Pi?ces choisies
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ELLE. Vous vous conduisez tr`es bizarrement. D’ordinaire, les hommes veulent passer directement `a la chose, sans aucune discussion. Et vous, vous pr'ef'erez les discussions et 'evitez la chose.
LUI. Ce que vous appelez la chose, la premi`ere venue sait comment y conduire. Mais soutenir intelligemment une conversation int'eressante n’est pas `a la port'ee de n’importe qui. Ce serait un p'ech'e que de laisser passer l’occasion.
ELLE. Par soutenir intelligemment une conversation int'eressante, vous entendez, bien 'evidemment, 'echange de grossi`eret'es.
LUI. Je peux vous expliquer, pourquoi j’ai 'et'e brusque avec vous. J’ai senti que l’on me prenait `a l’abordage. Cela ne m’a pas plu et j’ai 'et'e contraint de me d'efendre. Si la conversation que nous devons avoir se d'eroule sans allusions 'erotiques, je me sentirai libre et c’est avec plaisir que je parlerai avec vous d’Alice au pays des merveilles.
ELLE. Dites-moi sans ambages ce qui vous d'erange chez moi. Je suis affreuse? Ennuyeuse? D'esagr'eable?
LUI. Pas du tout.
ELLE. Alors, o`u est le probl`eme?
LUI. Eh bien, voyez vous-m^eme, pourquoi me lancer dans une aventure avec une inconnue? Vous avez du charme, je ne le nie pas. C’est sans doute agr'eable de s’endormir avec vous, mais peut-^etre que demain je me r'eveillerai sans argent, sans papiers. Et peut-^etre que votre petit ami fait 'equipe avec vous et qu’il me fendra le cr^ane pour avoir mon portefeuille.
ELLE. Quel homme raisonnable et prudent vous faites! Vous pr'evoyez tout.
LUI. `A vos yeux, je sais, c’est un d'efaut.
ELLE. Et pourquoi n’ai-je pas peur de vous? Vous aussi, vous pouvez tout me faucher.
LUI. Moi, `a vous?
ELLE. Et pourquoi pas? `A ce propos, j’ai pas mal d’argent sur moi. Tenez, regardez. (Elle ouvre son sac `a main.)
LUI. (Apr`es avoir jet'e un oeil dans le sac.). Ho! ho! D’o`u sortez-vous tant d’argent?
ELLE. Le salaire de ces quatre derniers jours. Votre ami ne me fracassera-t-il pas le cr^ane pour ca?
LUI. Je vois qu’on vous r'etribue avec largesse.
ELLE. Je ne me plains pas. Mais le travail n’est pas des plus faciles. Et il exige une haute qualification.
LUI. Si ce n’est pas un secret, combien prenez-vous?
ELLE. Soyez rassur'e, nous trouverons une entente.
LUI. Je ne demande pas pour moi, mais en g'en'eral.
ELLE. Ca d'epend de la dur'ee, de la situation financi`ere du commanditaire, de mon humeur et aussi de beaucoup d’autres choses.
LUI. Et malgr'e tout? Combien?
ELLE. Et jusqu’`a combien pouvez-vous aller?
LUI. Z'ero. Je n’en ai pas besoin, m^eme pas gratuitement. Simple curiosit'e de ma part.
ELLE. Vous savez quoi? Lorsque, par exemple, en Espagne, une dame proposait un rendez-vous `a un homme, m^eme en pleine nuit et dans un lieu inconnu, il y allait sans h'esiter, sans penser `a sa bourse ou aux dangers. C’est comme ca qu’agissaient les vrais cavalleros.
LUI. Mais nous ne sommes pas en Espagne et nous ne jouons pas une com'edie de cape et d’'ep'ee. Nous sommes dans notre triste r'ealit'e de tous les jours, o`u il y a beaucoup de filouterie, de mensonges, de criminalit'e et de cruaut'e. De plus, il ne s’agit pas seulement de prudence de ma part.
ELLE. Et de quoi donc?
LUI. Pour ^etre franc, plonger la cuill`ere dans la soupe c’est agr'eable quand elle est dans une assiette propre et non pas dans une auge publique. Excusez-moi, je ne voulais pas vous offenser.
ELLE. Peut-^etre ne vouliez-vous pas, mais vous l’avez fait. Mais pas avec vos paroles grossi`eres, non, j’en ai plus qu’entendu de votre part, mais tout simplement parce que vous ne voulez pas de moi. Et pour une femme, il n’y a pas plus grande offense que de savoir qu’elle n’est pas d'esir'ee.
LUI. S’il vous pla^it, laissons ce sujet. Nous en 'etions convenus.
ELLE. Nous ne sommes convenus de rien.
LUI. Parlons d’autre chose.
ELLE. Abstenons-nous plut^ot de parler d’autre chose.
Pause.
LUI. Puisque vous n’aimez pas la vodka, peut-^etre, commanderons-nous pour de bon du champagne?
ELLE. Pas maintenant.
LUI. Et quand?
ELLE. Demain matin.
LUI. Il n’y aura pas de demain matin.
ELLE. Si.
LUI. Non.
ELLE. Et qu’y aura-t-il? Seulement la nuit?
LUI. Il n’y aura rien, aucune coucherie.
ELLE. Mais je ne vous l’ai m^eme pas promise. En g'en'eral, un homme mari'e n’est pas dispos'e `a coucher dans deux cas : ou bien sa femme l’a `a ce point ensorcel'e, qu’il n’est pas attir'e par d’autres femmes, ou bien elle l’a `a ce point r'efrig'er'e qu’il en a perdu le go^ut. Avec laquelle de ces deux variantes avons-nous affaire dans votre cas?
LUI. (S`echement.). Je vous ai pri'ee, me semble-t-il, de ne pas toucher `a ma vie priv'ee. De ne pas prononcer un mot sur ma femme. Et, plus largement, de ne pas parler de moi.
ELLE. Et de quoi alors?
LUI. De ce que vous voulez, mais pas de moi.
ELLE. Et moi, justement, j’ai envie de ne parler que de vous.
LUI. Ca vous sert `a quoi?
ELLE. Ca vous sert vous. Vous n’^etes pas heureux. Vous n’avez personne `a qui vous confier.
LUI. Tout va bien pour moi.
ELLE. Et puis, vous avez peur de moi.
LUI. Moi, peur de vous?
ELLE. Oui. Vous avez peur de me c'eder, mais plus encore de me laisser, de retourner dans votre chambre et de rester seul `a seul avec vous-m^eme. Voil`a pourquoi vous restez avec moi et me proposez du champagne, bien qu’au fond de vous-m^eme vous me m'eprisiez. Vous me m'eprisez et vous me voulez. Je me trompe?
LUI. Foutaise!
ELLE. C’est la v'erit'e.
LUI. Non, vous vous trompez.
ELLE. Vous ne me m'eprisez pas, mais me voulez seulement?
LUI. Non.
ELLE. Vous ne me voulez pas, mais me m'eprisez seulement?
LUI. Vous avez une habilet'e consomm'ee `a chambrer les gens et `a vous cramponner au moindre mot.
ELLE. Je me cramponne, parce que je veux vous accrocher. N’est-ce pas suffisamment clair?
LUI. Et vous l’avouez?
ELLE. Est-ce que je vous l’ai cach'e? Depuis le tout d'ebut, je ne vous parle que de cela. Mais, pour une raison que j’ignore, vous avez peur de moi.