Le Cadavre G?ant (Гигантский кадавр)
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— `A moi non plus ! D’ailleurs, on trouvera peut-^etre un voiturier.
— C’est bien possible.
Leurs notions g'eographiques n’'etaient pas tr`es exactes ; Geoffroy la Barrique et Beno^it le Farinier estimaient toujours qu’ils 'etaient `a une cinquantaine de kilom`etres au plus des barri`eres de Paris et comptaient bien regagner la capitale sans se presser, allant `a pied et fl^anant par les routes.
Une nouvelle bouteille fut d'ebouch'ee et promptement entam'ee.
— C’est qu’on est bien, ici ! soupirait Geoffroy la Barrique. Ca fera peine de s’en aller.
— Bah ! on reviendra le dimanche…
— Ca, d’accord.
Leurs verres pleins, ils allaient trinquer lorsque Beno^it le Farinier sursautait si fort qu’il renversait une partie de son vin.
— Qu’est-ce que t’as ? interrogea Geoffroy.
Beno^it 'etait tout p^ale.
— Ce que j’ai ?… rien… t’as pas entendu ?
— Entendu quoi ?
— Est-ce que je sais !…
Il y avait eu dans le jardin comme un nouveau bruit, un craquement plus distinct encore, le sifflement peut-^etre de la rafale, car il ventait dur, qui avait secou'e les massifs.
Beno^it le Farinier resta quelques instants l’oreille aux 'ecoutes, puis haussa ses larges 'epaules.
— C’est rigolo tout de m^eme ! d'eclarait-il avec un rire discret et se moquant de lui-m^eme, c’est rigolo, n’est-ce pas ? Mais ici, mon vieux, on est dans la tranquillit'e, dans la fortune jusqu’au cou, et pourtant on ne se sent pas `a l’aise. Hein ! qu’est-ce que t’en dis ?
Le second fort n’en disait rien, et, tout au contraire, se taisait obstin'ement.
Lui aussi pr^etait l’oreille, et c’'etait brusquement que Geoffroy la Barrique finissait par se lever :
— Apr`es tout, soupirait-il, on ne sait jamais ce qui peut arriver… T’as ferm'e la porte du jardin, au moins ?
— Oui, oui, elle est ferm'ee.
— Alors ca va. `A ta sant'e !…
— `A la tienne !
Ils trinqu`erent encore, puis Geoffroy la Barrique jetait un nouveau fagot dans le feu et tirait sa chaise si pr`es qu’il s’asseyait presque dans l’^atre.
— Moi, commencait-il, je dis une chose qui est une chose : quand on est bien quelque part, faut y rester. On est bien ici, alors, dame, si on s’en va…
Mais Geoffroy la Barrique s’interrompait une fois encore.
— S^ur, il y a un chat qui r^ode dans la cour.
— Un chat, c’est ca… fit Beno^it le Farinier qui approchait, lui aussi, sa chaise de l’^atre et fixait le feu avec une attention soutenue.
— Va donc lui dire de s’en aller, Geoffroy.
Geoffroy la Barrique avala l`a-dessus une 'enorme lamp'ee de vin, puis se dirigea vers la porte qu’il entreb^ailla.
— Hou… hou… le chat ! faisait-il.
Mais il ne criait pas bien fort et il ne restait pas longtemps devant la porte ouverte qu’il s’empressait de fermer, donnant m^eme un tour de clef `a la serrure, ce qui 'etait, en somme, une pr'ecaution inutile `a l’'egard d’un chat.
Geoffroy la Barrique retourna s’asseoir en face de Beno^it le Farinier.
— Hein ! on est bien ici ?
Mais il n’y avait plus gu`ere d’enthousiasme, et la voix de Beno^it le Farinier elle-m^eme ne r'esonnait pas bien haut tandis qu’il r'epliquait :
— On est bien… seulement, qu’est-ce qui fait donc du potin dans la cour ?
De fait, par moments, on entendait distinctement des bruits l'egers qui provenaient du jardin. Beno^it le Farinier serra les poings et fronca ses sourcils 'epais.
— C’est rigolo, commencait-il… La nuit, quand on entend du bruit, eh bien, n’est-ce pas, ca vous fait…
Il ne compl'etait pas sa pens'ee, mais Geoffroy devait la deviner, car il r'epliquait :
— Oui, oui, bien s^ur… C’est des id'ees…
Ils trinqu`erent encore, mais, le verre en main, ils demeuraient immobiles, pr^etant l’oreille.
Geoffroy hasarda :
— C’est p’t’^etre bien M. Eair qui rentre…
— Peut-^etre bien.
— Des fois que ca serait Juve, aussi…
— Rien ne l’emp^eche.
Beno^it le Farinier proposa :
— Geoffroy, si t’allais voir jusqu’au bout du jardin ?
Mais Geoffroy d'eclina l’invitation.
— Ah ! pour ca, non, mon vieux ! D’abord, j’ai pas bonne vue, et puis je crains l’humidit'e. Vas-y, toi…
— Oh ! moi, refusa Beno^it le Farinier, j’ai pas besoin de me d'eranger, vu que ca m’est bien 'egal. Ce que j’en disais, c’'etait pour toi… J’vois bien qu’t’as les sangs retourn'es, et que…
La phrase, une fois encore, n’'etait pas achev'ee ; les deux hommes, d’un m^eme mouvement, avaient sursaut'e, ils se regardaient maintenant avec des yeux agrandis par une peur secr`ete qu’ils ne parvenaient plus du tout `a se dissimuler.
— Mon vieux, commenca Geoffroy, y a s^urement quelqu’un dans le jardin… j’ai entendu qu’on marchait…
— Et moi, dit Beno^it le Farinier, j’ai cru qu’on heurtait aux carreaux…
Geoffroy et Beno^it s’entre-regard`erent quelques instants, puis, tournant le dos `a la fen^etre, se rapproch`erent plus encore de l’^atre.
— Si on heurtait aux carreaux, commencait Geoffroy, on verrait bien qui c’est qu’est l`a, parbleu !…
— Oui, approuva Beno^it. Mais ca me fait tout dr^ole de penser qu’on pourrait ainsi nous regarder `a travers les fen^etres sans seulement que nous le sachions !
Ils firent silence et, fait extraordinaire, sans trinquer, burent encore deux verres de vin.
— Alors, la sant'e ? demandait Geoffroy, on ne la porte plus ?
Il voulait rire, plaisanter, mais sa voix sonnait faux. Il insinua brusquement :
— Va donc fermer le rideau, on sera tranquille…
Il n’obtint aucune r'eponse.
Les yeux fix'es sur le feu, la t^ete et les 'epaules engag'ees sous le manteau de la grande chemin'ee, Beno^it le Farinier ne paraissait nullement dispos'e `a quitter son poste.