La mort de Juve (Смерть Жюва)
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— Cette fois, je suis dans la place, murmura-t-il, et comme je ne sais pas l’accueil que l’on m’y r'eserve, attention.
Le vestibule dans lequel Fandor venait de p'en'etrer 'etait, ainsi qu’il arrive souvent dans les vieux ch^ateaux, une sorte d’'enorme salle au plafond en ogive, aux allures de corps de garde et dans laquelle descendait un monumental escalier `a double r'evolution dont la balustrade de pierre, ajour'ee, t'emoignait de splendeurs anciennes. Aucun meuble, aucune tenture, rien qui p^ut annoncer la pr'esence de l’Homme.
— C’est le ch^ateau des Mille et une Nuits, grommela Fandor, promenant soigneusement sur les murs le pinceau lumineux de sa lampe de poche, c’est le ch^ateau de la Belle au Bois dormant, et pourtant je pourrais bien y vivre mon dernier nocturne.
« Bah, murmura Fandor apr`es quelques instants d’h'esitation, quand on est enfonc'e dans la boue, il n’y a qu’un moyen d’en sortir : y patauger. En ce moment, je me fais assez l’effet d’^etre en plein dans un gu^epier. T^achons de nous y conduire le mieux possible, pour en sortir au plus vite.
D'edaignant les salles du rez-de-chauss'ee, il monta. Sa lampe de la gauche, un poignard de la main droite, car il n’avait pas retrouv'e son revolver, J'er^ome Fandor se mit en devoir de gravir les marches du grand escalier. Il ne prenait point la peine d’'etouffer le bruit de ses pas. Au contraire, il semblait satisfait d’'eveiller dans le ch^ateau des 'echos qui se r'epercutaient dans le lointain des corridors.
— Si Fant^omas m’entend, se disait le journaliste, il va certainement me sauter dessus. J’aime mieux tout de suite que plus tard, je pr'ef`ere la lutte `a l’attente.
Sur le palier du premier 'etage, Fandor cependant s’immobilisa brusquement.
— Ah, cr'edibis`eque !
Clou'e sur le sol, pench'e en avant, aux aguets, Fandor semblait 'eprouver une terrible 'emotion. Puis, il se pr'ecipita en furieux le long d’une galerie, qu’il parcourut sans aucune pr'ecaution, appelant :
— H'el`ene, H'el`ene.
Fandor, du palier, avait cru entendre une plainte continue. Au bout du corridor, en effet, `a un angle de la galerie, il d'ecouvrit le carr'e lumineux d’une porte entrouverte. Fandor fut en un 'eclair `a l’entr'ee de cette chambre. Il ne s’'etait pas tromp'e, c’'etait bien de l`a que partaient les sanglots.
H'el`ene, atrocement p^ale, dans un grand lit, secou'ee par la fi`evre, appelait, qui ?
— H'el`ene, H'el`ene, m’entendez-vous ?
Comment lui venir en aide ?
— Fandor, g'emit-elle.
Or, tandis que le jeune homme jetait un regard rapide dans la pi`ece sommairement meubl'ee, meubl'ee en h^ate, Fandor tressaillit.
Coll'e contre le mur, juste au-dessus de la petite 'etag`ere surcharg'ee de flacons, il venait d’apercevoir un papier dont la suscription 'etait surprenante au plus haut point :
Pour Fandor.
Fant^omas savait donc qu’il allait venir.
Fandor lut d’abord sans comprendre.
La notice indiquait minutieusement les soins `a donner `a la jeune fille, les potions qu’il fallait lui faire prendre d’heure en heure, et dont les fioles 'etaient l`a, toutes pr^etes.
Et Fandor, insoucieux du danger, se transforma en garde-malade.
La nuit passa lente et froide. Fandor 'etait au chevet de la jeune fille. L’aube rougeoyante alluma des reflets sinistres dans la pi`ece. Puis le grand jour se fit. Des ang'elus tint`erent aux clochers voisins. Fandor 'etait toujours au pied du lit d’H'el`ene, sa montre en main, surveillant le sommeil fi'evreux de la malheureuse.
Or, comme il pouvait ^etre `a peu pr`es six heures du matin, Fandor fut tir'e brusquement de sa triste songerie par une fusillade nourrie.
— Ah, sapristi, est-ce que, par hasard, Fant^omas…
Fandor courut aux fen^etres, retenant mal un 'epouvantable juron :
— La police, c’est la police.
Dans le parc, J'er^ome Fandor venait d’apercevoir un groupe d’une vingtaine d’hommes form'es en carr'e, le fusil `a l’'epaule et s’avancant vers le ch^ateau, tout en faisant feu sur les fourr'es, o`u, sans doute, les fauves surpris se terraient.
Eh oui, la police, avec Nalorgne et P'erouzin marchant devant.
Parbleu, si Nalorgne et P'erouzin 'etaient venus `a Saint-Martin, c’'etait bien probablement parce qu’ils 'etaient sur les traces de J'er^ome Fandor, accus'e d’espionnage, de trahison, de naufrage volontairement provoqu'e.
— Cette fois, se dit le journaliste, je crois que mes affaires se g^atent. J’avais les lions sur le dos, cette nuit, et ce matin j’ai les argousins sur les talons. Je perds au change. Comment me tirer de l`a ?
En h^ate, le jeune homme s’approcha de la petite table sur laquelle 'etaient rang'es les flacons de rem`edes qu’il administrait `a H'el`ene. Fandor tira son crayon, 'ecrivit de sa large 'ecriture :
La potion a 'et'e donn'ee, en dernier lieu, `a six heures moins le quart, il faudra l’administrer de nouveau, `a sept heures moins le quart.
Au-dessous, il signa, pourquoi pas ? il signa :
J'er^ome Fandor.
Le journaliste alors 'epingla la notice l`a o`u il l’avait trouv'ee. Il barra l’indication pour Fandor, qu’il remplaca par Messieurs les Policiers.
Puis, cela fait, il revint s’agenouiller tout pr`es du lit de la malheureuse H'el`ene. Lentement et avec une douceur infinie, Fandor attira la main fine de la jeune fille, et avec une douceur infinie, il y posa un tr`es long baiser.
Nalorgne et P'erouzin semblaient discuter avec les autres policiers sur les moyens d’envahir le ch^ateau.
— Les imb'eciles songea Fandor.
Il sourit, puis cria de toutes ses forces :
— Au secours, au secours !
Alors seulement, J'er^ome Fandor battit en retraite. Vingt m`etres `a peine le s'eparaient des agents que Nalorgne et P'erouzin, prudemment rest'es en arri`ere, jetaient `a ses trousses. Mais J'er^ome Fandor avait pour lui, pour assurer son salut, la t^ete froide et une habilet'e dont il avait donn'e maintes fois preuves.
— C’est bien le diable, songeait le journaliste, si je ne trouve pas un placard, un recoin, un meuble, n’importe quoi o`u me cacher.
La galerie qu’il suivait 'etait longue et tortueuse. Il y galopa. Elle finissait brusquement en cul-de-sac. Or, au moment o`u tout se compliquait, car Fandor allait ^etre pris au pi`ege, le journaliste entendit tr`es distinctement une voix qui lui criait :
— `A droite, la premi`ere porte `a droite, hardi, d'ep^echez-vous !
Qui 'etait-ce ?