La mort de Juve (Смерть Жюва)
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— Et alors, Papa, comment ca va ?
Irma de Steinkerque n’'etait autre, en effet, que la fille du m'enage Pi'e.
Irma Pi'e avait choisi ce nom ronflant alors que toute gamine, elle venait de quitter Saint-Martin pour entrer au « service » d’un 'etranger `a Paris, dans le grand Paris qui la tentait comme il tente toutes les petites paysannes sachant lire correctement le journal au moins une fois par semaine, le dimanche.
Irma de Steinkerque, en r'ealit'e Irma Pi'e, n’'etait jamais revenue au pays voir ses vieux. Ce n’'etait pas une mauvaise fille. Elle n’avait pas honte de ses parents, mais plut^ot elle 'eprouvait une certaine g^ene `a repara^itre devant eux dans ses brillants atours de demi-mondaine, et elle avait peur que son 'el'egance et sa richesse ne fissent scandale `a Saint-Martin.
Irma Pi'e, dans sa crainte de revenir au pays, avait manqu'e de psychologie. En r'ealit'e, on la recevait les bras ouverts.
Ce n’'etait ni la m`ere, ni le p`ere Pi'e qui pensaient `a s’informer de la source de sa fortune.
'Eblouis, 'emerveill'es, ils tournaient autour de leur fille, en r'ep'etant
— Et alors, concluait soudain le p`ere Pi'e, comment se fait-il que te revoil`a, ma petite ? quoi que c’est-y donc que tu viens faire ?
L`a, h'elas, l’aventure devenait moins amusante, et Irma se troublait.
Si la ma^itresse de Prosper 'etait revenue dans son pays, c’est qu’en r'ealit'e, persuad'ee que son mariage avec Juve allait prochainement se faire, gr^ace aux bons offices de Nalorgne et P'erouzin, elle avait jug'e prudent de venir chercher ses papiers, mais elle 'etait fort inqui`ete `a l’id'ee qu’elle allait ^etre par eux, forc'ement, oblig'ee d’avouer son ^age : quarante-sept ans.
La demi-mondaine trouvait moyen de r'epondre `a ses parents de facon assez vague, car elle n’entendait nullement les mettre au courant, pour le moment du moins, de ses projets matrimoniaux et du genre de vie qu’elle menait.
Les Pi'e, d’ailleurs, apr`es avoir 'ecout'e leur fille, avec une d'evotion admirative, redevenaient `a leur tour bavards.
Instinctivement, ils 'eprouvaient le besoin de ne point se laisser 'etonner par la « petite » qui revenait de Paris, qui n’avait que Paris `a la bouche sans doute, 'etait pr^ete `a les traiter en campagnards. Alors, ils lui contaient les 'etranges aventures du pays :
— Tu ne sais pas, Irma, que, nous aussi, on en a eu du nouveau depuis bient^ot trois mois. Au ch^ateau, il se passe des choses, mais des choses gui feraient tourner la terre `a l’envers. Il y a des revenants, des chats de deux m`etres, des cha^ines, et le facteur Joseph, tu te rappelles bien, Joseph, t’as assez jou'e avec lui quand t’'etais gamine ? Eh bien, le facteur Joseph il a 'et'e mordu `a l’'epaule par un mort.
Or, `a mesure que parlait le p`ere Pi'e, le visage d’Irma de Steinkerque se rembrunissait visiblement.
Irma songeait que, quelque temps avant, elle avait appris par une indiscr'etion, le d'epart de son ex-amant, le cocher Prosper, pour les environs de Saint-Martin ; il avait soi-disant trouv'e une place de concierge dans un grand ch^ateau abandonn'e.
Si, par hasard, le renseignement 'etait exact, si c’'etait bien Prosper, l’ancien cocher d’Herv'e Martel, qui occupait le poste de concierge dans le ch^ateau aux myst`eres, que fallait-il croire ? que fallait-il en inf'erer ?
En 'ecoutant son p`ere, Irma de Steinkerque frissonnait, car elle savait son amant capable de tout. Cela n’'etait pas rassurant pour elle, amen'ee par les circonstances `a se trouver si pr`es de lui.
Deux jours plus tard, le petit village de Saint-Martin dont Irma de Steinkerque, en grande h^ate, 'etait repartie, fort press'ee de regagner Paris et de continuer `a faire
« sa cour » `a Juve, 'etait encore 'emu par la pr'esence d’un 'etranger qui venait d’arriver. Cet 'etranger, que les gamins s’'etaient montr'e du doigt lorsqu’il avait fait son apparition sur la petite place du pays, n’'etait autre que J'er^ome Fandor.Que faisait Fandor `a Saint-Martin ?
***
Il avait fait un r'eel prodige et pay'e d’audace en s’emparant de la lettre `a lui adress'ee par H'el`ene. Mais depuis qu’il avait lu les mots de la mourante, il 'etait `a vrai dire incapable de r'efl'echir, incapable d’une action sens'ee, d’une d'ecision raisonnable.
Fandor, en arrivant `a Cherbourg, en reconnaissant la fille de Fant^omas dans la personne de la dactylographe d’Herv'e Martel, avait, un instant, cru qu’il allait enfin toucher au bonheur, qu’il allait enfin pouvoir go^uter les joies d’un amour qui jusqu’alors ne lui avait apport'e que les plus cruelles tristesses.
Puis, des calamit'es terribles s’'etaient `a nouveau abattues sur le journaliste et voil`a qu’au moment o`u la police enti`ere 'etait mobilis'ee contre lui, o`u son signalement 'etait t'el'egraphi'e de tous c^ot'es, o`u on le recherchait comme on recherche un espion, un tra^itre abominable, il apprenait par surcro^it qu’H'el`ene 'etait mourante, qu’elle agonisait au ch^ateau de Saint-Martin.
— H'el`ene va mourir, s’'etait dit Fandor, je saurai trouver moyen de lui rendre ses derniers moments moins p'enibles, d’^etre `a c^ot'e d’elle. `A coup s^ur, avait imagin'e Fandor, H'el`ene est tomb'ee aux mains de Fant^omas. C’est Fant^omas, ce ne peut ^etre que Fant^omas, l’homme qui a abord'e, en barque, le sous-marin d'esempar'e. C’est lui qui a enlev'e la jeune fille. Mais cette lettre, n’'etait-elle pas dict'ee, sous la terreur, par Fant^omas ?
Or, H'el`ene 'ecrivait qu’elle 'etait mourante. N’y avait-il pas l`a une ruse ? La lettre 'etait-elle sinc`ere ? Fant^omas n’avait-il pas contraint sa fille qu’il aimait, `a adresser ce supr^eme appel `a Fandor ? Le jeune homme n’avait pas h'esit'e une seconde.
H'el`ene lui donnait son adresse. Elle lui disait qu’elle agonisait au ch^ateau de Saint-Martin, il irait `a Saint-Martin, il irait vers H'el`ene, au risque de se trouver face `a face avec Fant^omas.
Parce que le chemin de fer 'etait surveill'e, Fandor avait achet'e une bicyclette et avait gagn'e sa destination par la route.
`A peine le jeune homme 'etait-il sur la place du pays, – il 'etait cinq heures et demie du soir, – qu’il avisait un gamin appuy'e contre une maison et le regardant avec l’effarement que met un petit campagnard `a consid'erer un homme de la ville arr^et'e dans son pays.
— H'e, le gosse, criait Fandor, peux-tu me dire o`u est le ch^ateau ?
Il e^ut demand'e o`u se trouvait le roi, o`u l’on pendait les gens, o`u la guillotine fonctionnait, qu’il n’e^ut pas produit un effet plus consid'erable. Fandor avait cri'e `a haute et intelligible voix. Il assista non seulement `a la fuite 'eperdue de l’enfant, mais encore `a l’apparition simultan'ee d’une dizaine de t^etes aux maisons voisines.