L'assassin de lady Beltham (Убийца леди Бельтам)
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— N’ayez aucune crainte, nous sommes l`a pour vous prot'eger contre lui, et d’ailleurs, vous n’allez pas le revoir tout de suite monsieur votre p`ere, car je vous envoie coucher au D'ep^ot.
En d'epit des lamentations de la malheureuse, le commissaire la confiait aux agents de police qui la ramenaient dans le petit local dont elle avait 'et'e extraite pour venir r'epondre au magistrat et o`u elle allait rester d'esormais jusqu’au prochain passage du « panier `a salade ».
Toutefois, un brigadier, brave homme, 'emu par cette douleur intense, avait chuchot'e `a l’oreille de la prisonni`ere :
— Ne vous faites donc pas tant de bile. Si c’est la premi`ere fois que ca vous arrive, vous aurez la loi B'erenger [20].
***
Dans les coulisses du Th'e^atre Ornano, le p`ere Coutureau faisait un tapage du diable, encore que sur les murs fussent appos'ees d’'enormes affiches recommandant le silence :
— Quelle taule, nom de Dieu, jurait-il, c’est pas un m'etier que je fais ici ! Les forcats de la Nouvelle [21] ont moins de turbin que moi.
Il brandissait `a la main une poign'ee de sabre.
— Que voulez-vous que j’en foute ? grommelait-il. Un sabre sans fourreau et sans lame ! Allez donc 'equiper avec ca, une troupe de militaires ?
Le p`ere Coutureau s’introduisit dans une sorte de r'eduit obscur qu’on intitulait pompeusement :
— Voil`a qui fera l’affaire, dit-il.
Et, avec un bout de ficelle, il attacha la poign'ee de sabre `a cette lame improvis'ee. Puis il prit un chapeau, un ancien bicorne de garcon de banque, et s’efforca d’y fixer quelques plumes, provenant sans doute d’une volaille `a bas prix.
— Avec ca, dit-il, j’aurai encore l’air de quelque chose.
Le p`ere Coutureau se regarda dans une glace et parut satisfait : habilleur, accessoiriste, il 'etait encore second r'egisseur et m^eme figurant au Th'e^atre Ornano. Il portait `a ce moment-l`a, une sorte d’uniforme qui pouvait passer pour une tenue de g'en'eral. Il sortit de la r'egie, appela autour de lui :
— Venez vous autres. On va lever dans quelques instants ! Attention au d'efil'e !
Quatre individus, v^etus en soldats coloniaux, dont l’uniforme consistait simplement en casques de m'etal que l’on avait recouverts de toile blanche, s’approch`erent, 'ecoutant les instructions du chef :
— Vous entrez c^ot'e cour, vous sortez c^ot'e jardin, d'eclarait-il, l’un derri`ere l’autre, en marchant au pas, puis sit^ot fait, vous passez derri`ere la toile de fond pour revenir c^ot'e cour et recommencer. Vous pensez bien qu’il faut d'efiler plusieurs fois, les affiches annoncent une arm'ee de cent cinquante hommes. Or, moi compris, nous sommes sept. Bien entendu, faudra changer vos attitudes, et au besoin vos costumes.
— Mais, fit remarquer un figurant, nous n’en avons pas de rechange.
— Qu’est-ce que cela fait ? Changez tout au moins de casque entre vous. Cela vous fera des physionomies diff'erentes, les uns auront un casque trop petit, les autres un casque trop grand, ca sera tr`es bien. Quoi ? qu’est-ce qu’il y a ? Qu’est-ce qu’on me veut ?
Le concierge du th'e^atre, qui venait d’arriver, tirait le p`ere Coutureau par le bras.
— Dis donc, fit-il, il y a comme ca deux types qui demandent `a te parler.
— Penses-tu que j’ai le temps en ce moment ? Dis qu’ils repassent !
— Para^it que c’est urgent poursuivit le concierge, c’est rapport `a ta m^ome.
— Qu’est-ce qu’ils peuvent bien me vouloir ? Si c’est rapport `a Rose, ils n’ont qu’`a s’adresser `a elle, directement, elle doit ^etre en train de se fringuer, puisqu’elle est du premier tableau. Dis-leur la quatri`eme loge dans l’escalier de droite.
— Rose n’est pas l`a, fit le concierge, et les types veulent te voir personnellement.
— Alors, qu’ils montent !
D'ecid'ement, le p`ere Coutureau 'etait un personnage auquel il fallait ob'eir. Le concierge descendait, rendit sa r'eponse aux deux individus qui attendaient.
Le Th'e^atre Ornano 'etait un 'etablissement peu ordinaire. Construit `a la fourche de la rue Clignancourt, tout au sommet de la Butte Montmartre, il avait pour client`ele habituelle, non seulement la petite bourgeoisie du quartier, mais encore les apaches et les r^odeurs du boulevard Barb`es et de la Chapelle. C’'etait un th'e^atre o`u l’on 'etait en famille. Dans la salle, tous les soirs, se faisait une grande consommation d’oranges. On s’interpellait aussi du parterre `a la sc`ene, et r'eciproquement. Il arrivait souvent que des spectateurs ou des spectatrices qui avaient trop d'epens'e d’argent pour venir voir le drame ou la com'edie, se faisaient sans difficult'e embaucher comme figurants ou petits r^oles. De telle sorte que c’'etait un perp'etuel va-et-vient de l’ext'erieur `a l’int'erieur des coulisses. La client`ele, comme la troupe 'etait toujours la m^eme. On se connaissait de part et d’autre de la rampe. Cela cr'eait une atmosph`ere cordiale, une v'eritable intimit'e.
Les deux hommes qui 'etaient venus demander le p`ere Coutureau n’'etaient autres que Narlogne et P'erouzin. Depuis leur sensationnelle capture, les in'enarrables inspecteurs de la S^uret'e 'etaient gonfl'es d’importance et pleins de joie. Ils ne manquaient pas de courage, et tous deux avaient jur'e de justifier la r'eputation de
« types 'epatants » qu’ils s’'etaient octroy'ee. Oui, ils ne m'enageraient pas leurs peines, et feraient, au sujet de ce vol abominable qu’ils avaient d'ecouvert, une enqu^ete minutieuse et serr'ee.P'erouzin avait sugg'er'e `a Nalorgne :
— Va falloir ^etre tr`es malins pour faire causer le p`ere de la petite, et lui annoncer la chose en douce. Tirons-lui d’abord les vers du nez, on ne sait jamais. Quoi qu’en ait dit la gamine qui para^it redouter plus que tout la col`ere de son papa, cet homme est peut-^etre un malfaiteur, le complice de sa fille.
— Bien parl'e, approuva Nalorgne. Dans toute affaire de ce genre, il faut avoir 'enorm'ement de circonspection.
Le concierge les faisait monter par un 'etroit escalier dans lequel ils tr'ebuchaient, puis les deux inspecteurs d'ebouch`erent dans ce que l’on appelait au Th'e^atre Ornano « les coulisses », c’est-`a-dire dans le local le plus exigu et le plus innommable qu’il f^ut possible d’imaginer. Du premier coup, P'erouzin, en surgissant sur le plateau, remarquait qu’il y avait tout autour de lui un tas de petites femmes fortement maquill'ees et qui jacassaient avec animation, tout en regardant les nouveaux venus, en se poussant du coude, et en 'etouffant des rires narquois. On entendit m^eme quelques appr'eciations peu flatteuses :
— Oh ben, il en a une binette ! Non, mais regarde-moi ca !
P'erouzin essaya de plastronner, mais il 'etait g^en'e par ces paires de grands yeux moqueurs qui se fixaient sur lui. Quant `a Nalorgne, il soufflait bruyamment, surpris par cette odeur caract'eristique des coulisses de th'e^atres populaires, qui sentent `a la fois l’humidit'e, la parfumerie `a bon march'e, la transpiration et l’'evier sale.
Soudain, un individu v^etu en g'en'eral n`egre se rapprocha des deux inspecteurs de police :