Том 3. Публицистические произведения
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Pour le moment la R'evolution est mat'eriellement d'esarm'ee.
La r'epression de juin 1848 lui a paralys'e les bras, la victoire de la Russie en Hongrie lui a fait tomber les armes des mains. Il va sans dire que pour ^etre d'esarm'ee la R'evolution n’en est pas moins pleine de vie et de vigueur. Elle se retire pour le moment du champ de bataille, elle l’abandonne `a ses vainqueurs. Que vont-ils faire de leur victoire?..
Et d’abord, o`u en sont maintenant les Pouvoirs r'eguliers en Occident? Car pour pr'ejuger quels peuvent ^etre `a l’avenir leurs rapports vis-`a-vis de la R'evolution, il faudrait d'eterminer au pr'ealable quelles sont les conditions morales de leur existence `a eux-m^emes. En un mot, quel est le symbole de foi qu’ils ont `a opposer au symbole de la R'evolution?
Quant au symbole r'evolutionnaire, nous le connaissons, et pr'ecis'ement, parce que nous le connaissons, nous nous expliquons fort bien d’o`u lui vient son ascendant irr'esistible sur l’Occident, — les m'eprises ne sont plus possibles, toute 'equivoque volontaire ou involontaire serait hors de saison.
La R'evolution, `a la consid'erer dans son principe le plus essentiel, le plus 'el'ementaire, est le produit net, le dernier mot, le mot supr^eme de ce que l’on est convenu d’appeler depuis 3 si`ecles la civilisation de l’Occident. C’est la pens'ee moderne toute enti`ere depuis sa rupture avec l’Eglise.
Cette pens'ee est celle-ci: l’homme, en d'efinitive, ne rel`eve que de lui-m^eme, tant pour la direction de sa raison que pour celle de sa volont'e. Tout pouvoir vient de l’homme, tout autorit'e qui se r'eclame d’un titre sup'erieur `a l’homme n’est qu’une illusion ou une d'eception. En un mot, c’est l’apoth'eose du moi humain dans le sens le plus litt'eral du mot.
Tel est qui l’ignore, le credo de l’'ecole r'evolutionnaire; mais, s'erieusement parlant, la soci'et'e de l’Occident, la civilisation de l’Occident en a-t-elle un autre?..
Et les Pouvoirs publics de cette soci'et'e, eux, qui depuis des g'en'erations n’ont eu pour y vivre d’autre milieu intellectuel que celui-l`a, comment feront-ils maintenant pour en sortir? Et comment, sans en sortir, trouveront-ils le point d’Archim`ede dont ils ont besoin pour y placer leur levier?
M-r Guizot lui-m^eme a beau tonner maintenant contre la d'emocratie europ'eenne, a beau lui reprocher, comme le principe de toutes ses erreurs et de tous ses m'efaits, son idol^atrie pour elle-m^eme: la d'emocratie occidentale, en se prenant pour l’objet de son culte, n’a fait, il faut bien le reconna^itre, que suivre aveuglement les instincts que vous-m^eme et vos propres doctrines ont contribu'e, autant que quoi que soit, `a d'evelopper en elle? En effet, qui donc, plus que vous et votre 'ecole a r'eclam'e, a revendiqu'e pour la raison de l’homme les droits de l’autonomie; qui nous a enseign'e `a voir dans la r'eformation religieuse du 16-i`eme si`ecle moins encore un mouvement de r'eaction contre les abus et les pr'etentions ill'egitimes du catholicisme romain qu’une `ere de l’'emancipation d'efinitive de la raison humaine, salu'e dans la philosophie moderne la formule scientifique de cette 'emancipation et glorifi'e dans le mouvement r'evolutionnaire de 1789 l’av`enement au pouvoir, la prise de possession de la soci'et'e moderne, par cette raison de l’homme, ainsi 'emancip'e et ne relevant plus que d’elle-m^eme? Apr`es de pareils enseignements comment voulez-vous que le moi humain, cette mol'ecule constitutive de la d'emocratie moderne, ne se prendrait-il pour l’objet de son idol^atrie, et puisque, de compte fait, il n’est tenu `a reconna^itre d’autre autorit'e que la sienne et qui pr'etendez-vous qu’il adore si ce n’est lui-m^eme? S’il ne le faisait pas, ce serait, ma foi, <нрзб.> modestie de sa part.
Reconnaissons-le donc, la R'evolution, vari'ee `a l’infini dans ses degr'es et ses manifestations, est une et identique dans son principe, et c’est de ce principe, il faut bien l’avouer, qu’est sortie la civilisation actuelle de l’Occident.
Nous ne nous dissimulons pas l’immense port'ee de cet aveu. Nous savons fort bien que c’est le fait que nous venons d’'enoncer qui imprime `a la derni`ere catastrophe europ'eenne le cachet d’une 'epoque tragique entre toutes les 'epoques de l’histoire du monde. Nous assistons, tr`es probablement, `a la banqueroute d’une civilisation toute enti`ere…
En effet, voil`a depuis mainte et mainte g'en'erations que nous vous voyons, hommes de l’Occident, tous occup'es, peuples et gouvernements, riches et pauvres, les doctes et les ignorants, les philosophes et les gens du monde, tous occup'es `a lire en commun dans le m^eme livre, dans le livre de la raison humaine 'emancip'ee, lorsqu’en f'evrier de l’ann'ee 1848 une fantaisie subite est venue `a quelques-uns d’entre vous, les plus impatients, les plus aventureux, de retourner la derni`ere page du livre et d’y lire la terrible r'ev'elation que vous savez… Maintenant on a beau se r'ecrier, se gendarmer contre les t'em'eraires. Comment faire, h'elas, que ce qui a 'et'e lu, n’ait pas 'et'e lu… R'eussira-t-on `a sceller cette formidable derni`ere page? L`a est le probl`eme.
Je sais bien que dans les soci'et'es humaines tout n’est pas doctrine ou principe, qu’ind'ependamment des uns et des autres il y a les int'er^ets mat'eriels qui suffisent ou `a peu pr`es, dans les temps ordinaires, `a assurer leur marche, il y a, comme dans tout organisme vivant, l’instinct de la conservation, qui peut pendant quelque temps lutter 'energiquement contre une destruction imminente. Mais l’instinct de la conservation qui n’a jamais pu sauver une arm'ee battue, pourrait-il `a la longue prot'eger efficacement une soci'et'e en d'eroute?
Pour cette fois encore les Pouvoirs publics et la soci'et'e `a leur suite ont repouss'e, il est vrai, le dernier assaut que leur a livr'e la R'evolution. Mais est-ce bien avec ses propres forces, est-ce bien avec ses armes l'egitimes que la civilisation moderne, que la civilisation lib'erale de l’Occident, s’est prot'eg'ee et d'efendue contre ses agresseurs?
Certes, s’il y a eu un fait grandement significatif dans l’histoire de ces derniers temps, c’est `a coup s^ur celui-ci: le lendemain du jour o`u la soci'et'e europ<'eenne> avait proclam'e le suffrage universel comme l’arbitre supr^eme de ses destin'ees, c’est `a la force arm'ee, c’est `a la discipline militaire qu’elle a 'et'e oblig'ee de s’adresser pour sauver la civilisation. Or, la force arm'ee, la discipline militaire, qu’est-ce autre chose qu’un legs, un d'ebris, si l’on veut, du vieux monde, d’un monde depuis longtemps submerg'e. Et c’est pourtant en s’accrochant `a ce d'ebris-l`a que la soci'et'e contemporaine est parvenue `a se sauver du nouveau d'eluge qui allait l’engloutir `a son tour.
Mais si la r'epression militaire, qui dans le syst`eme 'etabli n’est qu’une anomalie, qu’un heureux accident, a pu, dans un moment donn'e, sauver la soci'et'e menac'ee, suffit-elle pour en assurer les destin'ees? En un mot, l’'etat de si`ege pourra-t-il jamais devenir un syst`eme de gouvernement?..
Et puis, encore une fois, la R'evolution n’est pas seulement un ennemi en chair et en os. C’est <нрзб.> plus qu’un Principe. C’est un Esprit, une Intelligence, et pour le vaincre il faudrait savoir le conjurer.
Je sais bien que les derniers 'ev'enements ont jet'e dans tous les esprits d’immenses doutes et d’immenses d'esenchantements et que bien des enfants de la g'en'eration actuelle ont r'evoqu'e en doute la sagesse r'evolutionnaire de leurs p`eres. On a touch'e au doigt l’inanit'e des r'esultats obtenus. Mais si des illusions, qu’on pourrait d'ej`a qualifier de s'eculaires ont 'et'e emport'ees par la derni`ere temp^ete, nulle foi ne les a remplac'ees… Le doute s’est creus'e, et voil`a tout. Car la pens'ee moderne peut bien batailler contre la R'evolution sur telle ou telle autre de ses cons'equences, le socialisme, le communisme, voire m^eme l’ath'eisme, mais pour en r'esoudre le Principe il faudrait qu’elle se reni^at elle-m^eme. Et voil`a pourquoi aussi la soci'et'e occidentale, qui est l’expression de cette pens'ee, en se voyant accul'ee `a l’ab^ime par la catastrophe de F'evrier, a bien pu se rejeter en arri`ere par un mouvement instinctif, mais il lui faudrait des ailes pour franchir le pr'ecipice ou un miracle, sans pr'ec'edent dans l’histoire des Soci'et'es humaines, pour revenir sur ses pas.
Telle est la situation actuelle du monde. Elle est, certainement, claire pour la divine Providence, mais elle est insoluble pour la raison contemporaine.
C’est sous l’empire de pareilles circonstances que les Pouvoirs publics de l’Occident sont appel'es `a r'egir la Soci'et'e, `a la raffermir, `a la rasseoir sur ses bases, et ils sont tenus `a travailler `a cette oeuvre avec les instruments qu’ils ont recus des mains de la R'evolution et qui ont 'et'e fabriqu'es pour son usage.
Mais ind'ependamment de cette t^ache de pacification g'en'erale, qui est commune `a tous les gouvernements, il y a dans chacun des grands Etats de l’Occident des questions sp'eciales, qui sont le produit et comme le r'esum'e de leur histoire particuli`ere et qui, ayant 'et'e, pour ainsi dire, mises `a l’ordre du jour par la Providence historique, r'eclament une solution imminente.