L'?vad?e de Saint-Lazare (Побег из Сен-Лазар)
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— Cr'edibis`eque, qu’est-ce que cela veut dire ?
`A ce moment, on cria :
— `A l’assassin, arr^etez-le, arr^etez-le.
Le courtier, encore mal remis de son propre 'etonnement, vit autour de lui des poings tendus menacants, des visages que la col`ere et le d'ego^ut rendaient furieux.
— Mais sapristi, commenca-t-il, qu’est-ce que vous avez donc tous ? Qu’est-ce qui a jet'e ca ?
Il se baissa, il ramassa la chevelure, il la consid'era l’oeil stup'efait. Les vocif'erations continuaient cependant. On se remit `a crier :
— `A l’assassin, arr^etez-le, arr^etez-le !
Le courtier pourtant, son premier effroi pass'e, semblait retrouver un grand sang-froid. D’un geste autoritaire il 'ecarta ceux qui se bousculaient pr`es de lui :
— Conducteur, criait-il, ne laissez descendre personne.
Et, en m^eme temps, se dirigeant vers la sortie de la voiture, `a haute voix, l’'etrange personne commanda :
— Je v'erifierai l’identit'e de toutes les personnes pr'esentes, par cons'equent, inutile de vouloir r'esister. Que la personne qui a perdu cette chevelure se livre d’elle-m^eme.
C’'etait l`a, pour les assistants, des paroles extraordinaires, car chacun 'etait persuad'e que le scalp 'etait bel et bien tomb'e des poches de ce voyageur.
Pourtant, au moment m^eme o`u il affirmait qu’il v'erifierait l’identit'e de toutes les personnes pr'esentes, une voix s’'eleva tranquille, qui r'epondit :
— Eh bien quoi, faites pas de p'etard, puisque je suis fait, j’aime autant le dire tout de suite, c’est moi qui ai laiss'e tomber ca.
C’'etait un gosse qui riait, avec une belle qui'etude, s’avancant vers le courtier :
— Emmenez-moi, disait-il, c’est moi qui ai perdu le scalp que vous tenez, mais je ne tiens pas `a me faire 'etriper par la foule.
La d'eclaration du gosse – c’'etait le gamin qui, depuis Saint-Denis avait d'evisag'e le courtier – fit stupeur.
Un instant, on se tut. D'ej`a le courtier avait mis sa main sur l’'epaule du gamin, le poussant vers la sortie de la voiture ;
— Suis-moi.
Le conducteur toutefois, barra le passage.
— Qui c’est que vous ^etes ? demandait-il, ah, mais ca ne peut pas se passer comme ca, faut chercher les agents.
Pour toute r'eponse, le courtier prit dans sa poche une sorte de petit carton qu’il placa sous les yeux de l’employ'e.
— Inspecteur de police. Faites arr^eter, et repartez tout de suite. J’emm`ene le gamin.
Il tenait en effet par l’'epaule solidement le gosse, qui s’'etait livr'e de lui-m^eme.
Il le fit descendre et descendit en m^eme temps que lui.
— Repartez, cria l’inspecteur de police au conducteur du tramway.
Et, en m^eme temps, il entra^inait brutalement l’enfant. Les deux hommes firent ainsi quelques pas, puis le faux courtier s’arr^eta et consid'erant son prisonnier :
— Ah c`a, demanda-t-il, qui diable es-tu ? Et qu’est-ce qui t’a pris de dire que tu avais perdu cette chevelure, quand elle 'etait tomb'ee de ma poche ?
Le gosse lui fit cette r'eponse extraordinaire :
— M’sieu Juve, vous pourriez bien m’offrir une tasse de caf'e, sauf votre respect, c’est mon heure. Et puis, en prenant un petit noir j’pourrai peut-^etre bien vous dire des choses int'eressantes.
***
Dix minutes plus tard, le policier Juve, – car c’'etait bien en effet le v'eritable Juve qui avait jou'e le r^ole de courtier en vins chez Mme Granjeard – s’attablait dans un mastroquet de la rue de Maubeuge en face de son jeune prisonnier.
Le policier 'etait abasourdi : il regardait le gamin d'eguster avec un calme parfait une tasse de caf'e, avec des yeux qu’une stup'efaction profonde arrondissait :
— Ah c`a, d'eclarait Juve, mais me diras-tu, Riquet de malheur, comment…
— C’est rien farce. Alors, M’sieu Juve, vous savez mon nom ?
Juve se mordit les l`evres. Il y avait longtemps qu’il s’occupait de l’affaire Granjeard, longtemps qu’il avait devin'e que Riquet 'etait un personnage int'eressant `a 'etudier, mais il n’'etait peut-^etre pas tr`es habile de sa part d’avoir laiss'e deviner au gamin qu’il le connaissait parfaitement.
La gaffe 'etait faite pourtant, et il 'etait trop tard pour nier la chose.
— Parfaitement, r'epondait Juve, je sais que tu t’appelles Riquet, mais toi comment sais-tu que je suis Juve ?
C’'etait au tour de Riquet d’'eclater de rire.
— Quand vous ^etes mont'e dans le tramway, dit-il, je vous ai parfaitement identifi'e. Tiens, voil`a plus de trois ans que, chaque jour, sauf votre respect, M’sieu Juve, je lis dans tous les journaux des aventures o`u vous avez 'et'e m^el'e, ca serait tout de m^eme malheureux que je n’aie pas reconnu votre signalement, surtout apr`es vous avoir vu sortir de chez les Granjeard, et puis enfin, depuis plusieurs jours je vous guettais, je voulais ^etre s^ur de quelque chose.
'Etonn'e, Juve r'ep'etait :
— Tu m’as vu sortir de l’usine ?
— Oui, m’sieu Juve. M^eme je vous ai fil'e.
— Tu m’as fil'e ?
Juve allait de stup'efaction en stup'efaction, son 'etonnement 'etait si comique que Riquet n’insistait pas.
Il avait l’^ame satisfaite d’ailleurs, il se sentait envahi d’une r'eelle fiert'e `a la pens'ee qu’il 'etonnait Juve.
— 'Ecoutez, faisait-il, je vais vous cracher tout mon boniment. Voil`a : quand je vous ai vu sortir de chez les Granjeard, je me suis dit : Voil`a Juve, le vrai Juve. Bon. L`a-dessus, je vous embo^ite le pas, vous montez dans le tramway, j’y monte, vous prenez une paire de gants dans votre poche, et vous flanquez par terre un scalp. Naturellement, ca fait du raffut. H'e, h'e, que j’me dis, Juve va avoir des emb^etements. L`a-dessus, pour donner le change, avec un culot pas ordinaire, vous demandez que le coupable se livre. Bon, que j’me dis, voil`a une pr'esentation pas banale. Et pour vous rendre service, pour faire vot’ connaissance, tranquillement, je r'eponds que c’est moi qui ai perdu la chevelure. C’est pas imagin'e, hein ?
C’'etait si bien imagin'e que Juve 'etait dans l’admiration.
— Mais enfin, sapristi de sapristi, que sais-tu donc de toute cette affaire ? Quel r^ole exact y as-tu jou'e ? Crois-tu que les Granjeard sont coupables ?
Riquet n’h'esitait pas.
— Les Granjeard coupables ? r'epondit-il, jamais de la vie. Celui qui a fait le coup, c’est le faux Juve, c’est Fant^omas, c’est mon ex-ami.
Et Riquet, tranquillement, avec des arguments qu’il lui 'etait facile d’'etayer de preuves, fit `a Juve le r'ecit de ses aventures personnelles.
Il contait comment il avait fait connaissance avec le faux Juve sur les ruines m^emes de la rue Bonaparte, comment, quelques jours plus tard, il avait reconnu, dans le personnage de Taxi, le c'el`ebre J'er^ome Fandor, comment enfin, espionnant le faux Juve, il avait 'et'e amen'e `a monter dans l’automobile qui avait conduit H'el`ene au couvent de l’Assomption. Il dit enfin tout ce qu’il avait appris d’extraordinaire au sujet de ce faux Juve, qui 'etait, qui ne pouvait ^etre que Fant^omas.