Le Cadavre G?ant (Гигантский кадавр)
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Fant^omas prit `a sa ceinture une petite clef dont il se servait pour ouvrir les serrures compliqu'ees qui gardaient, pensait-il, la jeune femme. Il ouvrit la porte grande en appelant :
— H'el`ene, il faut m’entendre…
Mais `a ce moment, la parole expirait sur ses l`evres… Fant^omas, muet de surprise, s’immobilisait sur le seuil de la pi`ece.
Il venait d’apercevoir la muraille sabord'ee, il venait de se rendre compte qu’H'el`ene n’'etait plus l`a, qu’elle s’'etait 'evad'ee, il distinguait enfin sur la table le court billet qu’elle lui avait laiss'e.
La surprise 'etait si forte `a cet instant que Fant^omas chancelait. C’'etait `a la facon d’un homme pris de vertige et qui ne reste debout qu’au prix d’un supr^eme effort que Fant^omas pouvait avancer jusqu’`a cette table pour prendre la lettre d’H'el`ene.
Il la lut d’un regard, puis il la d'echira avec une rage abominable.
— La malheureuse, murmurait-il… la malheureuse… elle ose me d'efier… H'el`ene oublie-t-elle donc que l’amour peut faire place `a la haine, que l’affection peut se changer en ex'ecration… H'el`ene m’a brav'e, je me vengerai !
Fant^omas, fr'emissant, s’approchait du sabord. Il pencha sa t^ete par le trou qu’H'el`ene avait r'eussi `a m'enager et qui lui avait servi `a s’enfuir.
Puis Fant^omas p^alit plus encore.
— Elle s’est jet'ee `a l’eau, pensa-t-il… elle est tomb'ee aux flots.
Et se tordant les mains, le bandit ajoutait :
— C’'etait l’heure du reflux… Mon Dieu, mon Dieu, peut-^etre a-t-elle 'et'e entra^in'ee au large… peut-^etre est-elle morte…
La fuite d’H'el`ene portait 'evidemment `a Fant^omas un terrible coup. Le bandit paraissait quelques instants `a bout d’'energie. Mais il n’'etait pas 'evidemment de ces natures qui peuvent se laisser abattre. Quel que f^ut le coup qui le frapp^at, il voulait en appeler ; quelles que fussent les difficult'es que le destin accumulait sur sa route, il les acceptait, les affrontait d’un coeur vaillant, et pr'etendait en triompher.
Bient^ot, un sourire passait sur ses l`evres :
— Soit, murmurait-il. Avant tout, il faut savoir ce qu’est devenue H'el`ene, je le saurai… Malheur `a elle si elle s’est enfuie… mais malheur au monde si elle est morte !
Fant^omas quitta le salon. Il refermait soigneusement la porte, voulant probablement cacher `a ceux qui devaient ^etre ses complices en Hollande la disparition de la jeune femme. Il revenait dans ses appartements particuliers, il prenait un timbre, sonnait quatre coups…
— Vladimir va m’aider, pensa le bandit.
C’'etait en effet Vladimir, le faux comte d’Oberkhampf, qu’il appelait au moyen de ces quatre coups de sonnette.
Fant^omas attendit quelques instants, puis il tapa du pied, pris `a nouveau d’impatience.
— Eh bien ! grondait-il.
Fant^omas sonna quatre coups encore…
Mais ce second appel demeurait toujours aussi vain que le premier… Nul ne lui r'epondit.
Alors une col`ere folle s’emparait du Ma^itre de l’effroi.
— Ah ca, murmurait-il, il est donc dit que chacun me d'esob'eira d'esormais ! Vladimir apprendra, par ma parole, que je n’aime pas attendre ce que je demande !
Fant^omas sonna cinq coups…
`A ce nouveau signal, un extraordinaire personnage, une sorte de nain difforme qui remplissait pr'ecis'ement `a bord du bateau les fonctions de groom, accourait en h^ate.
— Tu m’appelles, ma^itre ?
— O`u est le comte d’Oberkhampf ?
Le nain prit une figure 'etonn'ee.
— Ma^itre, murmurait-il, j’ai entendu que tu le demandais. J’ai voulu le pr'evenir, je l’ai cherch'e partout… et je n’ai pu r'eussir `a le trouver. Il n’est pas `a bord de la barge.
Le nain parlait en tremblant ; il n’osait pas lever les yeux pour contempler Fant^omas. S’il avait vu le visage du bandit, cependant, il se serait apercu de la profonde 'emotion qui bouleversait encore une fois au cours de cette nuit tragique celui qui ne craignait point de se pr'etendre le Ma^itre de tous et de tout…
Ce m^eme jour, `a cinq heures du soir, un homme v^etu d’un grand manteau de couleur sombre, et porteur d’un volumineux parapluie, p'en'etrait en faisant claquer ses sabots, dans la salle basse d’un cabaret du port d’Amsterdam, o`u se trouvaient d'ej`a de nombreux matelots.
L’homme au manteau se dirigeait vers une table 'ecart'ee, se jetait plut^ot qu’il s’asseyait sur l’un des tabourets r'eserv'es aux consommateurs.
— De l’alcool, commanda-t-il d’une voix br`eve. Servez-moi vite, et servez-moi bien.
Il avait appuy'e sa commande d’un argument toujours imp'erieux, jetant sur la table un louis d’or dont le tintement ne devait pas ^etre familier dans un pareil endroit.
L’homme au manteau brun prenait son front `a deux mains et semblait r'efl'echir avec une extr^eme attention.
— C’est invraisemblable, murmurait-il. Il est inou"i que les choses se passent ainsi et que je n’arrive point `a rien deviner de leurs v'erit'es… Suis-je victime d’une erreur ? Suis-je, au contraire…
Mais l’homme n’achevait pas sa phrase. Une grosse servante, `a la face d'ebonnaire, venait d’apporter un verre d’alcool, de cet alcool pur qui est la boisson pr'ef'er'ee des matelots hollandais, `a la table de l’homme.
L’inconnu but, prenant une large rasade, d’un geste las, 'enerv'e, fatigu'e.
— Je ne sais plus que croire, faisait-il encore… Et pourtant, il faut que, co^ute que co^ute, j’arrive `a d'ecouvrir la v'erit'e ! Il est impossible que je reste ainsi dans l’ind'ecision. Morbleu ! donnant, donnant… Mais voudront-ils me r'epondre ?
L’homme au manteau marron devait 'evidemment agiter quelque terrible probl`eme. Il devait avoir `a vaincre de rudes difficult'es pour parvenir `a quelque but myst'erieux, et il semblait aussi h'esitant qu’anxieux, aussi accabl'e que fou de col`ere…
Immobile, les coudes sur la table, et soutenant sa t^ete entre ses mains, il pensait, pensait sans rel^ache, le regard vague, ne voyant rien des all'ees et venues qui l’entouraient.
Le cabaret o`u cet homme venait d’entrer 'etait cependant exceptionnellement bruyant ; c’'etait la classique tabagie hollandaise, encombr'ee de lourds matelots au teint h^al'e, buvant fort, parlant bas, chantant par moments de lentes m'elop'ees et fumant toujours d’'enormes pipes dont la fum'ee bleu^atre rendait vite l’atmosph`ere opaque, embrum'ee, ^acre et piquante.