L'Arrestation de Fant?mas (Арест Фантомаса)
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Sept kilom`etres sont peu de chose.
Si ce n’est lorsqu’il faut franchir ces sept kilom`etres menottes aux mains et marchant `a pied entre deux gendarmes qui se pr'elassent, eux, sur leur robuste monture.
Or, c’'etait `a pied, entre leurs deux chevaux, et les tenant par de longues menottes dont il gardait la cha^ine en main, que le brigadier Sosth`ene et le gendarme Pancrace avaient ramen'e `a la gendarmerie leurs deux prisonniers.
Il n’'etait donc pas 'etonnant qu’'Emile-Jean, tout comme Victor, les deux trimardeurs, fussent litt'eralement rompus de fatigue au moment o`u, toujours grave et digne, le brigadier Sosth`ene vint les chercher dans la chambre de force o`u on les avait boucl'es, pour les conduire aupr`es du colonel de gendarmerie, averti de leur arrestation, et probablement d'esireux de les interroger.
— Criminels, ordonna le brigadier Sosth`ene, mettez-vous debout, et pas `a pas en marchant, suivez-moi. Vous allez voir le colonel.
Le brigadier Sosth`ene, cependant, qui n’'etait pas peu fier d’avoir arr^et'e deux assassins, qui
`A peine, en effet, le digne sous-officier eut-il conduit dans le cabinet du colonel de la gendarmerie les nomm'es Victor et 'Emile-Jean, que le colonel, d’un geste aimable de la main, cong'ediait le brigadier Sosth`ene.
— Cela va bien, mon ami, je vous rappellerai tout `a l’heure.
Puis, l’ordre donn'e, le colonel avait ajout'e, comble d’ingratitude :
— Fermez la porte, n’est-ce pas, et mettez un planton devant mon cabinet. Je d'esire que personne n’entende l’interrogatoire de ces deux hommes.
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Pourquoi le colonel de gendarmerie avait-il renvoy'e le brigadier Sosth`ene au moment o`u il s’appr^etait `a interroger les deux trimardeurs ?
L’ins'eparable compagnon du gendarme Pancrace se le demandait, certes, mortifi'e.
Il e^ut 'et'e bien autrement ahuri, si la porte une fois referm'ee sur lui, il avait pu apercevoir le sourire qui flottait sur les l`evres de son chef. Car, en v'erit'e, le colonel Mastillard souriait.
Il souriait m^eme des plus ostensiblement, en regardant les deux trimardeurs, en leur disant, d’une voix fort aimable :
— ^Etes-vous satisfaits, messieurs ? Mais, avant tout, d'esirez-vous prendre quelque rafra^ichissement ? Croyez que je suis au regret de n’avoir pu adoucir votre sort, mais je tenais `a ex'ecuter fid`element la consigne qui m’avait 'et'e transmise.
— Et nous vous remercions, pr'ecis'ement, mon colonel, de la facon dont cette consigne a 'et'e ex'ecut'ee.
Car, en v'erit'e, ce trimardeur, cet 'Emile-Jean, cet assassin pr'esum'e, paraissait fort `a l’aise et r'epondait, sans le moindre embarras, au colonel Mastillard.
Son compagnon, d’ailleurs, ne faisait pas montre d’une moindre assurance.
Lui aussi semblait de fort bonne humeur :
— Cher monsieur, dit-il, tout en se laissant tomber dans un fauteuil garnissant la pi`ece, cher monsieur, je vous avoue que j’accepterais volontiers, pour ma part, un verre d’eau fra^iche. Je n’avais encore jamais 'et'e arr^et'e par des gendarmes, et, ma foi, l’impression que je rapporte de cette aventure est une impression de soif. Pristi que l’on avale donc de poussi`ere, en marchant entre deux chevaux.
Et, l`a-dessus, Victor 'eclata de rire, cependant que son compagnon haussait les 'epaules, amus'e, et que M. Mastillard se pr'ecipitait vers un angle de son cabinet et saisissait sur un plateau des verres de sirop, tout pr'epar'es, qu’il offrait avec de profondes r'ev'erences aux deux chemineaux :
— Messieurs, messieurs, encore une fois, buvez donc et, encore une fois, excusez-moi.
Ils burent.
— Savez-vous, messieurs, comment j’ai 'et'e pr'evenu ? reprit le colonel.
— Parfaitement. C’est nous qui vous avons fait t'el'egraphier.
— Vous, et comment cela ?
Le chemineau Victor `a son tour s’'etait lev'e.
— Vous permettez ? demanda-t-il.
Et, sans attendre la r'eponse, il prit sur la table du colonel Mastillard un t'el'egramme, qu’il lut `a haute voix :
Par ordonnance et sur r'equisition de M. Noyot, juge d’instruction `a Brest mandement est fait au colonel Mastillard d’envoyer deux hommes de sa brigade sur la route nationale n° 320, avec mission d’arr^eter deux trimardeurs de mauvaise mine qui ne sont autres que le policier Juve et le journaliste J'er^ome Fandor, tous deux charg'es de missions du Gouvernement, tous deux astreints `a se dissimuler, tous deux devant passer pour trimardeurs, ^etre arr^et'es comme tels ce jour m^eme et rel^ach'es demain matin, apr`es en avoir conf'er'e avec le colonel Mastillard.
Ce texte lu, le jeune chemineau 'eclata de rire :
— Savez-vous Juve, que ce t'el'egramme 'etait simplement incompr'ehensible ? dit-il apr`es avoir ri.
Et Juve approuva :
— Tout `a fait incompr'ehensible. Tu as raison.
Juve n’en dit pas plus, mais le colonel Mastillard, satisfait de la remarque, surench'erit :
— Si incompr'ehensible, messieurs, avouait-il, que je n’y ai rien compris du tout. Pouvez-vous me fournir quelques explications ?
— En deux mots, expliqua le policier, voici ce qui s’est pass'e : nous sommes, mon ami et moi, oblig'es par une mission d’'Etat, dont il ne nous est pas permis, mon colonel, de vous r'ev'eler la nature, `a voyager par la route jusqu’`a Paris. Que faire pour ne pas ^etre attaqu'es en route ? Que faire, surtout pour nous procurer, la nuit, chaque nuit, un g^ite o`u nous soyons compl`etement `a l’abri ? Mon colonel, nous avons tout bonnement eu cette id'ee : nous d'eguiser en trimardeurs, vous faire envoyer par le Parquet de Brest une d'ep^eche vous signalant qu’il 'etait urgent de nous arr^eter, nous faire arr^eter, donc, nous faire jeter par vous en prison et, de la sorte, voyager le jour sous la garde de deux de vos hommes, puis dormir, la nuit, dans votre chambre de force.
C’est une ruse, mon colonel, rien d’autre.
***
— Entends-tu, Fandor ?
— Quoi ? Non, rien du tout.
— Il m’a sembl'e qu’un cri…
— Vous avez r^ev'e, Juve.
— Non, 'ecoute.
— Eh, j’'ecoute bien. Mais je n’entends rien, je vous assure.
— Pourtant.
— Je vous dis que vous avez le cauchemar.
Fandor venait d’^etre r'eveill'e par Juve, qui tranquillement l’avait tir'e par l’oreille, ce qui 'etait sa facon habituelle, la nuit, d’attirer l’attention de son ami.
Ils se trouvaient, en ce moment, tous deux dans la
« chambre de force » o`u, suivant leur d'esir, on les avait incarc'er'es, sans d’ailleurs fournir aux gendarmes 'etonn'es la moindre explication.Une obscurit'e d’encre les entourait de toutes parts, l’obscurit'e imp'en'etrable des locaux herm'etiquement clos.
— Bah, cela n’avance `a rien de se faire du mauvais sang.
— D’accord, Fandor, mais tout le monde n’a pas ton heureux caract`ere.
Le journaliste s’'etait endormi tout de suite. Il avait ronfl'e. Juve, plusieurs fois, l’avait tir'e de son sommeil pour le lui reprocher.
Et puis les heures avaient pass'e.
Juve, `a son tour, s’'etait laiss'e aller `a une profonde somnolence, il avait compl`etement perdu la notion des choses, oubli'e sa mission, oubli'e m^eme qu’il 'etait arr^et'e, emprisonn'e en compagnie de Fandor, lorsque, soudain, `a pr`es de deux heures du matin, l’excellent policier avait sursaut'e, croyant entendre une sorte de plainte, de g'emissement provenant de la pi`ece voisine, de la pi`ece contigu"e `a la « chambre de force », o`u, sur sa demande, le colonel Mastillard devait faire veiller un gendarme sous le fallacieux pr'etexte de les surveiller, Fandor et lui.