La disparition de Fandor (Исчезновение Фандора)
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— Ca va bien, pensa Fandor, acceptant toujours avec une extr^eme philosophie ce qu’il ne pouvait emp^echer, ca va tr`es bien. Tout `a l’heure ils vont me balancer sur la voie et je serai proprement coup'e en deux, ou trois ou quatre morceaux par les roues des wagons attel'es `a cette locomotive du diable.
Fandor se trompait. Apr`es vingt minutes d’une course folle, le train stoppait, le journaliste 'etait jet'e sur un talus et l`a, impuissant, il assistait `a un cambriolage en r`egle des wagons et des bagages.
— De plus en plus amusant, se d'eclara le journaliste, voil`a maintenant que je suis au Ch^atelet et que j’assiste `a l’attaque d’un convoi par les Peaux-Rouges.
C’'etaient bien des Apaches, mais des apaches parisiens qui pillaient le train, et la situation n’'etait rien moins que rassurante pour Fandor qui devait s’attendre d’une minute `a l’autre `a ce que le pillage une fois termin'e, on rev^int s’occuper de lui.
Une fois encore, cependant, le journaliste devait se tirer indemne de la terrible aventure qui lui arrivait.
Loin de le mettre `a mort, comme cela semblait in'evitable, ses agresseurs se contentaient tout tranquillement, leur pillage achev'e, de le rouler dans une grande couverture de voyage, tel un paquet et de l’emporter.
— Je ne peux pas voir le paysage, conclut Fandor et c’est bien dommage, car j’imagine que dans une petite heure, j’aurai le plaisir de me trouver face `a face avec mon vieil ami Fant^omas.
Pour Fandor en effet, l’affaire 'etait claire. C’'etaient les hommes de Fant^omas qui avaient arr^et'e le train. C’'etaient eux qui avaient d^u incendier la for^et. Le hasard seul avait voulu que Fandor se trouv^at dans ce train. Il avait 'et'e reconnu. On l’avait fait prisonnier. Ce n’'etait que provisoirement qu’il avait la vie sauve. Fant^omas n’oubliait rien.
Emport'e `a dos d’homme par de robustes compagnons, Fandor, apr`es une demi-heure de marche `a travers champs, se sentit d'epos'e, sans aucune douceur, dans une voiture automobile dont le moteur tourna. Ses ravisseurs, vraisemblablement, prirent place sur la banquette alors que lui-m^eme fut jet'e sur le plancher, puis la voiture d'emarra.
— On m’offre une promenade. Tr`es bien. Il y a quelque chose comme ca dans l’histoire des condamn'es `a mort. C’est en voiture qu’on les conduit `a la guillotine. Je me demande par exemple si c’est `a un supplice aussi doux que la guillotine que l’on me v'ehicule maintenant.
La voiture roulait toujours. On devait traverser des villages, peut-^etre m^eme p'en'etrer dans une grande ville car Fandor, de dessous son b^aillon, entendait ou croyait entendre des timbres de tramways, des bruits de roues et des grincements d’essieux.
L’automobile tourna plusieurs fois enfin, comme si elle marchait `a travers des rues encombr'ees. Brusquement les freins hurl`erent.
— Le terme du voyage, songea Fandor, m'elancolique.
On le prit par les pieds et la t^ete, on le transporta. `A nouveau il 'etait jet'e sur un plancher de bois dont il identifiait imm'ediatement la nature :
— Tiens, c’est rigolo, me voil`a dans une barque, suis-je sur un fleuve par exemple, sur un lac, ou dans la mer ? apr`es tout je m’en fiche. Il est probable que tout `a l’heure on me balancera dans l’onde, j’aurai tout le loisir voulu pour en d'eguster assez et reconna^itre ainsi si c’est de l’eau sal'ee ou de l’eau douce.
La barque cependant d'erapait, et Fandor ne pouvait garder la moindre illusion `a la houle qui secouait l’embarcation : elle voguait sur la mer.
— Bougre, songea le journaliste, ca se complique. On ne va pas encore j’esp`ere m’enfermer dans une caisse et m’envoyer `a l’autre bout du monde. J’en ai assez, sapristi, des voyages en wagon capitonn'e.
Mais ce n’'etait 'evidemment pas une travers'ee aussi bizarre que celle qu’il avait effectu'ee jadis `a destination du Natal qui se pr'eparait pour Fandor.
Apr`es avoir vogu'e, probablement `a la voile, pendant deux grandes heures, la barque racla contre un fond que Fandor estima devoir ^etre de rocher. `A nouveau, le journaliste se sentit saisi et si un petit frisson lui courut le long de l’'echin'e quand il se dit qu’on allait peut-^etre le balancer dans les eaux, il 'eprouva un plaisir `a voir qu’au contraire, avec des m'enagements relatifs, on l’emportait sur la terre ferme.
— Dr^ole de voyage, pensa Fandor, mais attendons la fin, je n’aime pas beaucoup l’arr^et aux stations.
Fandor riait en lui-m^eme du d'etestable mot qu’il venait de commettre, lorsque ceux qui l’emportaient, apr`es avoir gravi un escalier, semblaient en descendre un autre. Fandor crut reconna^itre, au travers de sa couverture que l’on respirait un air glacial et humide. En m^eme temps, une sorte de bruit sourd, continuel et monotone lui emplissait les oreilles :
— O`u diable suis-je et que diable va-t-on faire de mon estimable personne ?
***
Cinq jours plus tard, Fandor, d'elivr'e de ses couvertures, de ses liens et de ses b^aillons, arpentait fou furieux une sorte de petite cave parfaitement ronde, noire, encombr'ee de ballots de marchandises.
Fandor, tout en tournant en rond, tapait `a grands coups de poing contre les murailles lisses et hurlait d’une voix col`ere :
— La gardienne, allons la gardienne, venez m’'ecouter, bon sang de bonsoir ! Voulez-vous descendre, sacr'ee m'eg`ere que vous faites ! Si vous n’^etes pas l`a dans cinq minutes, jour de ma vie, je vous renvoie dans les 'etoiles !
Peu `a peu il se calma.
— Bon, ce n’est pas la peine de m’enrouer, se d'eclara-t-il, subitement, cette maudite fumelle serait d'ej`a venue si elle m’entendait, elle doit ^etre dehors. N’importe o`u. Elle ne peut m’entendre. Patientons.
La patience n’'etait pas le fort du journaliste. Aussi bien il ne se faisait plus d’illusions et depuis de longs moments, savait exactement `a quoi s’en tenir.
La cage ronde qu’il occupait, dans laquelle on le maintenait soigneusement, J'er^ome Fandor l’avait parfaitement reconnue.
— Ca, s’'etait dit le journaliste, lorsque apr`es avoir rompu ses liens, il avait pu inspecter sa prison, ce n’est ni plus ni moins, que le soubassement d’un phare. On m’a emmen'e en automobile jusqu’`a un point de la c^ote. L`a, on m’a embarqu'e sur un canot, lequel a ralli'e un phare et c’est dans ce phare que je suis enferm'e. Le bruit de la mer que j’entends, suffirait `a me convaincre si je pouvais douter de la chose, mais je n’en doute pas. D’ailleurs, la question n’est pas de savoir o`u je suis, non plus que la facon dont j’y suis, l’essentiel est pour moi d’inventer un moyen de m’en sortir.