Le Cadavre G?ant (Гигантский кадавр)
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Bouzille pouvait avoir peur, mais Fandor pouvait ^etre content. Au lointain, en effet, on commencait `a apercevoir, lorsque la route 'etait droite, une tache blanche qui disparaissait rapidement, et qui n’'etait autre que la carrosserie du train 'electrique `a bord duquel Fant^omas avait pris place.
Fandor, `a cette vue, naturellement, loin de ralentir, acc'el'erait encore. Il avait ouvert les gaz en grand, donn'e toute l’avance ; alors que le v'ehicule marchait `a une vitesse folle, Fandor se d'esesp'erait qu’il fut si lent, car sa pens'ee allait plus vite encore.
Bouzille, pourtant, s’affolait derri`ere lui :
— Monsieur Fandor, c’est pas moelleux les pav'es ni les arbres… s^urement qu’on finira en p^at'e de foie, si ca continue… Doucement, que j’vous dis ! On a toute la vie pour arriver ! Et d’abord, bien s^ur que si M me H'el`ene 'etait l`a, sauf vot’respect, elle vous engueulerait comme du poisson pourri, pour vous emp^echer d’aller si vite !
Bouzille invoquait H'el`ene pour calmer les ardeurs de Fandor, mais il choisissait mal son moyen. Plus qu’aucune autre en effet, la pens'ee d’H'el`ene devait surexciter Fandor. Et, brusquement, le journaliste voulut imposer silence `a Bouzille :
— Tais-toi, lui dit-il. Si tu n’es pas content, descends…
Bouzille, du coup, roula des yeux effar'es.
Descendre d’un v'ehicule marchant `a cent kilom`etres `a l’heure, c’'etait 'evidemment risqu'e. Bouzille le comprit, et se tut.
Or, Fandor, tout en conduisant sa voiture, ne perdait point de vue le but de sa poursuite.
Il comprenait maintenant merveilleusement pourquoi Fant^omas avait voulu se faire reconna^itre tout d’abord, et sortir de la gare ensuite.
Fant^omas avait certainement d'esir'e le s'eparer de Juve, c’'etait pourquoi Fant^omas l’avait abord'e dans la gare. Il avait, en outre, pens'e rejoindre sa voiture qui l’attendait au rendez-vous fix'e, dans la gare d’Anvers, o`u sans doute, il escomptait laisser Fandor en arri`ere bien emp^ech'e de le rejoindre, et tout aussi emp^ech'e de rattraper Juve parti avec le train.
Fant^omas, toutefois, s’'etait tromp'e ; les 'ev'enements tournaient au mieux, le car 'electrique perdait d’instant en instant du terrain, bient^ot Fandor l’aurait rejoint.
— Nom de Dieu, je le rattraperai ! jura tout haut Fandor.
Bouzille, qui s’'etait rejet'e en arri`ere, qui se heurtait `a Bec-de-Gaz aplati sur le plancher de la voiture et claquant des dents de frayeur, Bouzille riposta :
— S^urement, ca va mal finir !
La route, `a cette minute, descendait brusquement. Elle semblait plonger dans une vall'ee profonde et s’'etendait droite, `a perte de vue.
— Bravo ! dit Fandor.
Une vie nouvelle semblait s’emparer du m'ecanisme de la voiture. La vitesse augmentait encore, les organes ronflaient, les pi`eces m'etalliques tintaient follement.
Il n’'etait plus question de parler ; l’allure 'etait telle que l’air 'etouffait, et qu’il fallait baisser la t^ete pour pouvoir respirer un peu.
— Vite, plus vite ! r^ala Fandor.
Le tram 'etait `a cent m`etres, mais la voiture le gagnait facilement.
Cinquante m`etres les s'epar`erent, puis trente, puis vingt… puis dix…
D'ej`a J'er^ome Fandor entendait les hurlements d’effroi des malheureux voyageurs qui, terrifi'es par cette course `a la mort, se demandaient 'evidemment, eux aussi, comment cet effroyable 'ev'enement allait se terminer.
`A cet instant, toutefois, il fallait jouer le tout pour le tout. J'er^ome Fandor s’en rendit nettement compte. Suivre le tram 'electrique, et attendre que Fant^omas en descend^it tranquillement, c’'etait enfantin ; essayer, d’autre part, de monter la voiture sur la voie et de faire d'erailler le tram, c’'etait risquer un abominable accident dont Fant^omas n’aurait pas 'et'e la seule victime.
Que faire alors ?
J'er^ome Fandor, d’une main, se cramponna `a son volant.
Si la voiture versait, tant pis ! S’il se tuait, tant pis encore ! Ce qu’il fallait, c’'etait obliger Fant^omas `a se rendre, `a se livrer lui-m^eme !
Et J'er^ome Fandor, de sa main libre, prit son revolver, et le braqua sur le mis'erable.
Fant^omas, de son c^ot'e, tendait son arme aussi. Les deux voitures, automobile et tramway, roulaient toujours `a une allure folle, ne se d'epassant ni l’une ni l’autre, roulant dans un bruit de tonnerre.
Fant^omas ajusta Fandor.
Certes, `a cet instant, le journaliste fut tent'e, lui aussi, de faire feu.
Mais `a l’instant o`u il allait presser la d'etente, J'er^ome Fandor songea :
— Avec les cahots de la route, je vais le manquer. Or, il me reste cinq coups `a tirer. Dans cinq coups je serai donc d'esarm'e !
Et se ma^itrisant, J'er^ome Fandor ne tira pas.
Fant^omas, de son c^ot'e, ne songeait pas 'evidemment au risque d’^etre d'esarm'e. Moins secou'e sur son tramway que ne l’'etait J'er^ome Fandor, libre d’abandonner son m'ecanisme, puisque les rails se chargeaient de diriger la voiture, il ajustait longuement Fandor…
`A cet instant, Bouzille et Bec-de-Gaz redoublaient de hurlements, criant comme de pauvres b^etes qu’on 'egorge.
Fandor, lui, tr`es p^ale, sans mot dire, le bras toujours tendu, fixait dans les yeux Fant^omas.
`A l’instant o`u il vit que le bandit allait tirer, J'er^ome Fandor donna un violent coup de volant. La voiture fit une embard'ee, Fant^omas avait perdu une balle !
— Encore quatre coups `a tirer ! se dit J'er^ome Fandor.
Un coup de frein lui permit d’'eviter une nouvelle balle.
Mais, `a cet instant, Fant^omas semblait 'eclater de rire, tirait trois coups en l’air, puis l^achait son revolver.
Et J'er^ome Fandor n’avait point le temps de se demander quel 'etait le motif de cette nouvelle attitude, qu’une effroyable catastrophe survenait.
Le journaliste se sentait arrach'e de son si`ege, projet'e en l’air ; il retombait lourdement sur le sol, cependant qu’un fracas formidable retentissait !…
Occup'e par la lutte, J'er^ome Fandor n’avait point vu qu’un passage `a niveau ferm'e barrait le chemin ; il venait jeter sa voiture dans cet obstacle, l’automobile faisait panache, et J'er^ome Fandor, mort peut-^etre, gisait parmi ses d'ebris.