Pi?ces choisies
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LUI. En d'efinitive, nous ne sommes pas du tout oblig'es de faire l’amour.
ELLE. Et pour quoi, alors, me faites-vous monter dans votre chambre?
LUI. Eh bien, simplement pour parler. Vous avez une conversation int'eressante… Vous connaissez beaucoup de po'esies…
ELLE. Ne me faites pas rire. Soyez honn^ete avec vous-m^eme.
LUI. Bon, d’accord, nous savons tous les deux de quoi il retourne. Et apr`es?
ELLE. Je n’irai nulle part avec vous.
LUI. Mais vous-m^eme tout `a l’heure proposiez…
ELLE. Je ne m’en souviens pas. Mais m^eme si je l’ai propos'e, il fallait alors ^etre d’accord. Mais maintenant, j’ai chang'e d’avis.
LUI. Vous vous jouez de moi, comme le chat de la souris.
ELLE. Peut-^etre. Je crains seulement que le chat lui-m^eme ne devienne souris.
LUI. Je n’arrive pas `a vous comprendre. Il y a `a peine quelques instants, vous teniez de tels propos… Comme quoi je vous plaisais…
ELLE. Oui. Et je ne les renie pas. Mais venant de vous je n’ai pas entendu ces propos.
LUI. Vous ne voulez quand m^eme pas que je vous fasse une d'eclaration d’amour?
ELLE. Et pourquoi pas?
LUI. Mais ce serait simplement comique!
ELLE. Eh bien, riez!
LUI. Mais nous nous connaissons `a peine.
ELLE. Nous ne nous connaissons pas du tout.
LUI. Nous pouvons rem'edier `a cet inconv'enient.
ELLE. Vous n’^etes pourtant pas adepte des rencontres faciles.
LUI. (D'esabus'e.). Je vois que je ne vous persuaderai pas.
ELLE. On peut persuader n’importe quelle femme.
LUI. C’est possible, mais moi je ne sais pas comment on fait.
ELLE. Vous voulez un conseil?
LUI. Eh quoi, il y a une voie?
ELLE. Voil`a, vous m’invitez `a r'eciter des vers. Je peux ici m^eme vous r'eciter quelque chose pour commencer. Rachmaninov a une romance sur des paroles de Hugo. Elle s’intitule :
LUI. Non. Mais je pr'ef`ererais avoir une r'eponse `a ma question.
ELLE. (L’interrompant.). 'Ecoutez jusqu’`a la fin. Ce po`eme de Hugo est assez 'etrange. Dans chaque strophe, des « ils » inconnus posent une longue question pleine d’'emotion, et d’autres « ils », ou, plus pr'ecis'ement, « elles », parce que dans le texte original francais est utilis'e le pronom personnel f'eminin, donnent une tr`es br`eve r'eponse, simple et inattendue.
LUI. Quelque chose m’'echappe.
ELLE. Bon, 'ecoute cet exemple :
Comment, disaient-ils,
Oublier querelles
Mis`ere et p'erils?
(Apr`es une courte pause.)
– Dormez, disaient-elles.
LUI. Tout cela est tr`es int'eressant, mais quel rapport cela a-t-il avec le conseil que vous vouliez me donner?
ELLE. Le conseil est le suivant :
Comment, disaient-ils,
Enchanter les belles
Sans philtres subtils?
(Elle se tait.)
LUI. Et?…
ELLE. Aimez, disaient-elles.
LUI. J’ai compris l’allusion. Mais il ne peut ^etre question d’amour dans notre cas.
ELLE. Est-ce `a dire que vous me proposez de faire l’amour, mais sans amour?
LUI. On peut le dire comme ca aussi. Je pr'ef`ere que nos rapports se construisent sur une base prosa"ique, sans romantisme inutile.
ELLE. (Tr`es s`echement.). Alors, adressez-vous au portier, il vous proposera s^urement une fille pour la nuit pour un prix modique. Au revoir. (Et comme l’homme ne quitte pas sa place, elle r'ep`ete :) J’ai dit
« Au revoir ».LUI. Demain, je prends l’avion.
ELLE. Alors, adieu.
L’homme retourne lentement `a sa table, prend son porte-documents, se dirige vers la sortie mais s’attarde pr`es de la table, o`u est assise la femme.
LUI. Vous restez?
La femme ne r'epond pas.
LUI. Vous comptez chasser un autre client?
ELLE. Vous avez quelqu’un `a me recommander?
LUI. Il n’y a pas d’amateurs de telles aventures parmi mes connaissances.
ELLE. Il ne fait pas de doute que vous connaissez mal vos amis. Adieu.
LUI. Adieu.
L’homme part. La femme reste seule. Visiblement, elle est contrari'ee et d'ecue. Les lumi`eres du restaurant sont baiss'ees, signe qu’il va fermer. La femme regarde l’addition pos'ee devant elle, met l’argent sur la table et s’appr^ete `a partir. C’est `a ce moment que r'eappara^it l’homme.
LUI. Vous ^etes encore l`a? J’avais peur que vous soyez partie.
ELLE. Que voulez-vous?
LUI. Je me suis imagin'e seul dans ma chambre, en t^ete `a t^ete avec moi-m^eme et je ne me suis pas senti bien. Dans ces minutes-l`a, j’ai parfois de telles bouff'ees de d'epression que je… Bref… Vous m’avez demand'e pourquoi je vous proposais de monter dans ma chambre. Eh bien, je vais vous r'epondre : pour ne pas ^etre seul. Vous me comprenez?
ELLE. (Avec s'erieux.). Je vous comprends tr`es bien.
LUI. Vous me provoquez tout le temps, parfois m^eme vous vous moquez, mais je ne sais pas pourquoi je trouve int'eressant d’^etre avec vous. En tout cas, c’est mieux que d’^etre seul. Aussi, je vous prie de m’accompagner. Je n’exigerai rien de vous et dans tous les cas je vous paierai.
ELLE. Bon, entendu. (Souriant :) Je suis une fille sans exp'erience, je ne sais pas r'esister.
LUI. (Doutant de son succ`es.). C’est vrai, vous ^etes d’accord?
ELLE. Je vous ai dit oui, voyons. Mais j’ai l’impression que cela ne vous r'ejouit pas vraiment. Vous avez l’air quelque peu d'econcert'e.
LUI. Heureux, plut^ot.
ELLE. On dirait que le bonheur vous est tomb'e dessus si soudainement que vous n’avez pas eu le temps de faire un pas de c^ot'e.