La mort de Juve (Смерть Жюва)
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— Mazette, fit J'er^ome Fandor.
D'ej`a quelque chose de lourd, de puissant, de souple, d’agile, lui avait bondi sur l’'epaule. J'er^ome Fandor qui ne s’attendait nullement `a cette attaque, fut violemment jet'e sur le sol et s’'ecroula, avec la sensation qu’il venait d’avoir l’'epaule labour'ee par un instrument tranchant. Il 'etait perdu.
Or, comme il se relevait du tas de sable o`u cette attaque fortuite l’avait jet'e, J'er^ome Fandor, tout meurtri, apercut dans l’ombre proche, deux points flamboyants, deux flammes.
— Jour de ma vie, hurla Fandor, si c’est vous Fant^omas, `a nous deux.
En m^eme temps, il arrachait de sa poche son revolver, il le braquait sur les points lumineux, deux yeux, avait-il pens'e, il faisait feu.
La d'etonation s`eche de l’arme 'eclatait `a peine que la lueur du coup 'eclaira une seconde l’endroit o`u J'er^ome Fandor 'etait : le jeune homme apercut une b^ete 'enorme. C’'etait, accroupi sur lui-m^eme, les muscles band'es, pr^et `a prendre son 'elan, un superbe lion qui, tout `a l’heure, ayant d'ej`a bondi sur lui, l’avait, dans son saut, atteint `a l’'epaule d’une de ses griffes ac'er'ees.
— Ah, cette fois, pensa Fandor.
Il se jeta de c^ot'e, et il fit bien. Au m^eme moment, le lion, qui sans doute avait 'et'e paralys'e d’effroi lui aussi par la lueur du revolver, fit un nouveau bond. J'er^ome Fandor sentit l’'enorme fauve passer `a quelques pas de lui. Il entendit le rauque hurlement s’'echapper de la gorge profonde, r'esonner dans le parc. D’autres hurlements lui r'epondirent.
— Archi foutu, r'ep'eta Fandor. Je me suis flanqu'e dans une m'enagerie.
En m^eme temps, se rappelant de vagues conseils lus dans des livres de chasse, il courut de toutes ses forces, faisant de brusques zigzags, de rapides crochets, et s’attendant `a tout instant `a recevoir le poids formidable de la b^ete. J'er^ome Fandor parcourut ainsi dix m`etres peut-^etre. Mais la fuite ne pouvait 'evidemment le sauver. En deux bonds, le lion l’aurait rejoint. Et puis, dans le parc tout entier, le vacarme, les hurlements des fauves montaient de seconde en seconde. Il fallait prendre un parti. J'er^ome Fandor n’h'esita plus. Un dernier saut l’amena au pied d’un petit arbre auquel il s’agrippa, il se hissa, il monta, aussi vite qu’il le put. J'er^ome Fandor 'etait encore pr`es de terre, lorsqu’il sentit sa jambe droite horriblement griff'ee par l’un des terribles ennemis. La douleur faillit lui faire l^acher prise. Mais il se roidit, il jura, il serra les dents, il tira sur la jambe qui lui faisait l’effet d’^etre happ'ee par un 'etau, la b^ete avait d^u mal assurer sa prise, sa jambe se d'egagea, quelque temps apr`es il 'etait `a califourchon sur une branche en s^uret'e. L’alerte avait 'et'e chaude. Et, quelle que f^ut sa pr'esence d’esprit, J'er^ome fut de longues minutes avant de retrouver un peu de calme :
— Mazette de mazette, finit-il pas se d'eclarer `a lui-m^eme, je comprends que dans le pays on consid`ere qu’il se passe des choses 'etranges dans cet infernal ch^ateau. Les voil`a bien, les chats gigantesques dont ils parlent, ces sacr'es paysans. Des chats ? Je leur en donnerai des chats de cette taille. En voil`a des matous pour vieilles dames. Je voudrais le voir, M. Francois Copp'ee avec son amour pour les minets, s’il trouverait l’aventure plaisante.
J'er^ome Fandor se rappelait les dires des habitants terrifi'es de Saint-Martin. Il comprit tout d’un coup quelle 'etait la destination des voitures sanglantes dont on lui avait parl'e. Parbleu, elles apportaient la viande de boucherie destin'ee `a la nourriture des fauves. Mais qui donc pouvait avoir eu l’id'ee de l^acher des lions dans ce parc ? Ah, cela, J'er^ome Fandor n’eut pas besoin d’y r'efl'echir longtemps. Celui-l`a qui, avait pu concevoir la surprenante id'ee de faire apporter dans des caisses 'enormes, des lions `a Saint-Martin, de les l^acher dans le parc pour en faire de terrifiants gardiens, celui-l`a ne pouvait ^etre que… C’'etait bien une de ses id'ees, que celle de ce parc infest'e de b^etes f'eroces.
— H'e, h'e, se disait le journaliste, en voil`a un croquemitaine, non seulement il tue les personnes maintenant, mais encore il les expose `a se transformer en p^at'e pour ses animaux domestiques. Tr`es peu, je ne me sens pas une vocation de comestible.
Il fallait aviser cependant. Certes, J'er^ome Fandor ne courait plus aucun danger pour l’instant. Perch'e sur son arbre, il pouvait exciter impun'ement la col`ere des fauves dont il voyait luire la prunelle dans l’ombre avoisinante. Mais il ne pouvait rester longtemps l`a. Dans sa fuite, il avait perdu son revolver, et d'esarm'e maintenant, il songeait que s’il demeurait sur sa branche d’arbre, in'evitablement Fant^omas, qui ne devait pas ^etre loin, le d'ecouvrirait. Il se trouverait alors `a sa merci.
— De plus en plus charmant, se d'eclara le journaliste, j’ai maintenant le choix entre la gueule des lions et les supplices vari'es que ne manquera pas d’inventer Fant^omas pour se d'ebarrasser de ma personne. Le malheur est que je pr'ef'ererais ne pas choisir, ou choisir un troisi`eme parti.
Fandor 'etait trop homme de ressource pour longtemps rester inactif.
— Il faut d’abord voir clair, pensa-t-il.
Sa petite lampe n’avait pas quitt'e la poche de son veston. Il l’alluma, et vit cinq lions.
— De quoi faire la joie d’un barnum, se murmura-t-il.
Le petit arbre sur lequel J'er^ome s’'etait si fortuitement r'efugi'e n’'etait pas tr`es 'eloign'e, il le constata avec un soupir de soulagement, d’une sorte de haut mur, fermant un enclos taill'e `a m^eme le parc.
— Ce sont d’anciennes 'ecuries, probablement, pensa Fandor. Les lions ne pourront jamais sauter ce mur. Si je parviens `a le rejoindre, moi, je serai hors d’atteinte.
Mais en m^eme temps qu’il envisageait la possibilit'e d’'echapper au terrible danger qui le menacait, J'er^ome Fandor songeait avec m'elancolie que pour rien au monde il ne consentirait `a user de ce moyen.
— Battre en retraite, renoncer `a rejoindre H'el`ene. Ah, non, pas ca ! J’aimerais encore mieux tenter d’apprivoiser les petites b^etes qui sont au pied de cet arbre, et qui me font l’amiti'e de me consid'erer comme une primeur.
« Si je descends, je suis mang'e, se r'ep'etait-il, si j’essaie de m’en aller par le mur, je renonce `a H'el`ene. Je ne veux ni ^etre mang'e ni m’enfuir, il faut trouver autre chose.
Or, c’'etait cette autre chose, ce moyen vague de s’'echapper que J'er^ome Fandor cherchait obstin'ement.
— Et allez donc, mes enfants, susurrait-il aux b^etes f'eroces, et allez donc, rossignols de m'enagerie, et allez donc, carlins `a Fant^omas, si vous vous imaginez que je vais me laisser bouffer par vous, vous vous mettez les quatre pattes et la queue dans l’oeil. Ou je ne m’appelle plus Fandor, ou Marin Premier va me tirer d’affaires.
Qu’avait invent'e J'er^ome Fandor ?
Le journaliste se livrait `a une surprenante manoeuvre. Quittant la branche d’arbre sur laquelle il 'etait assis, il se hissa `a la force des poignets le plus haut qu’il le put au long du tronc de son mince perchoir. L`a, J'er^ome Fandor se balanca de toute sa force. L’arbre 'etait jeune, souple, il oscilla faiblement d’abord, puis il s’inclina de plus en plus. Bient^ot J'er^ome Fandor parut juch'e sur le m^at d’un navire secou'e par une forte houle. Or, le journaliste avait merveilleusement combin'e son affaire. Au fur et `a mesure qu’il prenait plus d’'elan, il arrivait `a dominer de plus en plus l’enclos dessin'e par le mur apercu quelques instants auparavant. Un dernier effort. J'er^ome Fandor se rendait compte qu’`a chaque balancement de l’arbuste il d'epassait maintenant ce petit mur.
— Encore une fois, murmura-t-il, et, `a la gr^ace de Dieu, je l^ache tout.
Il tomba dans l’enclos. Il tomba sur de la terre grasse, se fit mal. Mais enfin il tomba hors de port'ee des lions. J'er^ome Fandor voulait donc fuir ? J'er^ome Fandor abandonnait donc l’id'ee de rejoindre celle qu’il aimait ? Le journaliste ne s’'etait pas relev'e, riant aux 'eclats de ce qu’il estimait dans son esprit ^etre une bonne farce jou'ee `a Fant^omas, qu’il traversait l’enclos, `a pas pr'ecipit'es. La lune, brusquement venait de surgir. Un peu de lumi`ere, une clart'e p^ale et blafarde lui permit de se diriger sans grand-peine. J'er^ome Fandor avisa un tonneau vermoulu que les pluies r'ecentes avaient `a demi rempli et qui attendait l`a, le long de la grande muraille :