L'assassin de lady Beltham (Убийца леди Бельтам)
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— Excusez-moi de cette incorrection, fit-il, en s’adressant `a son interlocutrice, et veuillez faire parvenir ceci `a M. Rivel.
Il lui tendit le pli.
Un peu d'epit'ee de ne pas savoir le nom du visiteur qui semblait tant d'esirer voir personnellement le grand patron, la jeune femme salua imperceptiblement, puis disparut dans les salons.
Quelques instants apr`es, un domestique venait au-devant de Juve.
— Si monsieur veut me suivre ? demanda-t-il.
Juve obtemp'era. Il traversa une galerie, une autre, passa au milieu de plusieurs salons, o`u des clientes discutaient avec des vendeuses, il s’effaca `a maintes reprises le long des murs orn'es de grandes glaces pour laisser passer de superbes mannequins qui d'efilaient avec des attitudes majestueuses et sculpturales et, enfin, fut introduit dans un cabinet d'ecor'e avec un luxe superflu : le cabinet de M. Rivel soeurs.
***
Juve en sortait deux heures apr`es. Il avait son visage des bons jours et semblait tr`es satisfait des renseignements qu’il avait d^u recueillir.
Cependant qu’il se dirigeait `a pied vers la Pr'efecture de police, Juve pensait :
— Voyons, r'esumons la situation. Il r'esulte, des rapports faits par les inspecteurs `a M. Havard, que les billets suspects ont 'et'e r'epandus dans les quartiers de l’'Etoile, de la Porte Dauphine et du bois de Boulogne. Ils ont 'et'e 'ecoul'es dans une client`ele riche, ou chez des fournisseurs de luxe, Je viens d’apprendre, d’autre part, chez ce couturier `a la mode, qu’une liasse de 10 000 francs lui a 'et'e pay'ee hier par une Am'ericaine, sa cliente, miss Sarah Gordon, personnalit'e bien parisienne parce qu’'etrang`ere, et qui fr'equente les restaurants chics, les courses, le quartier des Champs-'Elys'ees. Bien. Ce sont l`a des 'el'ements qui ne sont pas absolument probants, et il faut que je compl`ete ma documentation sur cette personne. Mais, d’autre part, je sais par mes renseignements personnels ce d'etail que je crois tr`es important : depuis quarante-huit heures, au bureau de tabac qui fait le coin du boulevard de Courcelles et de la rue de Prony, on a pass'e une quantit'e anormale de ces billets de Banque. Ce bureau de tabac a, en outre, la sp'ecialit'e des cartes `a jouer, il en d'ebite 'enorm'ement. Pourquoi ?
Quelques instants Juve demeura perplexe. Il cheminait le long des quais et, sans souci du spectacle toujours pittoresque que lui offrait la rue d’une part, et le fleuve de l’autre, il semblait fixer obstin'ement en marchant la pointe de ses souliers.
Juve s’arr^eta soudain, puis, apr`es ce temps d’arr^et, il repartit, pressant l’allure dans la direction de la Pr'efecture.
— Pourquoi ? r'ep'etait-il, pourquoi ce bureau de tabac vend-il tant de cartes `a jouer ? Parbleu ! Rien n’est plus simple `a comprendre et je suis un enfant de ne pas l’avoir devin'e tout de suite. Parbleu oui ! Voil`a l’explication et je sais maintenant o`u d'ecouvrir la source qui r'epand sur Paris ces billets de Banque vol'es dans les coffres du Tr'esor.
Une demi-heure apr`es, Juve 'etait `a nouveau dans le cabinet de M. Havard.
— Eh bien, Juve ? demanda celui-ci, satisfait de voir que le visage de l’inspecteur s’'etait 'epanoui.
— Eh bien, poursuivit le policier, je crois, monsieur Havard, que nous allons faire du bon travail cette nuit. J’ai besoin de quelques hommes, des agents en bourgeois simplement. Ah, et puis aussi, si vous n’y voyez pas d’inconv'enients, ayez donc l’obligeance de mettre `a ma disposition M. Sibelle.
— M. Sibelle ? s’'ecria le chef de la S^uret'e, qui paraissait tout 'etonn'e. Vous avez besoin de M. Sibelle, le directeur de la brigade de surveillance des jeux ?
— Mon Dieu, oui fit Juve qui, fixant M. Havard de son regard net et pr'ecis, d'eclara apr`es un silence :
— Oui, j’ai la conviction que c’est dans les milieux qui sont familiers `a M. Sibelle qu’il va falloir orienter nos recherches. Et cela sans plus tarder. D`es ce soir. Le temps presse !
11 – L’INCENDIE DU TRIPOT
— Voyons, messieurs, mesdames, la partie recommence : d'ep^echons ! Les cours sont forts, je mets la banque aux ench`eres : qui en veut `a trente, quarante, quarante-cinq louis ?
Dominant le murmure confus de la foule qui s’empressait autour du personnage qui tenait ces propos, une voix s’'eleva :
— Quarante-cinq louis.
— Vous entendez, messieurs, mesdames, reprit le premier interlocuteur, on a dit quarante-cinq louis ! N’y a-t-il personne qui veuille mettre plus ? Voyons, la banque vient de traverser une mauvaise passe, elle est certaine de gagner maintenant.
— Cinquante louis !
— Qui dit cinquante louis ?
Une voix f'eminine s’'eleva :
— Moi.
Le personnage qui faisait les offres et poussait ses auditeurs `a surench'erir 'etait un petit homme tr`es brun, aux allures remuantes, `a l’aspect 'etranger. Il s’exprimait avec un fort accent italien et ne pouvait prononcer une parole sans l’accompagner perp'etuellement de gestes aussi inutiles qu’expressifs. Il sauta de joie en entendant 'emettre une proposition `a cinquante louis et, tr`es ardent `a obtenir mieux encore, il d'eclara :
— Nous allons avoir une partie superbe ! Il faut que la Banque prenne sa revanche. Voyons, mesdames, messieurs, je suis s^ur que je vais trouver preneur `a plus de cinquante louis… mettons cinquante-cinq.
Le bruit se faisait plus confus, plus intense, toutefois, nul ne mettait de surench`eres. Il se passa quelques instants pendant lesquels le personnage `a l’accent italien sembla ne rien trouver `a dire, ce dont il se consolait en gesticulant et en parcourant le salon d’un bout `a l’autre, sans but apparent.
Il revint pr`es de la table de jeu et, r'esolu cette fois `a ne pas tarder plus longtemps, il allait adjuger la Banque au dernier ench'erisseur lorsque quelqu’un appela d’un ton autoritaire :
— Mario Isolino [12] !
Le petit homme bondit, et avec une rapidit'e merveilleuse sauta sur la chaise la plus voisine de lui, il prof'era :
— Quel est le signor qui me demande ?
Une voix grave, celle qui, quelques instants auparavant venait de prononcer son nom, reprit :
— Mario Isolino inscris-moi, je prends la banque `a cent louis !
L’Italien faillit d'egringoler du haut de sa chaise tant il paraissait `a la fois heureux et stup'efait. Et, tout en s’efforcant de rattraper son 'equilibre compromis, en faisant de grands moulinets avec ses petits bras, il r'ep'eta sur un ton v'eritablement admiratif et inspir'e :
— Ah quelle superbe partie nous allons voir, mesdames et messieurs ! Il y a preneur `a cent louis et c’est encore le Prince qui va tenir la banque.
Cette derni`ere d'eclaration d'eterminait de nombreux commentaires dans l’assistance et la conversation prenait d'esormais un ton plus cat'egorique, plus accentu'e. On s’'etonnait, en effet, de voir un homme mettre autant d’acharnement `a d'efier le sort.
Le Prince qui venait de s’inscrire pour prendre la banque `a cent louis 'etait, en effet, l’un des joueurs les plus malheureux que l’on e^ut vu depuis trois ou quatre soirs. Au cours des derni`eres soir'ees, il avait perdu des sommes colossales sans interruption pour ainsi dire ; mais il ne se d'ecourageait pas, et sit^ot la banque saut'ee entre ses doigts, il en reprenait une autre sans tenir compte des comp'etitions qui pouvaient se produire. Il surench'erissait toujours `a seule fin de rester ma^itre de la situation.