures que feutraient les tapis, la porte de l’atelier s’ouvrit : des hommes entraient, une vingtaine, solennels, graves, myst'erieux…
Ils 'etaient tous enti`erement v^etus de noir. Sur leurs visages, un masque de velours, sorte de loup, 'etait 'etroitement maintenu, qui emp^echait de facon absolue d’apercevoir leurs traits.
Fandor regarda fixement ces inconnus… eux d'etournaient les yeux, semblaient ne point vouloir le consid'erer…
Sans un mot, sans un geste, ils gagn`erent le centre de l’atelier puis, en demi-cercle, ils se rang`erent face `a Fandor.
L’un d’eux, visiblement un chef, demeurait `a l’'ecart, les bras crois'es, t^ete haute, consid'erant le journaliste.
Et dans le silence impressionnant de la pi`ece, l’homme prit enfin la parole et, s’adressant `a ses compagnons :
— Fr`eres, dit-il, vous avez jur'e de d'efendre par tous les moyens la cause de la Russie. Le jurez-vous encore ?
— Nous le jurons !
D’une seule voix vibrante, convaincue, mystique, les masques 'enigmatiques avaient r'epondu.
— Fr`eres, je suis all'e vers vous, de ma retraite, parce que les n^otres m’ont dit :
— Nous sommes pr^ets !
L’homme qui venait de se poser ainsi en chef abandonnait alors son attitude nonchalante et, venant au-devant des conjur'es qui baissaient toujours la t^ete, comme ob'eissant `a une consigne donn'ee, il les apostrophait :
— Il est un homme dans Paris qui nous a fait plus de mal, `a nous autres, tch'ekistes, que toutes les polices du monde ! Un homme qui a soulev'e contre tous l’horreur des peuples, le m'epris de l’opinion, en accumulant les crimes les plus hideux, en en rejetant la responsabilit'e sur nous ; cet homme, moi, Trokoff, j’ai promis de vous le livrer pour que vous en tiriez vengeance… regardez, fr`eres, il est devant vous. Je vous le livre…
En s’entendant d'esigner sous le nom de Fant^omas, en s’entendant menacer par les tch'ekistes, Fandor, une seconde, avait eu envie de crier de toutes ses forces :
— Je ne suis pas Fant^omas ! et votre Trokoff est un tra^itre !… Fant^omas, c’est lui. La ruse est cousue de fil blanc.
Mais pouvait-il d'esarmer l’aveuglement farouche de ces hommes ?
L’essayer, c’'etait folie ! C’'etait crier mis'ericorde ! C’'etait s’abaisser `a une supplication…
Et le journaliste, dans un sursaut d’'energie, d'ecida :
— Je montrerai `a Fant^omas que J'er^ome Fandor sait mourir comme il le saurait lui-m^eme. Il ne faut point que moi, le pourchasseur de ce monstre, je lui donne le droit de me m'epriser…
Les Russes, cependant de plus en plus passionn'es, de plus en plus furieux, voulaient tirer une vengeance imm'ediate de celui qu’ils prenaient pour Fant^omas.
L’un d’eux s’approcha du journaliste et, le d'efiant :
— Fant^omas, tu as entendu ? tu as entendu que tu allais mourir ? Qu’as-tu `a dire pour ta d'efense ?
Obstin'e, Fandor ne r'epondit point.
— Fant^omas, tu ne veux point parler ? tu pr'etends mourir anonyme, inconnu ? `A ton gr'e !… Mais il est bon que nous ayons vu ton visage, que nous t’ayons connu vivant, pour ^etre plus tranquilles quand nous t’aurons vu mort… Ta cagoule ? je t’en d'epouille !…
Le Russe d'ej`a levait le bras et s’appr^etait `a arracher l’'etoffe qui dissimulait les traits de Fandor, lorsque Trokoff s’'elancait :
— Ne le touche pas ! dit-il ; ce mis'erable m’appartient ! N’insulte pas, fr`ere, celui qui est et qui ne va plus ^etre ! Nous sommes des juges, non des bourreaux…
Et, se tournant vers les conjur'es, 'elevant la voix, Trokoff demandait :
— Avez-vous confiance en moi ?… Voulez-vous m’abandonner cet homme ? C’est de ma main qu’il doit recevoir le coup fatal. C’est de ma main qu’il doit p'erir : j’ai droit plus que vous sur sa vie : c’est moi qui l’ai attir'e ici, qui vous ai mis en face de lui…