La mort de Juve (Смерть Жюва)
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— Le projecteur avant droit, pleins feux.
Le visage coll'e au hublot, H'el`ene vit tout un fourmillement d’^etres surprenants, des bancs de poissons qui se sauvaient, des poulpes qui tordaient leurs tentacules, des m'eduses incendi'ees de mille reflets, une for^et sous-marine dans laquelle L’OEufglissait `a vive allure. La jeune fille, toutefois, n’eut pas longtemps le loisir de contempler le paysage de r^eve 'eclair'e par le projecteur.
Un ordre r'esonna :
— Un quart `a tribord, les machines `a demi-vitesse.
Le petit navire pivota sur lui-m^eme, ralentit sa marche et soudain, dans le silence de sa coque d’acier, une exclamation 'etonn'ee retentit :
— Ah sapristi, que diable cela veut-il dire ?
Le lieutenant de Kervalac, de son poste de commandement, avait apercu quelque chose d’extraordinaire, quelque spectacle surprenant :
— Timonier, ordonnait-il, passez-moi la barre.
Le lieutenant, au gouvernail, manoeuvra lentement, savamment, et bient^ot, dans l’encadrement rond de son hublot, H'el`ene vit ce qui avait motiv'e la surprise de l’officier. L’OEufvenait de parvenir `a la hauteur de l’'epave du Triumph. Le vaisseau coul'e avait d^u toucher le fond en s’inclinant sur le flanc. Mais il 'etait tomb'e sur un fond de vase, et la vase, d'ej`a, l’avait englouti, `a tel point que seuls les m^ats apparaissaient, dress'es dans l’eau, comme plant'es sur le fond m^eme de la rade.
Et le lieutenant de Kervalac, du haut de sa tourelle, criait `a sa passag`ere :
— Regardez donc, mademoiselle, c’est extraordinaire. C’est invraisemblable, ce que nous voyons. Le Triumphest d'ej`a `a cinq m`etres sous la vase, et pourtant le sauveteur norv'egien pr'etendait encore aujourd’hui m^eme que ses scaphandriers atteignaient la cale du b^atiment. Il en donnait pour preuves les caisses d’or rep^ech'ees. Mis'ericorde. Je me demande comment il a pu faire pour les retirer, ces caisses d’or ? En haut, d'elestez du quart, laissez battre `a demi-vitesse.
Le sous-marin, all'eg'e par la manoeuvre, regagna la surface.
— Stop, commanda le lieutenant.
Le navire s’immobilisa lentement et de nouveau le lieutenant de Kervalac attira l’attention de la fille de Fant^omas :
— Ah bougre de bougre, mais c’est encore plus extraordinaire que n’importe quoi. Regardez, mademoiselle, nous sommes `a c^ot'e des pontons de renflouement, et, tenez, voyez-vous, en dessous du plus gros, `a droite, il y a cinq caisses qui se balancent `a bout de cordes. Qu’est-ce que cela peut bien signifier ?
Le lieutenant parlait en toute tranquillit'e d’^ame, car il 'etait `a coup s^ur fort 'eloign'e de deviner le trouble o`u ses paroles jetaient sa passag`ere.
Ainsi, c’'etait vrai, le sauvetage des caisses d’or 'etait impossible puisque le Triumph'etait envas'e. Les caisses d’or ramen'ees `a la surface ne provenaient pas de ses cales. Fandor avait eu raison.
— Vous voyez, mademoiselle ? criait le lieutenant de Kervalac.
Mais une d'etonation l’interrompit, le claquement que produit un coup de revolver.
Un matelot post'e `a l’un des hublots de l’arri`ere hurlait d'ej`a, affol'e :
— Commandant, une torpille vient sur nous. Trajectoire directe. Commandant, on est foutu.
Ils 'etaient neuf, et tous les neuf, au mot de
— `A vos postes ! hurla Kervalac, sans m^eme que sa voix trembl^at. `A la barre, timonier !
Puis il se pr'ecipita, il traversa la cloison 'etanche de l’arri`ere, courut au hublot d’o`u la vigie avait signal'e la torpille. Elle n’'etait plus loin. Sa trajectoire, facile `a d'eterminer, devait l’amener `a frapper L’OEufau beau milieu de sa coque. Son m'ecanisme d’horlogerie fonctionnait `a merveille, elle avancait, elle progressait, elle 'etait `a quarante m`etres, `a trente, `a vingt. La mort 'etait in'evitable. Le lieutenant de Kervalac savait que, dans la position o`u il 'etait, L’OEufne pouvait se d'egager. Au-dessus de lui, se trouvait l’un des pontons de renflouement. Devant lui, les cordes lest'ees par les caisses formaient une sorte de filet infranchissable. En dessous du sous-marin, enfin, les m^ats du Triumphpointaient, pr^ets `a le d'efoncer s’il se laissait couler.
La mort 'etait de tous c^ot'es. Le lieutenant de Kervalac choisit la mort brutale et franche de la torpille.
— Les vannes ouvertes en grand, hurla-t-il, les machines `a toute vitesse arri`ere.
Alors, providentiellement, la manoeuvre r'eussit. En m^eme temps que le sous-marin coulait, il d'evia obliquement. Dans sa chute, L’OEufheurta l’un des m^ats du Triumph, mais il r'eussit `a le briser. La torpille fr^ola le petit bateau, ne l’atteignit point, et, `a l’instant pr'ecis o`u L’OEuftoucha la vase, s’y engloutit `a moiti'e, l’explosion formidable eut lieu. Le sous-marin fut secou'e en un tourbillon irr'esistible, la machine s’arr^eta, fauss'ee, le gouvernail cessa d’ob'eir, les hommes, jet'es les uns sur les autres hurl`erent d’effroi.
Cramponn'e au blockhaus, le lieutenant de Kervalac cria un dernier ordre :
— L^achez les plombs ! L^achez les plombs !
16 – LE SUICIDE D’H'EL`ENE
Tout sous-marin comporte en effet un certain nombre d’appareils de s^uret'e, pr'evus par les ing'enieurs pour rem'edier, dans la mesure du possible, aux accidents toujours `a craindre. D’ordinaire la plong'ee s’effectue, tant en raison d’un alourdissement obtenu par le remplissage de soutes `a eau, que par la manoeuvre des gouvernails de profondeur. D’ordinaire, un sous-marin revient `a la surface en refoulant, au moyen de pompes puissantes, l’eau garnissant ses soutes, en manoeuvrant les gouvernails de plong'ee, mais on a pr'evu le cas o`u, les appareils ne fonctionnant plus, il peut ^etre n'ecessaire que le bateau soit rapidement ramen'e `a la surface de la mer. C’est pour cela que tout sous-marin comporte, solidement maintenus `a sa quille, de tr`es lourdes barres de plomb qui constituent, sous un volume r'eduit, un lest consid'erable. Une manoeuvre facile permet de l’abandonner. Il importe peu, alors, que les r'eservoirs d’eau soient ou non 'evacu'es, il importe peu que les pompes fonctionnent, du moment que le plomb est l^ach'e, le navire remonte tel un bouchon.
— L^achez les plombs, avait cri'e le commandant de Kervalac, et les marins de L’OEuf, au milieu m^eme de leur terreur bien compr'ehensible, gardaient encore assez de confiance en leur chef pour ex'ecuter cet ordre. Dans le sous-marin d'esempar'e, au milieu des instruments bris'es, les hommes s’'etaient pr'ecipit'es pour desserrer les boulons. Tandis qu’ils l^achaient les plombs, le commandant de Kervalac se hissait dans le petit blockhaus, son poste de commandement. La violence de l’explosion l’avait jet'e contre le tableau de bord. Son front saignait, balafr'e, mais il ne sentait pas la douleur. L’angoisse lui tenaillait le coeur. Qu’allait-il se produire ? L’OEufallait-il se relever, bondir `a la surface ? 'Etait-ce le salut, ou bien, dans quelques secondes faudrait-il se r'esigner ? Tomb'e de haut, pr'ecipit'e avec force, L’OEufallait il s’enliser dans la vase ? Prisonnier du sol mouvant, allait-il demeurer l`a, par trente brasses de fond ?
Le lieutenant de Kervalac colla le visage au hublot de la tourelle. Le manom`etre 'etait cass'e, aucun appareil ne lui permettait de se rendre compte des mouvements de son navire. Les projecteurs 'electriques eux-m^emes s’'etaient 'eteints. Allait-on remonter ? allait-on rester dans la vase ?
Voix du second ma^itre :
— Tout est par'e, mon commandant. Mais je viens de casser les boulons. Un peu plus, les plombs ne fonctionnaient pas.
— Laissez aller.