Том 7. О развитии революционных идей в России
Шрифт:
– Mais, est-ce que vous ^etes fou par hasard? – lui dit l'officier d'un ton de d'esespoir. Comment voulez-vous que je perde mon temps `a attendre le commissaire? Donnez-moi des chevaux, donnez-moi des chevaux…
Ma voiture 'etait attel'ee; je ne sais pas comment l'histoire s'est termin'ee. Mais on peut ^etre s^ur que l'officier a 'et'e flou'e. Mon postillon souriait tout le long de la route. L'histoire de l'officier lui trottait dans la t^ete. – «C'est une t^ete chaude, l'officier», lui dis-je. – «Cela ne fait rien. Il n'est pas le premier: nous avons bien vu, d`es le commencement, qu'il se fatiguerait bient^ot».
…Il suffit d'un trajet de deux heures pour entrer dans un autre monde. C'est comme un changement `a vue au th'e^atre. Le terrain devient plus accident'e, m^eme l'eg`erement montagneux, le chemin serpente, – ce n'est plus cette ligne droite, infinie, trac'ee sur un oc'ean de neige, que Mickiewicz a si bien d'ecrit.
La premi`ere maison de poste livonienne 'etait situ'ee sur une montagne. J'entrai dans la
Le ma^itre de poste, vieillard d'ebonnaire, avec cet air d'une na"ivet'e b'eate qui n'appartient qu'aux Allemands, avait endoss'e pour moi son habit gris, orn'e de boutons en nacre. Voyant que je lisais le testament, il s'approcha et commenca respectueusement un entretien, me donnant `a chaque instant les titres de «baron», de «freiherr», de «hochwohlgeboren». Il me dit, entre autres choses, «qu'il n'avait jamais pu lire, sans avoir des larmes aux yeux, les touchantes paroles du bon roi d'efunt!»
Comme le ma^itre de poste disait que le vent faisait pressentir une nuit tr`es orageuse et me conseillait de rester jusqu'au matin, je voulus voir ce qui en 'etait et je sortis dans la rue. Une bise forte et glac'ee soufflait entre les rameaux d'enud'es des arbres, les secouant avec violence. De temps `a autre, les nuages chass'es par le vent d'ecouvraient le croissant d'une lune p^ale, et on voyait alors une tour `a demi ruin'ee, reste d'un ch^ateau tomb'e en ruines. Sous une porte 'ecras'ee, qui menait autrefois au ch^ateau, 'etaient assis une dizaine de Finnois, petits de taille, rabougris, ch'etifs, les cheveux blonds de lin. Leur langue, pour nous compl`etement 'etrang`ere, 'etonnait mes oreilles d'une mani`ere d'esagr'eable. Au-dessus de la porte 'etait clou'e un aigle empaill'e. Un jeune homme, blond et svelte, la moustache retrouss'ee, le fusil derri`ere le dos, apparut et disparut en un instant. Il 'etait dans un petit tra^ineau qu'il conduisait lui-m^eme. L'attelage de son cheval, au lieu de se parer de l'arc en bois russe, faisait r'esonner une vingtaine de clochettes; un l'evrier courait apr`es le tra^ineau, flairant la terre gel'ee.
En Livonie, en Courlande, il n'y a pas de villages pareils `a ceux de la Russie. Ce sont des fermes diss'emin'ees autour d'un chateau. Les cabanes des paysans sont 'eparses; la commune russe n'existe pas ici. Un pauvre peuple, bon, mais peu dou'e, 'evidemment sans avenir, 'ecras'e par une servitude s'eculaire, d'ebris d'une population fossile qui est submerg'ee sous les flots des autres races, habite ces fermes. La distance entre les Allemands et les Finnois est immense; la civilisation germaine, il faut le dire, 'etait bien peu communicative. Les Finnois de ces contr'ees sont rest'es `a demi sauvages, apr`es tant de si`ecles de coexistence et de rapports continuels avec les Allemands. C'est l'empereur Nicolas qui a pens'e le premier `a leur 'education – `a sa mani`ere bien entendu – il en a fait des Grecs orthodoxes.
Mais c'est `a Riga, dans ces rues sombres et 'etroites, dans cette ville de privil`eges, de corps de m'etiers, de «Z"unfte», d'esprit hans'eatique et luth'erien, o`u le commerce lui-m^eme est arri'er'e et stationnaire, o`u la population russe appartient aux dissidents r'etrogrades, qui se sont expatri'es il y a deux si`ecles, trouvant le r'egime du tzar Alexis trop r'evolutionnaire, et le patriarche Nicos, novateur trop audacieux; c'est l`a que j'ai compris toute la diff'erence entre le monde que je venais de quitter et celui dans lequel j'entrais.
Des Juifs d'echarn'es, couverts d'une calotte en velours noir, aux jambes fines, en culottes courtes, chauss'es de bas de coton et de souliers d'ecouverts au plus fort d'un hiver baltique; des n'egociants allemands avec un air de majest'e s'enatoriale, qui vous engage `a prendre un autre chemin, pour ne pas les rencontrer… On ne parle au casino, au club, que des monopoles conc'ed'es `a la ville en 1600, des franchises octroy'ees en 1450, des derni`eres innovations faites en 1701…
Les Allemands de la Baltique, fils d'une civilisation ancienne, se sont, il y a des si`ecles, d'etach'es du grand mouvement historique; ils prirent alors un pli invariable, ils s'arr^et`erent `a ce qu'ils 'etaient, sans rien acqu'erir depuis; ils mirent l'ordre, la r`egle, la mesure dans leurs id'ees et dans leurs affaires pour n'en jamais d'evier. Il est 'evident d`es lors qu'ils doivent d'etester le vague, l'exag'eration, le d'esordre qui r'egnent, non seulement dans les lois, mais m^eme dans les moeurs russes.
Nous ne sommes point parvenus `a une stabilit'e d'etermin'ee, nous la cherchons, nous aspirons `a un ordre social plus conforme `a notre nature et nous restons dans un provisoire arbitraire, le d'etestant et l'acceptant, voulant nous en d'efaire et le subissant a contre-coeur. Eux au contraire, ils sont de v'eritables conser-vateurs ils ont beaucoup perdu, et ils craignent de perdre le reste. Nous n'avons qu'`a gagner, nous n'avons rien `a perdre. Nous ob'eissons par contrainte, nous prenons les lois qui nous r'egisent pour des prohibitions, pour des entraves et nous les enfreigne lorsque nous le pouvons ou l'osons; sous ce rapport point de scrupule. Chez eux, au contraire, une partie de la loi est prise au s'erieux; l'enfreindre serait un crime `a leurs propres yeux. Cette partie soutient l'autre, dont l'absurdit'e est 'evidente pour tous.
Ils ont une moralit'e fixe – nous, un instinct moral.
Ils ont sur nous l'avantage d'avoir des r`egles positives, 'elabor'ees; ils appartiennent `a la grande civilisation europ'eenne. Nous avons sur eux l'avantage des forces robustes, d'une certaine latitude d'esp'erances. L`a o`u ils sont arr^et'es par leur conscience, nous sommes arr^et'es par un gendarme. Arithm'etiquement faibles, nous c'edons; leur faiblesse est une faiblesse alg'ebrique, elle est dans la formule m^eme.
Nous les froissons profond'ement par notre laisser-aller, par notre conduite, par le peu de m'enagement des formes, par l''etalage de nos passions demi-barbares et demi-corrompues. Ils nous ennuient mortellement par leur p'edantisme bourgeois, par leur purisme affect'e, par leur conduite irr'eprochablement mesquine.
Chez eux enfin un homme qui d'epense plus de la moiti'e de ses revenus est tax'e de fils prodigue, de dissipateur. Un homme qui se borne chez nous `a ne manger que ses revenus est consid'er'e comme un monstre d'avarice…
Cette antith`ese si tranch'ee, presque exag'er'ee, comme nous l'avons dit nous-m^emes, entre la Russie et les provinces Balti-ques, se retrouve, quant au fond, entre le monde slave et l'Europe.
Il y a pourtant cette diff'erence, c'est que dans le monde slave, il y a un 'el'ement de civilisation occidentale `a la surface, et dans le monde Europ'een un 'el'ement compl`etement barbare `a la base, tandis que les paysans de Pskov n'ont absolument rien de civilis'e et que les Allemands baltiques recouvrent, non pas une population barbare et homog`ene, mais une population en d'ecadence et compl`etement h'et'erog`ene.
Les peuples germano-latins ont produit deux histoires, ont cr'e'e deux mondes dans le temps et deux mondes dans l'espace. Ils se sont us'es deux fois. Il est tr`es possible qu'ils aient assez de s`eve, assez de puissance pour une troisi`eme m'etamorphose – mais elle ne pourra se faire par les formes sociales existantes, ces formes 'etant en contradiction flagrante avec la pens'ee r'evolutionnaire. Nous avons d'ej`a vu que, pour que les grandes id'ees de la civilisation europ'eenne se r'ealisent, il leur faut traverser l'Oc'ean et chercher un sol moins encombr'e de ruines.