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ЖАНРЫ

Том 7. О развитии революционных идей в России
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Pour rompre compl`etement avec l'ancienne Russie, Pierre Ier abandonna Moscou et le titre oriental de tzar, pour habiter un port de la Baltique o`u il prit le titre d'empereur. La p'eriode de P'etersbourg qui s'ouvrit ainsi ne fut pas la continuation de la monarchie historique, ce fut le commencement d'un despotisme jeune, actif, sans frein, pr^et aux grandes choses comme aux grands crimes.

Il n'y eut qu'une seule pens'ee qui reli^at la p'eriode de P'etersbourg `a celle de Moscou, – la pens'ee d'agrandissement de l'Etat. Tout lui fut sacrifi'e, la dignit'e des souverains, le sang des sujets, la justice envers les voisins, le bien-^etre du pays entier… A part cette ressemblance, Pierre le Grand fut une protestation continuelle contre la vieille Russie. Nous l'avons vu, dans les questions dynastiques et religieuses, agissant en homme 'emancip'e; il se trouvait, par son genre de vie, dans une contradiction plus compl`ete encore avec les moeurs du pays. Ami des plaisirs bruyants, il les 'etalait au grand jour. Que de fois P'etersbourg vit, d`es l'aube du jour, son empereur sortant d'un repas copieux, sous l'influence du vin de Hongrie et de l'anisette, prendre un tambour et battre le rappel, au milieu de ses ministres plus ou moins chancelants sur leurs jambes. D'autres fois, on le voyait courir dans les rues avec des masques, costum'e lui-m^eme. Les vieux boyards, avec leur air grave et solennel, qui couvrait un ab^ime d'ignorance et de vanit'e, regardaient avec horreur les f^etes que le tzar donnait aux marins anglais ou hollandais o`u Sa Majest'e orthodoxe se livrait sans frein `a ses go^uts d'orgie. Une pipe de terre cuite `a la bouche, une cruche de bi`ere `a la main, il donnait le ton `a ses convives et ne leur c'edait pas en jurons. L'indignation des boyards fut `a son comble, lorsqu'il ordonna `a leurs femmes et `a leurs filles, enferm'ees comme dans l'Orient, de prendre part `a ces m^emes f^etes. Le r'evolutionnaire percait dans Pierre Ier partout sous la pourpre imp'eriale. Tandis qu'un si`ecle apr`es, Napol'eon couvrait chaque ann'ee de quelque.nouveau lambeau royal son origine bourgeoise, Pierre Ier se d'ebarrassait chaque jour de quelque lambeau du tzarisme pour rester lui-m^eme, avec sa grande pens'ee appuy'ee sur une volont'e inflexible, sur la cruaut'e d'un terroriste.

La r'evolution op'er'ee par Pierre Ier divisa la Russie en deux parties: d'un c^ot'e rest`erent les paysans des communes libres et seigneuriales, les paysans des villes et les petits bourgeois; c''etait la vieille Russie, la Russie conservative, traditionnelle, communale, strictement orthodoxe ou bien schismatique, toujours religieuse, portant le costume national et n'ayant rien accept'e de la civilisation europ'eenne. Cette partie de la nation, comme cela arrive dans les r'evolutions victorieuses, 'etait regard'ee par le gouvernement comme malcontente, presque comme insurg'ee. Elle 'etait en disgr^ace, suspendue, mise hors la loi et livr'ee a la merci de l'autre partie de la nation. La nouvelle Russie se composait do la noblesse form'ee par Pierre le Grand, de tous les lescendants des boyards, de tous les employ'es civils, et enfin, de l’arm'ee. La pr'ecipitation avec laquelle ces diff'erentes classes se d'epouill`erent de leurs moeurs fut surprenante. Elles abdiqu`erent leur pass'e sans aucune opposition; les str'elitz seuls tenaient de r'esister. C'est l`a une preuve de la mobilit'e du caract`eer et, en m^eme temps, de l'extr^eme opportunit'e de la r'evolution de Pierre le Grand. On 'etait enchant'e de quitter les formes lourdes et accablantes du r'egime moscovite. D'o`u venait donc la recalcitrance du paysan russe? Les paysans forment la partie la moins progressiste de toutes les nations; en outre, les paysans russes des communes restaient hors du mouvement et des atteintes du gouvernement. La centralisation politique n''etait pas soutenue par une centralisation administrative. Les mesures prises pour entraver la migration des paysans n'int'eressaient que ceux d'entre eux qui 'etaient 'etablis sur les terres seigneuriales, ou plut^ot la minorit'e remuante qui se d'eplacait. La r'eforme de Pierre se pr'esenta `a eux non seulement comme un attentat `a leurs traditions et `a leur mani`ere de vivre, mais encore comme une immixtion de l'Etat dans leurs affaires, comme une tracasserie bureaucratique, comme une aggravation vague et ind'efinie de leur servitude. Ils se r'esign`erent d`es lors `a cette opposition tacite et passive qui continue de nos jours, et qui est compl`etement justifi'ee par les mesures prises contre le peuple par Pierre Ier et ses successeurs. Le village est rest'e en dehors de la r'eforme; il est impossible d'^etre paysan russe lorsqu'on abandonne les anciennes moeurs; le paysan peut s'affranchir de la commune, devenir domestique ou employ'e du gouvernement, ou m^eme noble, mais il doit dans tous ces cas et avant tout quitter la commune. [4] Le membre de la commune rurale ne peut ^etre que paysan, et, comme tel, il doit porter la barbe et le costume national. Cela n'est r'egl'e par aucune loi, l'usage seul le veut ainsi et ne le rend que plus vivace. De cette facon, les paysans restent purs de toute participation au gouvernement, ils sont gouvern'es, mais ils n'ont rien sanctionn'e par leur adh'esion. Ils voient de mauvais oeil notre genre de vie, persistent dans leurs usages et sont en m^eme temps plus religieux que nous par opposition `a notre indiff'erence, et sectaires, par opposition `a l''eglise officielle qui pactise avec la civilisation allemande.

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Voir aux annexes la note relative `a la commune russe.

C'est sous ce point de vue qu'on peut appr'ecier toute l'importance des ordres de Pierre Ier prescrivant de raser la barbe et de se v^etir `a l'allemande. La barbe et le costume forment une distinction tranch'ee entre la Russie humili'ee sous un triple joug et sauvegardant sa nationalit'e, et la Russie qui a accept'e la civilisation europ'eenne avec le despotisme imp'erial. Entre l'homme a la barbe qui porte la chemise par-dessus la culotte, qui n'a rien de commun avec le gouvernement, et l'homme ras'e, habill'e `a l'allemande, qui est 'etranger `a la commune, il n'y avait qu’un seul lien vivant, – le soldat. Le gouvernement s'en apercut et, craignant que le soldat ne redev^int paysan, il eut recours `a des mesures terribles: il fixa un terme monstrueux au service – 22 ans au commencement de ce si`ecle, et 15 `a 17 ans de nos jours. Sous pr'etexte d''elever les enfants de troupe, il cr'ea une v'eritable caste de kchatrias indiens en les encha^inant `a l''etat militaire, et, comme si ce n''etait pas assez, il obligea les v'et'erans, sous l'intimidation de graves peines, de raser la barbe et de ne jamais porter le costume national. Le peuple russe resta ainsi isol'e et hors de tout mouvement, dans une expectative douloureuse; s'il ne p'erit pas, ce fut gr^ace `a son naturel et `a la commune, mais il n'a rion gagn'e non plus. Aucune id'ee politique n'a p'en'etr'e jusqu'`a lui, mais il y a des int'er^ets qui ne manqueront pas d'agiter la commune russe.

La question de l''emancipation des serfs n'est pas comprise en Europe. On pense g'en'eralement qu'il ne s'agit que de la libert'e individuelle, qui est d'une importance nulle sous le despotisme de P'etersbourg, tandis qu'il s'agit d'affranchir les paysans avec la terre. Ce probl`eme occupe le gouvernement qui ne fera rien, la noblesse qui n'osera rien faire, et le peuple qui est fatigu'e, qui murmure et qui peut-^etre fera quelque chose.

En attendant, tout le mouvement intellectuel et politique s'est born'e `a la noblesse. L'histoire de la Russie, depuis la r'eforme de Pierre le Grand, `a l'exception de l''episode de Pouga-tcheff et le r'eveil du peuple en 1812, n'est que l'histoire du gouvernement russe et de la noblesse russe. Si l'on se faisait une id'ee de la noblesse russe `a l'analogie de l'aristocratie omnipotente de 1 Angleterre ou de l'aristocratie mesquine de l'Allemagne, on n'arriverait jamais `a s'expliquer ce qui se passe aujourd'hui en Russie. H ne faut pas perdre de vue que la noblesse organis'ee par Pierre Ier n'est pas une caste close; au contraire, elle absorbe incessamment tout ce qui sort du sol d'emocratique, et se renouvelle par sa base. Le soldat, en obtenant le rang d'officier, devient noble h'er'editaire; un clerc, un scribe qui a 'et'e employ'e pendant quelques ann'ees par l''etat, devient noble personnel; s'il obtient un grade plus 'elev'e, il acquiert la noblesse h'er'editaire. Le fils, d'un paysan, affranchi de la commune ou du seigneur, apr`es avoir achev'e ses 'etudes dans un coll`ege, est anobli. Un individu d'ecor'e, un artiste admis `a l'Acad'emie, deviennent nobles. Il faut donc comprendre sous le nom de noblesse en Russie quiconque ne fait pas partie de la commune rurale ou municipale et qui est fonctionnaire public. Les droits et privil`eges sont exactement les m^emes pour les descendants des princes m'ediatis'es et des boyards, que pour les fils d'un employ'e subalterne investi de la noblesse h'er'editaire.

La noblesse russe est un 'etat qui p`ese sur un autre 'etat, qui a 'et'e vaincu sans avoir combattu.

Il serait absurde de chercher une unit'e quelconque dans une classe qui renferme, `a partir des soldats, des clercs et des fils de pr^etres jusqu'`a des propri'etaires de centaines de mille paysans. Mais passons aux temps qui suivirent le r`egne de Pierre Ier. L'anarchie gouvernementale la plus compl`ete 'eclata apr`es sa mort, et pendant vingt ann'ees le nouvel ordre des choses chancelait sur sa base, la main de fer de Pierre Ier une fois disparue; la tradition populaire 'etait rompue, il n'y avait pas de foi dynastique. Le peuple,qui se soulevait pour le fils pr'etendu de Jean IV, ne connaissait m^eme pas de nom tous ces Romanoff de Braunschweig-Wolfenb"uttel et de Holstein-Gottorp qui glissaient comme des ombres sur les marches du tr^one et disparaissaient dans les neiges de l'exil, au fond des cachots ou dans le sang…

La haute noblesse, qui n'avait aucun int'er^et g'en'eral, se servait des soldats de la garde imp'eriale pour perp'etuer ces r'evolutions de s'erail. Les soldats, de leur c^ot'e, ne connaissaient d'autre morale que l'ob'eissance `a celui qui avait la force en main, et cela seulement autant qu'il la conservait. L'idole une fois tomb'ee, 'etait imm'ediatement abandonn'ee de tout le monde. Le progr`es qu'a fait la corruption politique de ce temps surpasse tout ce qu'on peut imaginer. Le tr^one imp'erial ressemblait au lit de Cl'eop^atre, un tas de grands seigneurs et une poign'ee de janissaires conduisaient en triomphe un prince 'etranger, une femme, un enfant, un parent 'eloign'e de quelque parent de Pierre Ier; et relevaient au tr^one, l'adoraient et distribuaient des coups de knout `a ceux qui trouvaient `a y redire. Mais `a peine l''elu avait-il eu le temps de s'enivrer de toutes les jouissances d'un pouvoir exorbitant, que la vague suivante de dignitaires et de pr'etoriens l'entra^inait avec tout son entourage dans l'ab^ime Les ministres et les g'en'eraux du jour allaient le lendemain, charges de fers, sur la place d'ex'ecution, ou 'etaient tra^in'es en Sib'erie. Ces revers s'op'eraient si vite que le mar'echal Munikh qui avait exil'e Biron le rejoignit, banni `a son tour, au passage de la Volga, o`u Biron avait 'et'e retenu quelques jours par le d'ebordement du fleuve. Dans cette bufera infernale qui emportait les personnes avec une telle vitesse qu'on n'avait seulement pas le temps de s'habituer `a leurs traits, pour comble d'ironie, nous ne voyons se maintenir qu'un seul individu, ce fut le chef de la chancellerie secr`ete, Bestoujeff; cet honorable dignitaire a conserv'e son poste, nonobstant toutes les r'evolutions, et de cette mani`ere, il a eu l'occasion de questionner, de torturer et d'ex'ecuter tous ses amis, tous ses bienfaiteurs et tous ses ennemis.

Peut-on croire apr`es cela que le peuple ait vu dans ses chefs temporels des chefs de l''eglise orthodoxe?

Outre les intrigues politiques, il ne faut pas oublier que le ton licencieux, que Pierre Ier avait introduit et qui lui allait si bien, passa `a la cour imp'eriale et se changea bient^ot en d'evergondage crapuleux et en d'ebauche brutale. Elisabeth, la fille de Pierre Ier, 'etant encore grande-duchesse, passait des nuits en orgie avec les grenadiers de la garde et se promenait avec eux au Jardin d''et'e. Elle contracta, dans ce commerce, l'habitude des boissons fortes au point que, devenue imp'eratrice, elle se grisait tous les jours. Les affaires les plus importantes s'arr^etaient, les ambassadeurs ne pouvaient obtenir d'audience pendant des semaines enti`eres o`u elle n'avait pas de moment lucide, imp'eratrice Anne vivait maritalement avec son ci-devant ecuyer Biron qu'elle avait fait duc de Courlande. La r'egente Anne ue Braunschweig couchait l''et'e avec son amant sur un balcon 'eclair'e du palais…

Au milieu de cette 'epop'ee scandaleuse d'av`enements et de utes du tr^one, de cette orgie d'un despotisme f'eroce, aux pris avec une oligarchie servile qui disposait de la couronne, comme es eunuques du Bas-Empire, il y eut une seule lueur politique, ce fut lorsqu'on dicta les conditions `a l'acceptation de la couronne `a l'imp'eratrice Anne. Anne pr^eta serment, consentit `a tout, mais de suite, soutenue par le parti allemand qui avait Biron pour chef, elle d'echira la charte et fit p'erir tous ceux qui avaient voulu limiter le pouvoir de la couronne. Il y avait une ancienne animosit'e entre les Allemands et leurs adh'erents d'une part, et les dignitaires russes qui entouraient le tr^one de l'autre. La haine des Allemands facilita `a Elisabeth l'av`enement au tr^one. Cette femme incapable et cruelle se rendit populaire en flattant le parti national.

Il ne faut pas cependant s'abuser sur la valeur de ces partis. Le parti allemand ne repr'esentait pas la civilisation ni le parti russe l'ignorance. Le dernier ne voulait pas s'erieusement le retour `a l'ancien ordre des choses. Les essais du prince Dolgorouki, du temps de Pierre II, n'ont abouti `a rien du tout. Les Allemands, de leur c^ot'e, 'etaient loin de repr'esenter le progr`es; sans aucun lien avec le pays qu'ils ne se donnaient pas la peine d''etudier et qu'ils m'eprisaient comme barbare, arrogants jusqu'`a l'insolence, ils 'etaient les instruments les plus serviles de l'autorit'e imp'eriale. N'ayant d'autre but que de se maintenir en faveur, ils servaient la personne du souverain et non la nation. En outre ils apportaient aux affaires des mani`eres antipathiques aux Russes, un p'edantisme de bureaucratie, d''etiquette et de discipline tout `a fait contraire `a nos moeurs.

L'hostilit'e des Slaves et des Germains est un fait triste, mais connu. Chaque conflit entre eux r'ev'elait la profondeur de leur haine. La domination allemande a contribu'e beaucoup, par sa nature, `a 'etendre cette haine chez les Slaves occidentaux et les Polonais. Les Russes n'ont jamais eu `a subir leur oppression. Si leurs possessions du littoral de la Baltique ont 'et'e conquises par les chevaliers de l'ordre teutonique, elles 'etaient habit'ees par des populations finnoises et non russes. Mais bien qu'entre tous les Slaves, les Russes soient ceux qui ha"issent le moins les Allemands, le sentiment de r'epugnance naturelle qui existe entre eux ne peut s'effacer. Cette r'epugnance a pour fondement une incompatibilit'e d'humeur qui se montre aux moindres choses.

La pr'ef'erence que le gouvernement donnait aux Allemands, apres Pierre le Grand, n''etait pas de nature `a les r'econcilier avec les Russes. Encore si ce n'eussent 'et'e que des Munikh et des Ostermann qui fussent venus en Russie, mais il y eut toute une nu'ee d'originaires des trente-six ou je ne sais combien de principaut'es aui forment l'Allemagne une et indivisible, qui s'abattirent sur les bords de la Neva.

Le gouvernement russe n'a pas, jusqu'`a pr'esent, de serviteurs plus d'evou'es que les gentilshommes de Livonie, d'Esthonie et de Courlande.

«Nous n'aimons pas les Russes, nous disait un jour une notabilit'e de la Baltique, `a Riga, mais de tout l'empire nous sommes les sujets les plus fid`eles de la famille imp'eriale». Le gouvernement n'ignore pas ce d'evo^ument, et encombre d'Allemands les minist`eres et les administiations centrales. Ce n'est ni faveur ni injustice. Le gouvernement russe trouve dans les officiers et les fonctionnaires allemands juste ce qu'il lui faut; la r'egularit'e et l'impassibilit'e d'une machine, la discr'etion des sourds et muets, un sto"icisme d'ob'eissance `a toute 'epreuve, une assiduit'e au travail qui ne conna^it pas la fatigue. Ajoutez `a cela une certaine probit'e (que les Russes ont tr`es rarement) et juste tant d'instruction qu'exigent leurs emplois, jamais assez pour comprendre qu'il n'y a point de m'erite `a ^etre les instruments honn^etes et incorruptibles du despotisme; ajoutezy l'inditt'erence compl`ete pour le sort des administr'es, le m'epris le plus profond pour le peuple, une compl`ete ignorance du caract`ere national, et vous comprendrez pourquoi le peuple d'eteste les Allemands et pourquoi le gouvernement les aime tant.

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