La mort de Juve (Смерть Жюва)
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— Lieutenant de Kervalac, ce que vous dites est 'epouvantable. Vous ne croyez pas `a un accident ? Vous parlez de crime. C’est effroyable ce que vous inventez l`a. Avez-vous bien r'efl'echi, bien pes'e la gravit'e de vos affirmations ? Avez-vous quelqu’un `a accuser ? Savez-vous quel est cet homme ? qui il pourrait ^etre ?
— Amiral, sur mon honneur et sur ma conscience, je ne parle pas au hasard, ce n’est pas au hasard que je porte une si grave accusation, ce n’est pas au hasard que je vais citer un nom. J’accuse quelqu’un, amiral, j’ai l’honneur d’accuser devant vous, de facon formelle, le journaliste J'er^ome Fandor.
Et petit `a petit, s’emportant, s’animant `a d'evelopper ses arguments, `a ajouter les preuves aux preuves, le lieutenant de Kervalac exposa `a son chef les raisons qui l’avaient conduit `a soupconner J'er^ome Fandor :
— Pourquoi ce journaliste porte-t-il un int'er^et si pressant aux choses de la marine ? Pourquoi, depuis huit jours qu’il est `a Cherbourg, le rencontre-t-on continuellement avec des officiers ? Pourquoi, s’il n’a pas un but myst'erieux, se renseigne-t-il perp'etuellement sur les op'erations de renflouement tent'ees sur le Triumph, op'erations, qui, je vous l’ai dit, mon amiral, sont extraordinairement suspectes, d’apr`es ce qu’il r'esulte de mes explorations sous-marines. Amiral, le journaliste Fandor, `a vingt reprises diff'erentes, a questionn'e mes matelots, les a fait parler, les a interrog'es sur mon bateau, je l’ai appris par une enqu^ete rapide. Amiral, le journaliste J'er^ome Fandor savait, par qui ? comment ? pourquoi ? je l’ignore, mais il le savait, que mon navire allait ^etre charg'e d’explorer l’'epave du Triumph. Amiral, le journaliste J'er^ome Fandor a obtenu du minist`ere, par je ne sais quelle influence occulte, une permission d’embarquement, qui n’est cependant d'elivr'ee que tr`es difficilement. Amiral, j’ai r'eserv'e enfin la plus terrible preuve pour la fin de mon argumentation : non seulement il est facile d’'etablir que le journaliste J'er^ome Fandor connaissait la jeune femme qu’il fit embarquer `a sa place `a bord du sous-marin, mais encore, au moment m^eme o`u l’on transportait cette mis'erable pour la faire s’installer `a bord de la barque qui avait l’air de venir nous sauver, je l’ai entendue murmurer tr`es distinctement :
Une heure plus tard, l’amiral s’entretenait de nouveau avec le lieutenant de Kervalac, Minutieusement, le chef de l’escadre avait interrog'e les hommes de l’'equipage de L’OEuf, convoqu'es d’urgence `a bord du vaisseau-amiral. Minutieusement, il avait examin'e, avec le jeune commandant, les charges pesant contre Fandor, et maintenant la conviction de l’amiral Achard 'etait faite. Tr`es p^ale, les yeux jetant des 'eclairs, l’amiral Achard d'eclara :
— Vous avez raison, lieutenant, J'er^ome Fandor, qui doit ^etre un tra^itre `a la solde de quelque puissance 'etrang`ere, a bien voulu la perte de L’OEuf, c’est bien J'er^ome Fandor qui pilotait la barque `a bord de laquelle la jeune fille s’est enfuie. Nous allons porter plainte contre J'er^ome Fandor, il faut, co^ute que co^ute, que ce mis'erable soit pris.
Au moment de sortir de son salon, l’amiral Achard posa sa main sur l’'epaule du lieutenant de Kervalac :
— Lieutenant, vous avez eu tort d’accepter d’embarquer quelqu’un sur un ordre du minist`ere sans m’en r'ef'erer. Vous avez eu tort surtout d’embarquer une femme alors que le permis de rester `a bord de L’OEuf'etait libell'e au nom d’un homme. Commandant, vous m'eritez d’^etre puni, je vous inflige trente jours d’arr^et.
L’amiral Achard se tut une seconde, puis brusquement, avec des larmes dans les yeux, il ouvrit ses bras au jeune officier, il serra sur son coeur le vaillant commandant de L’OEuf :
— Ah, mon enfant, mon enfant, murmurait le sup'erieur, vous avez 'et'e d’une vaillance que rien n’'egale, votre pr'esence d’esprit a sauv'e votre navire et vos hommes, votre sang-froid vient de nous faire d'ecouvrir une 'epouvantable trahison. Ce soir-m^eme, j’'ecrirai `a notre ministre. Il y a en France une petite chose qui n’est rien et qui r'ecompense cependant les hommes qui vous ressemblent. Mon enfant, c’est la croix des braves, je la demanderai pour vous, on ne pourra me la refuser.
***
Tandis que le lieutenant de Kervalac portait contre lui, aupr`es de l’amiral Achard, les plus terribles accusations, Fandor errait dans Cherbourg, en proie au d'esespoir.
Le jeune homme, certes, n’avait pu avoir la moindre id'ee tout d’abord des effroyables dangers courus par L’OEufau cours de son voyage de plong'ee. Il avait 'et'e pris d’une inqui'etude grandissante au fur et `a mesure que, les heures s’'ecoulant, le sous-marin n’avait pas regagn'e son port d’attache, le point des quais o`u il s’amarrait d’ordinaire. Fandor avait pass'e une nuit terrifiante `a attendre le retour du submersible.
En d'esespoir de cause, il s’'etait rendu au s'emaphore. Il interrogeait l’un des hommes de garde, demandait si rien d’anormal n’avait 'et'e apercu du c^ot'e du ponton de renflouement.
Non.
Vers onze heures du soir, une barque `a voiles s’'etait d'etach'ee des pontons, avait paru manoeuvrer bizarrement, puis s’'etait 'eloign'ee vers le large. C’'etait tout ce que l’on savait, car la nuit avait emp^ech'e d’observer exactement quelle avait 'et'e la manoeuvre.
R'esign'e, Fandor revint vers le port, esp'erant enfin apprendre le retour du submersible, puis il erra dans la ville, il retourna au s'emaphore, il redescendit encore au petit matin vers les jet'ees. Et soudain, une rumeur sinistre 'eclatait. Une catastrophe s’'etait produite, le sous-marin avait failli couler, torpill'e myst'erieusement, puis il 'etait parti `a la d'erive, un torpilleur l’avait rencontr'e heureusement, l’avait ramen'e en grande rade. On parlait d’un drame, d’une femme qui s’'etait tu'ee, d’une barque mont'ee par un inconnu qui l’avait emport'ee au lointain. Boulevers'e, Fandor se pr'ecipita vers le port militaire. L`a, les rumeurs 'etaient plus pr'ecises. Et c’est d’un quartier-ma^itre embarqu'e sur Le Couragequ’il apprit cette chose invraisemblable :
— Ah, pour s^ur qu’il y a du raffut `a bord de L’OEuf. Une donzelle qui se tue `a moiti'e, qu’un de ses amants vient sauver. Le submersible qui manque de recevoir une torpille. Mais on conna^it l’auteur de tous ces trucs-l`a… Para^it que c’est un journaliste, un certain Fandor, et l’on est sur sa piste. Ah malheur, si c’est jamais quelqu’un de la flotte qui lui met la main au collet, il y a des chances pour qu’il soit emport'e en morceaux au poste.
Fandor questionna encore. Il apprit ainsi qu’H'el`ene n’'etait pas morte. Il crut comprendre que c’'etait son p`ere, Fant^omas, qui avait d^u la sauver. Puis, se rendant compte du terrible danger qu’il y avait pour lui `a demeurer plus longtemps pr`es de l’arsenal, et terrifi'e des accusations port'ees contre sa personne, sans qu’il p^ut rien actuellement pour s’en d'efendre, il se d'ecida `a s’'eloigner, la mort dans rame.
17 – `A MORT FANDOR
Tandis que ces 'ev'enements se d'eroulaient avec une 'etourdissante rapidit'e `a Cherbourg et dans ses environs, Juve, p'eniblement install'e dans sa villa de Saint-Germain, avalait sa camomille.
Il buvait sa tisane un peu trop chaude `a petites gorg'ees, et pendant ce temps-l`a, alors qu’il s’interrompait pour souffler sur le liquide br^ulant, d’un regard en coulisse, l'eg`erement narquois, il surveillait une personne attentive `a ce qu’il faisait, `a c^ot'e de son lit. La personne en question, qui venait d’apporter `a Juve sa tasse de camomille, paraissait prendre le plus vif int'er^et au policier. Juve avait d'esormais une compagne, et celle-ci n’'etait autre que la demi-mondaine qui lui avait 'et'e adress'ee par Nalorgne et P'erouzin, Irma de Steinkerque, venue au lieu et place d’H'el`ene.
Et cette femme, excellente au fond, s’'etait institu'ee avec ardeur la garde-malade de celui dont elle r^evait de devenir la femme.
— Vous ai-je bien pr'epar'e cette camomille, monsieur Ronier ?
— Elle est excellente.
— Alors, monsieur Ronier, cela ne vous a pas attrist'e d’apprendre que je ne m’appelais pas Irma de Steinkerque ?
— Mais pas le moins du monde, ch`ere madame, il est de ces noblesses qu’il faut acqu'erir parfois par n'ecessit'e, je ne suis pas bien instruit, toutefois, je sais encore que Steinkerque est le nom d’une ville, d’une bataille, et m^eme d’une rue `a Montmartre, et je sais aussi qu’il n’est port'e par aucune famille figurant au Gotha, ni m^eme au Bottin.
— Au Bottin, mon nom y figure. C’est celui de mes parents qui, comme je vous l’ai d'ej`a dit, poss`edent un petit commerce en Normandie, `a Saint-Martin. Alors, ca ne vous offusque pas que je m’appelle Irma Pi'e ?
— Non, tous les noms, m^eme les plus roturiers sont honorables du moment qu’ils sont bien port'es.
— Vous vous moquez de moi ?
— Mais jamais de la vie. J’aurais mauvaise gr^ace, d’ailleurs, `a railler une personne aussi affable que vous, aussi d'evou'ee.