Le Voleur d'Or (Золотой вор)
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Le directeur de la Monnaie arrivait tr`es essouffl'e. Il se d'ebarrassait en h^ate de son pardessus et de son chapeau qu’il jetait machinalement sur un bras de fauteuil, puis s’installait devant son bureau o`u 'etait dispos'ee une volumineuse correspondance.
— Combien de personnes `a recevoir ? demanda-t-il.
— Une quinzaine, monsieur le directeur.
— Eh bien, commenca L'eon Drapier, introduisez la premi`ere personne !
Mais l’huissier, fid`ele `a la promesse qu’il avait faite, articula :
— Y a M. Valleret, l’employ'e de la comptabilit'e, qui sollicite une audience de monsieur le directeur.
— Ah ! tr`es bien, fit L'eon Drapier, qu’il entre avant tout le monde.
Cependant que l’huissier s’'eloignait lentement, de ce pas majestueux et tranquille qui caract'erisait sa solennit'e, L'eon Drapier, sans m^eme jeter un coup d’oeil sur le courrier amoncel'e devant lui, se prit la t^ete dans les mains comme un homme exc'ed'e.
Depuis quarante-huit heures, L'eon Drapier ne dormait plus. Les aventures les plus myst'erieuses se produisaient, les drames les plus tragiques 'eclataient autour de lui. Il avait l’impression qu’un filet se resserrait autour de sa personne, filet aux mailles invisibles dont il sentait l’influence sans les voir.
L'eon Drapier avait 'egalement l’impression qu’au fur et `a mesure que le temps passait il devenait personnellement suspect `a son ministre, aux membres du gouvernement. Des faits incompr'ehensibles s’'etaient produits en effet, et les pi`eces d’or monnay'ees qui avaient disparu constituaient un fait qui n’'etait pas pour le r'ehabiliter dans l’esprit du ministre, d’autant plus que, malgr'e ses efforts, L'eon Drapier n’avait pas pu d'ecouvrir l’origine de ces fuites.
Puis, ce matin-l`a, `a la lecture des journaux qu’il avait faite en se levant, L'eon Drapier avait 'et'e abasourdi ; les d'etails du drame de la veille 'etaient pour lui comme un coup de massue qu’il recevait sur la t^ete.
Il avait esp'er'e que les apaches que l’on avait arr^et'es porteurs des pi`eces d’or non encore mises en circulation se d'ecideraient `a faire des aveux et que leurs d'eclarations mettraient sur la piste de leur pourvoyeur d’argent, c’est-`a-dire de l’audacieux coupable qui volait `a la Monnaie.
Or voici que ces mis'erables venaient d’^etre atrocement mutil'es, et qu’il apparaissait certain que cette mutilation avait 'et'e faite par quelqu’un qui avait le plus haut int'er^et `a les terroriser par quelques repr'esailles, afin de les emp^echer de parler.
Quel 'etait le formidable bandit assez f'eroce pour avoir imagin'e un aussi cruel supplice ?
Spontan'ement, un nom 'etait venu aux l`evres de L'eon Drapier, nom qu’il avait trouv'e d’ailleurs imprim'e en toutes lettres dans les journaux qu’il lisait, nom qui, certainement, 'etait dans la pens'ee de tous :
Fant^omas !… Fant^omas !… Fant^omas !…
D`es lors, `a l’anxi'et'e curieuse qu’il 'eprouvait, au d'esir imp'erieux qu’il ressentait en lui de savoir la v'erit'e sur ce qui s’'etait pass'e, sur ce qui se passait, se m^elait une inqui'etude effroyable, une crainte affreuse `a l’id'ee que peut-^etre lui-m^eme L'eon Drapier 'etait involontairement m^el'e `a une aventure de Fant^omas.
Malgr'e lui le directeur de la Monnaie en revenait toujours aux deux crimes myst'erieux qui s’'etaient produits l’un `a son domicile, l’autre rue Blanche.
Il savait qu’il n’'etait pas coupable, il savait qu’il n’avait pas tu'e le valet de chambre Firmain, pas plus qu’il n’avait assassin'e sa ma^itresse, Paulette de Valmondois.
La mort inexpliqu'ee de Firmain, le d'ec`es tragique de Paulette n’'etaient pas faits pourtant pour le rassurer.
En somme, c’'etaient l`a, bien nettement, des crimes `a la mani`ere de Fant^omas, des drames comme seul le G'enie du crime 'etait capable d’en imaginer.
L'eon Drapier s’'etonnait de ne pas avoir vu depuis quarante-huit heures le seul homme en qui d'esormais il avait confiance, le d'etective priv'e, M. Mix, qui jusqu’`a pr'esent, croyait-il, l’avait fort adroitement guid'e dans le labyrinthe de myst`ere, alors que peut-^etre, s’il avait un peu mieux r'efl'echi, il se serait rendu compte que M. Mix paraissait plut^ot l’observer, lui, L'eon Drapier, et s’inqui'eter de ce qu’il faisait que de le prot'eger et de le d'efendre.
Le directeur de la Monnaie en 'etait l`a de ses r'eflexions, lorsque M. Valleret entra dans son cabinet.
L’employ'e de la comptabilit'e se confondit en salutations plates et obs'equieuses devant le grand chef, mais L'eon Drapier mettait fin, d’un geste bref, `a ces c'er'emonies.
— De quoi s’agit-il, monsieur Valleret ? dit-il. Parlez rapidement, je suis tr`es press'e.
M. Valleret d'eposa son dossier sur le bureau du directeur. Il l’ouvrit lentement, puis, mouillant son doigt, se mit `a tourner des pages et des pages sur lesquelles figuraient d’interminables colonnes de chiffres.
Quelques secondes, L'eon Drapier le regardait faire, puis, impatient'e, nerveux, il interrogea :
— Voyons, de quoi s’agit-il, monsieur Valleret ?
— De la balance de l’enqu^ete, monsieur le directeur !
— Eh bien, quoi, la balance ? Qu’est-ce qui se passe ?
— Il se passe, monsieur le directeur, que je ne suis pas d’accord avec le tr'esorier.
— Allons, donc ! `A quel point de vue ?
M. Valleret prit un temps pour r'epondre. Au fond, il 'etait tr`es satisfait d’avoir quelque chose d’important `a signaler `a M. le directeur. Il semblait que cela le rehaussait dans l’esprit de son chef, et que d'esormais il allait ^etre d'epositaire d’un de ces graves secrets comme il en est parfois dans les administrations et que tout le monde conna^it dans les bureaux au bout de cinq minutes.
— Monsieur le directeur, commenca-t-il, mon service, ainsi que vous ne l’ignorez pas, est charg'e d’'etablir chaque jour au point de vue comptable, et d’apr`es les 'etats fournis quotidiennement par les ateliers de fabrication, le montant de l’encaisse or et argent. Je ne m’occupe point du bronze, qui doit figurer `a la tr'esorerie. Voil`a douze ans que j’appartiens `a l’administration, et pendant douze ans nous avons toujours 'et'e d’accord, M. le tr'esorier et moi. Mais, h'elas ! les meilleures choses ont une fin, comme dit le proverbe…
L'eon Drapier s’exasp'erait, il frappa du poing sur son bureau.
— Quand vous aurez fini de discourir ! gronda-t-il. Est-ce que par hasard vous vous moquez de moi ?
— Oh ! monsieur le directeur ! fit Valleret d’un air profond'ement scandalis'e. Comment pouvez-vous penser un seul instant que je sois capable d’une telle incorrection !
— R'esumez ! fit s`echement M. L'eon Drapier. En deux mots, qu’est-ce qu’il y a ?
— Il y a, monsieur le directeur, qu’il manque vingt mille francs d’or au tr'esorier, comme il en manquait vingt mille, d’ailleurs, il y a trois jours !