Том 7. О развитии революционных идей в России
Шрифт:
La population 'etait partag'ee en petites communes rurales, les villes 'etaient rares et ne se distinguaient en rien des villages, except'e par leur plus grande 'etendue et par l'enceinte en bois qui les entourait (le mot russe gorod, ville, provient de gorodite, enclore). Chaque commune repr'esentait, pour ainsi dire, la descendance d'une famille qui poss'edait ses biens sans partage individuel, en commun, sous l'autorit'e patriarcale exerc'ee par un des chefs de famille reconnu pour l'ancien. Ce r'egime tout monarchique 'etait corrig'e par l'autorit'e de tout le monde (vess mir), c'est-`a-dire par l'unanimit'e des habitants. Et, comme l'organisation sociale des villes 'etait la m^eme que celle des campagnes, il est 'evident que le pouvoir princier 'etait contrebalanc'e par la r'eunion g'en'erale des citadins (v'etch'e).
Il n'y avait aucune distinction entre les droits des citadins et ceux des paysans. En g'en'eral, nous ne rencontrons dans la vieille Russie aucune classe distincte, privil'egi'ee, isol'ee. Il n'y avait que le peuple et une race, ou plut^ot une famille princi`ere, souveraine, la descendance de Rurik le Var`egue, qui 'etait compl`etement distincte du peuple. Les membres de la famille princi`ere partageaient entre eux toute la Russie, selon l'anciennet'e g'en'ealogique des branches auxquelles ils appartenaient et leur propre anciennet'e. L'Etat 'etait divis'e en apanages, qui n'avaient rien de fixe et qui 'etaient gouvern'es chacun par son prince sous la supr'ematie du plus ancien de la famille, qui s'appelait grand prince et avait pour apanage Kiev, plus tard Vladimir et Moscou. Le pouvoir du grand prince sur les autres princes 'etait tr`es restreint. Ceux-ci reconnaissaient la supr'ematie de Kiev, mais il n'y avait presque aucune d'ependance r'eelle, aucune centralisation administrative. Les apanages n''etaient point envisag'es comme des propri'et'es individuelles des princes, ils ne pouvaient l'^etre, car les princes passaient souvent d'un apanage `a un autre, en r'eunissaient plusieurs `a la fois, par voie d'h'eritage, ou bien faisaient de leur lot autant de parts qu'ils avaient de fils et d'h'eritiers m^ales; ou bien encore ils devenaient grands princes selon l'anciennet'e (ce n''etait pas le fils a^in'e qui succ'edait au grand prince, mais le fr`ere de celui-ci). On peut s'imaginer, sans peine, `a quelles luttes sanglantes, `a quelles contestations 'eternelles donnait lieu une h'er'edit'e si compliqu'ee. Les guerres entre le grand prince et les princes apanages n'ont pas discontinu'e jusqu'`a l''etablissement de la centralisation moscovite.
Nous trouvons autour des princes un cercle tr`es restreint de leurs compagnons d'armes, amis ou dignitaires, qui forme quelque chose dans le genre d'une aristocratie tr`es difficile `a caract'eriser, parce qu'elle n'avait rien de d'efini ou de bien prononc'e. Le titre de boyard 'etait honoraire, il ne donnait aucun droit positif et n''etait pas m^eme h'er'editaire. Les autres titres ne repr'esentaient que des fonctions, en sorte que l''echelle des dignit'es aboutissait imperceptiblement `a la grande classe des paysans. Aussi toute cette couche sup'erieure de la soci'et'e fut-elle recrut'ee par le peuple; les descendants des guerriers var`egues, qui vinrent avec Rurik, apport`erent, `a ce qu'il para^it, l'id'ee d'une institution aristocratique, mais l'esprit slave la mutila selon ses notions patriarcales et d'emocratiques. La drougina, esp`ece de garde permanente du prince, 'etait trop peu nombreuse pour former une classe `a part. Le pouvoir princier 'etait bien loin d'^etre illimit'e comme il le fut plus tard `a Moscou. Le prince n''etait en r'ealit'e que l'ancien d'un grand nombre de villes et de villages,qu'il gouvernait conjointement avec les r'eunions g'en'erales, mais il avait l'immense avantage de ne pas ^etre 'electif et de partager les droits souverains de la famille `a laquelle il appartenait. En outre, le grand prince 'etait le grand juge du pays, le pouvoir judiciaire 'tait pas s'epar'e du pouvoir ex'ecutif. Cette f'ed'eralisation 'etran-dont l'unit'e s'exprimait par l'unit'e de la race r'egnante et se perdait point daus la divisibilit'e des parties et le manque de entralisation, cette f'ed'eralisation, avec sa population homog`ene sans classes, sans distinctions entre les villes et villages, avec ses propri'et'es territoriales sous le r'egime communiste, ne ressemble en rien aux autres Etats de la m^eme 'epoque. Mais si cet Etat diff'erait si essentiellement des autres Etats de l'Europe, on n'est point autoris'e `a supposer qu'il leur l^ut inf'erieur avant le XIVe si`ecle. Le peuple russe d'alors 'etait plus libre que les peuples de l'Occident f'eodal. D'autre part, cet Etat slave ne ressemblait pas non plus aux Etats asiatiques, ses voisins. S'il y entrait quelques 'el'ements orientaux, le caract`ere europ'een dominait. La langue slave appartient, sans aucune contestation, aux langues indo-europ'eennes et non pas aux langues indo-asiatiques; en outre, les Slaves n'ont ni ces 'elans soudains qui r'eveillent le fanatisme des populations enti`eres, ni cette apathie qui prolonge la m^eme existence sociale au travers des si`ecles entiers et de g'en'erations en g'en'erations. Si l'ind'ependance individuelle est aussi peu d'evelopp'ee chez les peuples slaves que chez les peuples d'Orient, il y a cependant cette diff'erence `a 'etablir, que l'individu slave a 'et'e absorb'e par la commune, dont il 'etait un membre actif, tandis que l'individu de l'Orient a 'et'e absorb'e par la race ou l''etat auxquels il n'avait qu'une participation passive.
La Russie paraissait asiatique, vue de l'Europe, europ'eenne, vue de l'Asie; et ce dualisme convenait parfaitement `a son caract`ere et `a sa destin'ee, qui consiste entre autres `a devenir le grand caravans'erail de la civilisation entre l'Europe et l'Asie.
La religion m^eme continua cette double influence. Le christianisme est europ'een, c'est la religion de l'Occident; la Russie en l'acceptant s''eloignait de l'Asie, mais le christianisme qu'elle adopta fut oriental: il venait de Byzance.
Le caract`ere slavo-russe a une grande affinit'e avec celui de tous les Slaves, en commencant par les Illyriens et les Mont'en'egrins et en terminant par les Polonais avec lesquels les Russes uttaient si longtemps. Ce qui distingue le plus les Slavo-Russes (outre l'influence 'etrang`ere qu'ont subie les diverses races slaves), c'est une tendance non interrompue, pers'ev'erante, `a s'organiser en un Etat ind'ependant et fort. Cette plasticit'e sociale manquait plus ou moins aux autres races slaves, m^eme aux Polonais. L'id'ee de vouloir organiser et 'etendre l'Etat, se r'eveille du temps des premiers princes qui vinrent `a Kiev, de m^eme qu'apr`es mille ans, elle se retrouve dans Nicolas. On la reconna^it dans l'id'ee fixe de conqu'erir Byzance et dans l'entra^inement avec lequel le peuple s'est lev'e en masse (en 1612 et 1812), lorsqu'il a craint pour son ind'ependance nationale. Instinct ou legs des Normands, ou tous les deux ensemble, c'est l`a un fait incontestable et la cause pour laquelle la Russie a 'et'e le seul pays slave qui se soit organis'e avec une telle puissance. L'influence 'etrang`ere m^eme a aid'e de diverses mani`eres `a ce d'eveloppement, en facilitant la centralisation et en pr^etant au gouvernement les moyens qu'il n'avait pas.
Le premier 'el'ement 'etranger, apr`es l''el'ement normand, que nous voyons se m^elera la nationalit'e russe, fut l''el'ement byzantin. Tandis que les successeurs de Sviatoslaf ne r^evaient que la conqu^ete de la Rome orientale, celle-ci entreprit et accomplit leur soumission spirituelle. La conversion de la Russie `a l'orthodoxie grecque est un de ces 'ev'enements graves, dont les suites ne peuvent ^etre calcul'ees, qui se d'eveloppent durant des si`ecles, et changent parfois la face du monde. Il n'y a pas de doute qu'un demi-si`ecle ou un si`ecle plus tard, le catholicisme n'e^ut p'en'etr'e en Russie et n'en e^ut fait une seconde Croatie ou une seconde Boh^eme.
L'acquisition de la Russie fut une immense victoire pour l'empire expirant `a Byzance et pour l''eglise humili'ee par sa rivale. Le clerg'e de Constantinople, avec cette astuce qui le caract'erise, le comprit fort bien; il entourait ses princes de moines et d'esignait les chefs de la hi'erarchie cl'ericale. L'h'eritier, le d'efenseur, le vengeur de tout ce que l''eglise grecque avait souffert ou avait `a souffrir fut trouv'e, non en Anatolie, non en Antioche, mais dans un peuple qui touchait d'un c^ot'e `a la Mer Noire et d'un autre `a la Mer Blanche.
L'orthodoxie grecque forma un lien ins'eparable entre la Russie et Constantinople; elle affermit l'attraction naturelle des Slavo-Russes vers cette ville, et pr'epara par sa conqu^ete regieuse la conqu^ete future de la m'etropole orientale par le seul geuple puissant qui profess^at l'orthodoxie grecque.
L''eglise se jeta aux pieds des princes russes, lorsque Mahomet II entra en vainqueur `a Constantinople, et, depuis ce temps, le clerg'e ne cessa de leur montrer du doigt le croissant sur l''eglise de Sainte-Sophie. M. Fallmerayer raconte dans ses Fragments de l'Orient, comme le clerg'e grec, 'etait 'electris'e, lorsqu'on entendait la canonnade de Pask'evitch `a Tr'ebisonde, et comme les moines d'Haygyon-Horos et d'Athos attendaient leur lib'erateur orthodoxe. La domination turque aura 'et'e beaucoup plus favorable que contraire au d'eno^ument que nous pr'evoyons. L'Europe catholique n'aurait pas laiss'e le Bas-Empire en repos pendant les quatre derniers si`ecles. Une fois d'ej`a les Latins avaient r'egn'e sur l'empire d'Orient. On aurait probablement rel'egu'e les empereurs dans qeulque coin de l'Asie Mineure et converti la Gr`ece au catholicisme. La Russie d'alors n'aurait pu rien faire contre les empi'etements des Occidentaux; les Turcs ont donc sauv'e, par leur conqu^ete, Constantinople de la domination papale. Le joug des Osmanlis a 'et'e dur, impitoyable, sanguinaire au commencement; mais lorsqu'ils n'eurent plus rien `a craindre, ils laiss`erent les peuples conquis jouir en repos de leur religion, de leurs moeurs, et c'est ainsi que s''ecoul`erent les quatre derniers si`ecles. La Russie devint virile depuis ce temps, l'Europe vieillit, et la Sublime-Porte elle-m^eme a d'ej`a subi l''emancipation de la Mor'ee et un sultan r'eformateur.
A l'influence byzantine se joignit bient^ot une influence encore plus 'etrang`ere `a l'esprit occidental, l'influence mongole. Les Tartares pass`erent sur la Russie comme une nu'ee de sauterelles, comme un ouragan d'emolissant tout ce qu'il rencontrait sur son chemin. Ils saccageaient les villes, br^ulaient les villages, s entre-pillaient les uns les autres, et, apr`es toutes ces horreurs, ils disparaissaient derri`ere les bords de la Mer Caspienne, en envoyant de temps `a autre des hordes f'eroces pour rappeler leur domination `a la m'emoire des peuples conquis. Quant `a l’organisation int'erieure de l'Etat, `a son administration et `a son gouvernement, ces conqu'erants nomades n'y touchaient pas. Non seulement ils laissaient une pleine libert'e `a l'exercice de la religion grecque, mais ils bornaient leur domination sur les princes russes `a exiger d'eux de venir chercher leur investiture chez les khans, de reconna^itre leur souverainet'e, et de payer l'imp^ot prescrit. Le joug mongol n'eanmoins porta un coup terrible au pays: le fait mat'eriel des d'evastations renouvel'ees `a plusieurs reprises avait ext'enu'e le peuple, il fl'echit sous une mis`ere accablante. Il d'esertait les villages, errait dans les bois, il n'y avait plus de s'ecurit'e pour les habitants; les charges s'accrurent de l'imp^ot que venaient percevoir, au moindre retard, des Baskaks avec des pleins pouvoirs et des milliers de Tartares et de Kalmouks. C'est `a partir de ces temps n'efastes, qui dur`erent pr`es de deux si`ecles, que la Russie se laissa devancer par l'Europe. Le peuple pers'ecut'e, ruin'e, toujours intimid'e, acquit l'astuce et la servilit'e des opprim'es; l'esprit public s'avilit. L'unit'e m^eme de l'Etat 'etait pr^ete `a se rompre, de grandes crevasses se faissaient de tous c^ot'es: le sud de la Russie commencait de plus en plus `a se d'etacher de la Russie centrale, une partie penchait vers la Pologne, une autre 'etait sous la domination des Lithuaniens. Les grands princes de Moscou ne s'inqui`etent plus de Kiev. L'Ukraine se couvre de Cosaques ind'ependants, de ces hordes arm'ees formant des r'epubliques militaires, se recrutant de d'eserteurs et d'emigrants de toutes les parties de la Russie, qui ne reconnaissaient aucune souverainet'e. Novgorod et Pskov, prot'eg'es des Mongols par les distances et les marais, cherchaient `a se rendre ind'ependants de la Russie centrale ou `a la dominer. Au centre de l'Etat, dans la partie la plus d'evast'ee, on voyait une nouvelle ville, sans autorit'e, sans nom populaire, lever la t^ete avec la pr'etention orgueilleuse au titre de la capitale de la Russie. Il semblait que cette ville, perdue au fond des bois de sapin, n'avait aucun avenir, mais ce fut l`a justement que se noua le noeud central de la vie russe.
Le pouvoir des grands princes changea de caract`ere d`es qu'ils eurent quitt'e Kiev. A Vladimir, ils devinrent plus absolus. Les princes commenc`erent `a consid'erer leur apanage comme leur propri'et'e, ils se crurent inamovibles, h'er'editaires. A Moscou, les princes chang`erent l'ordre de la succession, ce ne fut plus le fr`ere a^in'e, mais le fils a^in'e qui succ'eda. Ils diminu`erent de plus en plus les apanages des autres membres de la famille. L''el'ement populaire ne pouvait ^etre fort dans une ville jeune, sans traditions, sans coutumes. C'est l`a ce qui attachait le plus les princes `a Moscou. L’d'ee d'une r'eunion de toutes les parties de l'Etat fut la pens'ee dirigeante de tous les princes de Moscou, depuis Ivan Kalita, type du souverain de cette 'epoque, politique, fourbe, astucieux, adroit, cherchan t `a s'assurer la protection des Mongols par la plus grande soumission, et en m^eme temps s'emparant de tout et profitant de tout ce qui pouvait accro^itre sa puissance. Moscou progressait avec une c'el'erit'e inou"ie. Aux pers'ev'erances de ses princes se joignit sa position g'eographique. Moscou fut le v'eritable centre de la Grande-Russie, ayant en son pouvoir, `a de petites distances de cent cinquante `a deux cents kilom`etres, les villes de Tver, Vladimir, Iaroslaf, Riazan, Kalouga, Orel, et dans une p'eriph'erie un peu plus 'etendue, Novgorod, Kostroma, Voron`eje, Koursk, Smolensk, Pskov et Kiev.
La n'ecessit'e d'une centralisation 'etait 'evidente; sans elle on ne pouvait ni secouer le joug mongol, ni sauver l'unit'e de l'Etat. Nous ne croyons pas cependant que l'absolutisme moscovite ait 'et'e le seul moyen de salut pour la Russie.
Nous n'ignorons pas quelle place pitoyable occupent les hypoth`eses dans l'histoire, mais nous ne voyons pas de motif pour rejeter sans examen toutes les probabilit'es en se renfermant dans les faits accomplis. Nous n'admettons nullement ce fatalisme qui voit une n'ecessit'e absolue dans les 'ev'enements, id'ee abstraite, th'eorique, que la philosophie sp'eculative a import'ee dans l'histoire comme dans la nature. Ce qui a 'et'e, a certainement eu des raisons d'^etre, mais cela ne veut nullement dire que toutes les autres combinaisons aient 'et'e impossibles; elles le sont devenues-par la r'ealisation de la chance la plus probable, c'est l`a tout ce qu'on peut admettre. L'histoire est beaucoup moins fixe qu'on ne le pense ordinairement.