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ЖАНРЫ

Le Voleur d'Or (Золотой вор)
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— C’est ca, d'eclarait-il, ils fument !… Ah ! c’est du propre ! Il y a de l’indiscipline, mon g'en'eral.

On appelait Croquemitaine mon g'en'eral en raison d’un fait d’armes que le vieux brave avait commis jadis. Il avait, en effet, dans une m^el'ee furieuse, sauv'e le commandant de sa division et, par son heureuse intervention, 'evit'e une panique.

Croquemitaine, cependant, s’'etait repris `a chanter.

— Ba be bi bo bu…

Alors, Radrap marcha sur lui :

— Mon g'en'eral, tais-toi ! r'ep'etait-il. Saperlotte, ce n’est pas le jour de faire l’imb'ecile ! On a du travail sur la planche…

Radrap disait cela d’un tel ton qu’on ne pouvait se tromper `a ses paroles. Le travail dont il s’agissait devait ^etre terrible et sanglant. Le travail, ce devait ^etre quelque combat affreux, quelque furieuse r'evolution, quelque charge audacieuse `a effectuer dans les rangs ennemis.

Mais quel 'etait donc le r^eve du vieil invalide et pourquoi ses yeux lancaient-ils des 'eclairs ?

Radrap, brusquement, prit une d'ecision :

— C’est bon, dit-il `a Croquemitaine. Tu ne veux pas te taire, mon g'en'eral ? Et si tu es grognon, c’est parce que tu es priv'e de tabac ? Eh bien, tiens… on est des fr`eres… Prends une prise dans ma tabati`ere… et vive l’Empereur !

Radrap faisait un cadeau merveilleux `a Croquemitaine. Il ouvrait sa tabati`ere, en effet, il laissait celui-ci y prendre une prise de la main valide qui lui restait. Cela n’allait pas cependant sans quelque difficult'e car, ainsi qu’il le disait lui-m^eme, si Radrap voulait bien ^etre g'en'ereux, il n’entendait pas ^etre b^ete.

— Prends une prise, tonnerre de sang ! tonnait-il, mais n’en prends pas deux !… Hein ! mon g'en'eral, si je n’y veillais pas, vieux farceur que tu es, tu viderais ma tabati`ere !

Et Croquemitaine avait tout juste pris une pinc'ee. Il avait protest'e de sa discr'etion lorsque la porte s’ouvrit :

— Austerlitz ! criait une voix.

— Waterloo ! reprit Croquemitaine.

Et l’'echange du mot de passe continua :

— Le Vol de l’Aigle !

— La chute du G'eant !

— Plus tard la Revanche !

— C’est bon, entrez ! dit enfin Radrap.

Ils avaient tous l’innocente manie de compliquer leur existence en s’astreignant volontairement `a toutes les r`egles militaires.

Tant d’ann'ees ces vieux braves avaient tra^in'e dans les camps, tant de longs jours ils avaient d^u courber leur volont'e sous la loi inflexible de la discipline que leur ^ame 'etait rest'ee marqu'ee d’un secret besoin de consigne. Ils n’auraient point compris la libert'e absolue et s’astreignaient `a ob'eir toujours. Et comme on ne leur donnait pas d’ordres, ils s’en donnaient `a eux-m^emes, 'echangeant des mots de passe, organisant des rondes suppl'ementaires, se forcant `a ^etre sur leurs gardes, bons pour l’alerte, comme ils disaient.

Le mot de passe donn'e, cependant, la porte de la chambr'ee s’'etait brusquement ouverte et tous les invalides y p'en'etraient.

C’est une lamentable cohorte d’infirmes glorieux, de mutil'es admirables. Il n’en 'etait pas un qui n’e^ut son nom inscrit au livre de l’h'ero"isme, il n’en 'etait pas un qui ne p^ut, avec fiert'e, pr'etendre avoir 'ecrit quelques pages de l’histoire, avec son sang, avec sa vie.

Sur leur poitrine, les d'ecorations se heurtaient, m'edailles militaires, m'edailles de Crim'ee. Elles p^alissaient toutes devant la tache rouge, la tache sanglante de la L'egion d’honneur.

La croix brillait sur les humbles capotes d’un 'eclat tout particulier.

Il semblait qu’ainsi se justifi^at la parole d’une g'en'eral francais :

— Ce joujou-l`a, disait-il, ne produit son effet que sur la capote d’un invalide quand celui-ci n’a plus ni bras ni jambes !

La cohorte, cependant, entrait avec ordre. Ils s’efforcaient tous de marcher en rang. Ceux qui avaient des jambes soutenaient les b'equillards. Les manchots n’avaient pas l’air le moins fier. Un aveugle m^eme, avec ses pauvres yeux sans regard, haussait le front et paraissait vouloir d'efier quiconque se permettrait quelque parole ou quelque geste imprudent.

Ils 'etaient une trentaine `a peu pr`es. Quand le dernier fut entr'e dans la chambre, Radrap, qui s’'etait lev'e et s’'etait mis au pied de son lit dans une position militaire, commanda :

— Halte ! Sur deux rangs… Repos !

Ce fut le dispersement.

La parade singuli`ere s’achevait dans une d'ebandade malheureuse. Ils toussaient, ils geignaient…

Beaucoup qui, tout `a l’heure, en rang, gardaient encore une attitude martiale, se souvenaient d'esormais qu’ils avaient la goutte ou que de furieux rhumatismes disjoignaient leurs articulations.

— Ouf ! soufflait un vieux grognard. Deux 'etages, c’est haut tout de m^eme !

Mais il fut interrompu par Radrap. Celui-ci 'etait le chef de tous. Il commandait, tout en laissant, par coquetterie, le titre de g'en'eral `a l’excellent Croquemitaine qui, d’ailleurs, 'etait toujours son ami et toujours hochait la t^ete approbativement.

— Silence… dans les rangs ! ordonna Radrap.

Et comme ses compagnons se taisaient, il passa sa main de bois dans un bouton de sa capote, imitant le geste fameux de Napol'eon cachant sa main dans un pli de sa redingote grise.

Et Radrap, imm'ediatement, tenta une proclamation :

— Soldats ! commencait-il.

L’attention 'etait extr^eme. On e^ut entendu une mouche voler.

— Soldats ! continuait Radrap. Vous n’ignorez pas pourquoi nous avons sonn'e ce soir le rassemblement. Les faits sont graves… J’ajoute qu’ils sont certains, que personne ne peut les nier…

— Si, interrompit un vieux grognard. La place pr'etend que nous r^evons.

Mais Radrap foudroya l’interrupteur du regard comme il foudroya aussi Croquemitaine qui s’'etait repris `a chanter.

Radrap faisait une pause, tirait sur sa moustache, toussait un peu, puis reprenait :

— Soldats ! On pr'etend, pour se d'ebarrasser de nous, sans doute, que nous sommes des invalides… Des invalides ! Cela fait rire ! Est-ce qu’une jambe ou un bras de moins ont jamais dispens'e personne de faire son devoir ? Soldats ! Aujourd’hui, nous avons pr'ecis'ement un devoir `a remplir. Il se passe des faits graves. L’ennemi est l`a, et nous devons d'efendre l’Autre… Qui d’entre vous veut risquer sa vie, offrir sa poitrine `a la mort, conqu'erir de la gloire encore et d'efendre l’Autre ?

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